La crise s'étend et s'approfondit. Un seul responsable: le capitalisme

La crise s’étend et s’approfondit. Un seul responsable: le capitalisme

Cela fait une année que la
crise des crédits hypothécaires subprime a
éclaté aux Etats-Unis. Entre-temps, des dizaines de
millions de personnes ont été plongées dans la
misère… et l’avenir paraît plus sombre
encore. Au début de ce mois, l’OCDE confirmait le
ralentissement économique aux Etats-Unis (probablement
déjà en récession), au Canada, au Japon, au
Royaume-Uni, dans la zone euro, et annonçait un retournement de
conjoncture en Inde et en Russie. Selon le FMI, même la Chine,
après trois décennies de forte croissance, va être
probablement touchée par cette spirale économique
descendante. Une récession généralisée
à l’échelle planétaire, si elle n’est
pas envisagée par la grande majorité des analystes, est
aujourd’hui possible.

On connaît le déclancheur de la crise:
l’explosion de la bulle du crédit immobilier aux
Etats-Unis et l’ébranlement consécutif du
système financier international. Le 16 juillet dernier,
l’action UBS, la banque européenne la plus touchée
par le tsunami financier d’Outre-Atlantique, atteignait ainsi le
niveau de 17,5 francs, contre 80,5, un an auparavant, le 1er juin 2007.
La première banque suisse, qui avait déjà
avoué des pertes nettes de 11,5 milliards de francs au premier
trimestre 2008, vient d’annoncer une nouvelle perte de 358
millions au 2e trimestre, soit près de 12 milliards sur six
mois. Pendant la même période, Fannie Mae, l’un des
deux géants du refinancement hypothécaire US, avec
Freddie Mac, évaluait les siennes à 4,7 milliards de
francs contre 1,4 milliard pour la Royal Bank of Scotland… et
les analystes tremblent dans l’attente de connaître
l’ampleur du bouillon que vont prendre les caisses
d’épargne centrales allemandes, très
engagées sur le marché immobilier américain.

«Machines à dépenser» en panne

L’hypothèse du découplage de la crise à
l’échelle internationale avait nourri les espoirs des
chantres du capitalisme. Le ralentissement US devait être
tempéré par une bonne résistance de la zone euro
et du Japon, mais surtout par une croissance soutenue des
économies émergentes, en particulier du Brésil, de
la Russie, de l’Inde et de la Chine. Cette hypothèse se
voit partiellement infirmée par la dynamique réelle de
ces économies. Elle était aussi bien fragile puisque la
demande internationale était tirée depuis six ans par les
consommateurs-trices US, «les machines à dépenser
les plus fébriles que le monde ait jamais connues»
(Fortune, 22 janvier 2008). Or, leur pouvoir d’achat sans
comparaison était lié au boom de l’immobilier, dont
les valeurs de référence avaient pratiquement
doublé, de1997 à 2006.

Cette crise a d’abord brutalement touché les petits
propriétaires immobiliers US, victimes de saisies ou
obligés de réduire brutalement leur niveau de vie pour
faire face à des engagements financiers insupportables. Ainsi,
au second trimestre 2008, les poursuites engagées par les
créanciers hypothécaires ont littéralement
explosé: 121% de plus qu’au second trimestre de
l’année précédente, affectant de larges
secteurs des couches moyennes inférieures, notamment parmi les
minorités noires et latino-américaines. Le même
phénomène se développe aujourd’hui en
Angleterre, où 120 familles perdent chaque jour leur logement,
mais aussi en Irlande et en Espagne.

Un système inhumain

Les salarié-e-s ont aussi été frappés de
plein fouet: d’abord, les 100 000 employé-e-s des banques
qui ont perdu leur emploi depuis un an à l’échelle
mondiale, mais aussi les millions de travailleurs-euses
licenciés ou précarisés dans les secteurs les plus
concernés par le ralentissement économique. Mais la
récession qui pointe le nez aux Etats-Unis et menace
l’économie mondiale pourrait se traduire par des dizaines
de millions de chômeurs-euses supplémentaires. Aux USA
seulement, le taux de chômage devrait atteindre 6,7% en 2010,
voire 8,4% en 2011, contre 4,6% en janvier de cette année,
touchant ainsi 3,2 à 5,8 millions de salarié-e-s de plus.
Aujourd’hui déjà, il s’agit de la
première cause de défaut de paiement des
propriétaires insolvables.

Autre conséquence de l’éclatement de la bulle
immobilière, la formation de bulles spéculatives de
substitution sur les marchés des biens alimentaires et des
combustibles (NZZ, 11 avril 2008). En mars de cette année,
l’index des prix des produits alimentaires de la FAO avait ainsi
augmenté de 57% par rapport à un an auparavant (de 220%
par rapport à la moyenne des années 1998-2000). Selon
l’ONU, le nombre de personnes souffrant de la faim s’est
ainsi accru de 50 millions.

L’éclatement de la crise des crédits subprime a
ainsi libéré tous les démons d’un
système économique déséquilibré,
d’autant plus brutalement qu’ils avaient été
contenus par un artifice. Tant que le travail reçoit une part
décroissante des richesses produites et le capital une part
croissante, qu’il valorise de plus en plus dans la sphère
financière, il n’y a pas de croissance
équilibrée possible, sans parler d’une
économie qui satisfasse les besoins humains fondamentaux en
respectant les grands équilibres environnementaux.

Une alternative globale nécessaire

Interrogé par Swissinfo, le 13 août dernier, Jean-Pierre
Béguelin, chef économiste de la banque Pictet & Cie
tenait ces propos déconcertants: «Mes motifs
d’inquiétude ne sont pas négligeables, en grande
partie parce que je ne les identifie pas…» En effet, nul ne
peut prédire où cette réaction en chaîne va
conduire… Plus politique, un commentateur économique du
Financial Times appelait de ses voeux un sursaut d’audace des
pouvoirs publics: «Je crains maintenant que la combinaison de la
fragilité du système financier avec les gigantesques
profits qu’il génère pour ceux qui en tirent parti
ne détruise quelque chose d’encore plus important dans le
monde: la légitimité de l’économie de
marché elle-même. C’est pourquoi il est temps de
penser de façon radicale aux moyens de régler ces
problèmes» (16 janvier 2008).

Une chose est sûre: les attaques aux conditions de vie de larges
secteurs de la population mondiale vont s’intensifier. Il est
donc urgent que le monde du travail ainsi que toutes celles et ceux qui
pâtissent de cette logique mortifère cessent de se laisser
enfermer par les contraintes d’un tel système. C’est
pourquoi solidaritéS ne peut se contenter de défendre les
acquis sociaux des années de haute conjoncture contre les
politiques néolibérales, ni même d’affirmer
son opposition au capitalisme, mais doit s’engager, avec
d’autres, dans la redéfinition d’un projet de
société solidaire, féministe et écologiste,
au-delà du capitalisme: le socialisme du 21e siècle.

Jean Batou