Complicité italo-autrichienne


Complicité italo-autrichienne
contre une troupe de théâtre


«Nous faisons un théâtre ouvert et insolent. Nous irritons… Nous avons été victimes de notre propre théâtre. Il n’est pas venu d’autre idée à l’esprit de la politique que de nous contraindre à jouer dans son propre spectacle –avec menottes, prison, coups et mauvais traitements»

Boris Jezek*

Un épilogue aux orgies de violence policière à Gênes s’est produit en Autriche. Les membres de la troupe de théâtre-action «VolxTheaterKarawane»1, arrêtés et victimes de mauvais traitements après le sommet du G8, ont été remis en liberté par les autorités italiennes. La VolxTheaterKarawane a fait cet été une tournée européenne, dans le cadre de son spectacle «No border No nation»2. Campements aux frontières, théâtre de rue et représentations sur des places publiques figuraient au programme. Le but que s’est fixé le groupe de théâtre-action consiste à «mettre en scène le discours actuel sur les problèmes de migration et de mondialisation». La troupe s’est déjà fait connaître en Autriche par ses apparitions dans le cadre des «Journées Internationales de Résistance 2000» à Kärnten et de la manifestation contre le World Economic Forum à Salzbourg en juillet dernier. «La transgression des frontières ne doit pas rester qu’un slogan», affirme la VolxTheaterKarawane, dont les membres proviennent de différents pays: transgression des frontières par des apparitions provocantes en marge du circuit artistique traditionnel, transgression des frontières par des actions dans des endroits d’où l’art est habituellement absent, et transgression des frontières dans le sens géographique du terme.


Les accusations adressées à la troupe de théâtre, dont le bus a été arrêté et fouillé par la police sur une aire d’autoroute après la manifestation de Gênes, sont les suivantes: collaboration avec des manifestants violents, appartenance à une organisation criminelle. Des accessoires de théâtre ont servi de preuves de l’appartenance de la troupe au Black Block : des boules de jonglage colorées, mais aussi des ustensiles de cuisine (couteaux) et les habits noirs, y compris les soutien-gorge noirs.


«Nous faisons un théâtre ouvert et insolent. Nous irritons… Nous avons été victimes de notre propre théâtre. Il n’est pas venu d’autre idée à l’esprit de la politique que de nous contraindre à jouer dans son propre spectacle –avec menottes, prison, coups et mauvais traitements»: c’est ainsi que l’un des membres de la VolxTheaterKarawane tente de s’expliquer ce qui s’est passé ensuite: après la fouille du bus, les 16 collaborateurs de la troupe ont tous été arrêtés. Sous surveillance policière, ils ont été maltraités, ont dû rester immobiles, debout contre un mur, durant des heures, ont été menacés en permanence, et les femmes ont été harcelées sexuellement par des policiers. On les traitait sans cesse de Black Block, puis on leur criait «Sieg Heil!» et «Heil Hitler!». Lorsqu’une comédienne suédoise demanda pourquoi on les retenait, un policier lui répondit par un coup qui lui valut un œil au beurre noir. Un policier leur aurait même dit: «Les gens comme vous, on les tue», rapporta le quotidien viennois Der Standard.


Les membres de la VolxTheaterKarawane ont été détenus pendant trois semaines. La faute en revient aussi au comportement des autorités autrichiennes. Les détenus ont eu l’impression d’être «baisés» dès la première visite officielle du consul autrichien. Il n’aurait pas pris au sérieux les récits de mauvais traitements et d’agressions sexuelles, d’après les gens de théâtre, qui se sont sentis totalement isolés dans la prison italienne. Après les mauvais traitements des premières journées et nuits, ils ont souffert de tension et de peur en permanence. C’est seulement après la visite d’une secrétaire de l’ambassade et du député européen vert Johannes Voggenhuber qu’ils ont eu le sentiment que quelqu’un s’intéressait à leur sort.


Dans l’intervalle, la ministre des affaires extérieures autrichienne, Benita Ferrero-Waldner (öVP), avait exprimé sa «pleine confiance» envers la justice italienne. Elle a montré peu de compréhension pour les saltimbanques détenus. Elle a déclaré sans gêne, devant les caméras, que les membres de la VolxTheaterKarawane avaient été «repérés» au Ministère de l’Intérieur comme manifestants «prêts à la violence». Ces informations ont d’ailleurs été transmises aux autorités italiennes par Benita Ferrero-Waldner. Les «manifestations du mardi» hebdomadaires contre le gouvernement, la gauche radicale et les Verts ont dans un premier temps été les seuls, dans le monde politique, à exiger la démission de la ministre. Le Parti Social-démocrate (opposition) s’est pendant longtemps abstenu de toute critique envers le gouvernement FP-öVP. La pression sur le gouvernement ne s’est accentuée qu’au moment où même des journaux conservateurs ont publié les accusations de torture et où une discussion publique sur l’illégalité juridique de la transmission des données a débuté. La ministre a alors fait volte-face d’un jour à l’autre: avec le même sourire rayonnant affiché pour condamner les gens de théâtre, elle exprimait soudain sa critique de la police italienne et: elle n’aurait de toute façon rien fait d’autre que de se baser sur les données du Ministère de l’Intérieur.


La sauvegarde des données au Ministère de l’Intérieur n’est en soi pas conforme au droit autrichien. Il s’agit en définitive d’ «observations» et de «fichage» de citoyen-ne-s innocent-e-s et dépourvu-e-s de tout casier judiciaire. La transmission des données à la Ministère des affaires étrangères, puis aux autorités italiennes, est définie par des experts en droit comme un abus de pouvoir évident. Une commission d’en-quête parlementaire doit maintenant mettre au clair cette procédure. Le fait que la ministre ne soit pas davantage dans le colimateur des attaques est notamment lié au manque de conscience de l’injustice, au sein de la population autrichienne, en matière de protection des données. L’opinion dominante veut encore que rien n’empêche de surveiller ceux qui n’ont rien à cacher. Et en Autriche, on est prompt à demander l’interdiction de l’art critique et provocateur.


Après trois procédures de vérification de détention et trois longues semaines, tous les membres de la VolxTheaterKarawane ont été libérés. Ils ont toutefois encore dû subir un refoulement humiliant à la frontière italo-autrichienne, au col du Brenner. Avec leurs avocats, ils examinent actuellement les possibilités de porter plainte contre la police italienne. Ils disent ne pas être intéressés par la publicité qui a soudain été faite en Autriche autour de leur troupe. Mais: «Nous avons reçu des invitations d’Italie, de Gênes. Cette tournée va durer plus longtemps que prévu. On ne peut pas retenir une caravane». Pour de plus amples informations sur la VolxTheateKarawane: www.no-racism.net/nobordertour


* Rédacteur de Die Linke, Bimensuel – Autriche


1 Caravane de théâtre populaire


2 Pas de frontière, pas de nation