Quand les apprenti·e·s trinquent, les patrons dansent

Quand les apprenti·e·s trinquent, les patrons dansent



La dernière révision de
la loi sur la formation professionnelle votée par la
majorité de droite du Grand Conseil vaudois offre un juteux
cadeau aux patrons, sur le dos des apprenti·e·s.

Depuis 1965, les employeurs du canton de Vaud payaient la moitié
de la prime d’assurance des apprenti·e·s. Un coup
de force de la droite patronale au Grand Conseil a
entraîné la suppression de cette aide, pourtant
indispensable pour de nombreux jeunes en formation et leur famille,
à l’heure où les primes ne cessent
d’augmenter. Si la pression des syndicats, qui menaçaient
de lancer une initiative, a contraint la majorité bourgeoise
à adopter un compromis, celui-ci reste largement
défavorable aux apprenti·e·s. En effet, ceux-ci
toucheront désormais une indemnité forfaitaire pour frais
professionnels de 960 francs par an, quand la prise en charge de la
moitié des primes par les employeurs s’élevait en
moyenne à 1800 francs. Un cadeau aux employeurs estimé
à quelque 7 millions de francs annuel par le
député d’A Gauche Toute Bernard Borel (Le Courrier
du 2 juin). Cette attaque dirigée contre les revenus des jeunes
travailleurs et travailleuses montre qu’il y a loin de la parole
aux actes, avec un gouvernement qui jure à chaque
conférence de presse vouloir aider les
apprenti·e·s en période de crise, et qui dans le
même temps s’attaque frontalement à leur
rémunération.

Temps de crise

D’ailleurs, en cette période de crise économique
majeure, le Conseil d’Etat paraît incapable de saisir la
gravité de la situation pour les nombreux jeunes qui vont
arriver sur le marché du travail à l’automne, comme
pour celles et ceux qui, finissant l’école obligatoire,
vont se mettre à la recherche d’une place
d’apprentissage. Le chômage des jeunes augmente pourtant de
manière brutale, avec une hausse de 54 % en un an pour
les 15-24 ans : lorsqu’en février dernier
l’Union syndicale suisse annonçait que 30 000
jeunes seraient au chômage d’ici à la fin 2010,
beaucoup de commentateurs dénonçaient l’alarmisme
de la gauche et la recherche du coup médiatique. Or, en mai,
ça a été au tour du nettement moins gauchiste
Employeur suisse, le journal de l’Union patronale suisse,
d’articuler le chiffre de 43 000 jeunes au chômage
d’ici 2010, soit une augmentation annoncée de
23 000 sans-travail ! Quant aux places
d’apprentissage, il en manque de manière chronique quelque
10’000 en Suisse chaque année. Et la crise va, à
n’en pas douter, aggraver la situation, comme le laisse
présager par exemple un récent communiqué
d’UBS qui annonce, malgré les 68 milliards d’aide
qui lui ont été généreusement 
avancés par les contribuables du pays, qu’elle
réduira de moitié son effectif
d’apprenti·e·s à la rentrée (à
l’autre bout de la hiérarchie, les cadres, eux, peuvent se
rassurer, ils verront leur salaire augmenter de 50 %, comme le
révélait le 24 Heures du 18 mai).
Sur le plan national – car la lutte contre le chômage doit
d’abord être menée à l’échelle
du pays – trois mesures au moins s’avèrent urgentes.
Pour les jeunes qui finissent leur formation et qui se retrouvent au
chômage, il est nécessaire de supprimer la condition de
douze mois préalables de cotisation pour avoir le droit aux 400
jours d’indemnité de l’assurance (le Conseil
fédéral veut au contraire exiger 15 mois !). Cette
condition est en effet profondément injuste, car les jeunes
sans-travail ne sont évidemment pas responsables de
n’avoir pu cotiser  préalablement durant une
année ! Il faut également obliger les employeurs
à signer des contrats de stage fixant des objectifs de formation
précis et une rémunération minimale de 2’000
francs par mois pour les stagiaires. En effet, en ces temps de crise et
d’augmentation du chômage des jeunes, les employeurs
profitent de plus en plus souvent d’engager des stagiaires pour
faire le même travail qu’un employé·e
qualifié, mais avec une rémunération bien
moindre…
Quant aux jeunes qui recherchent un apprentissage, il est grand temps
que le gouvernement leur vienne en aide en faisant passer à la
caisse les entreprises qui ne forment pas
d’apprenti·e·s (la loi parle officiellement
d’apprenant·e). En effet, le manque de places
d’apprentissage est dû avant tout au
désinvestissement massif des employeurs ces dernières
années : en 1980, une entreprise sur trois formait des
apprenti·e·s, contre une sur cinq actuellement.
Pourtant, dans le canton de Vaud, au lieu de faire payer les
entreprises qui n’assument pas leurs responsabilités en
matière de formation, le Conseil d’Etat a choisi
d’augmenter les subventions en faveur des employeurs, de 500
francs pour chaque place maintenue et de 5000 francs pour chaque place
créée. Non seulement ce genre de mesures tend à
faire assumer aux contribuables le coût de la formation, à
la place des employeurs, mais en plus elles sont d’une
efficacité très limitée. Une récente
étude a ainsi montré qu’en Autriche où le
gouvernement a adopté un programme de subventions assez
semblable en 2005, 75 % des places d’apprentissage
auraient été créées de toutes
manières, avec ou sans subvention. Les subventions tous azimuts
représentent une fois de plus de véritables cadeaux aux
patrons !

Offensive syndicale nécessaire

A défaut d’être en mesure d’organiser une
grève des apprenti·e·s vaudois-es pour des hausses
de salaire et des conditions de travail acceptables, les syndicats du
canton, avec le soutien de toute la gauche, doivent mettre leur menace
légitime à exécution, pour récupérer
l’argent qui a été volé aux
apprenti·e·s au profit des employeurs : il faut
lancer une initiative cantonale visant à faire assumer
l’entier des primes d’assurance-maladie par les patrons.
Pour les syndicats, c’est  une question de
crédibilité. 

Hadrien Buclin