Le combat pour les droits égaux

Le combat pour les droits égaux



Savez-vous pourquoi en Suisse les
femmes ont pu étudier le droit ou la médecine près
d’un siècle avant d’avoir accès aux
urnes ? Que Genève fut le premier canton à
accorder des droits civils aux femmes ? Qu’en 1872 Marie
Goegg édite
« Solidarité » ? En juin
dernier, l’Association suisse pour les droits de la femme
fêtait son centenaire. Pour marquer
l’événement, elle offrait au public un ouvrage
magnifique paru aux éditions Schwabe.

Sur quelque 400 pages, Der Kampf um gleiche Rechte – Le combat
pour les droits égaux retrace la lutte difficile et
bientôt centenaire pour les droits égaux. Les
éditrices de cet ouvrage donnent la parole à une
trentaine d’historiennes en laissant chacune d’elles
s’exprimer dans sa langue maternelle. Il y a une vingtaine de
contributions, dont huit rédigées par des francophones.
Le livre contient en outre de brèves biographies des
protagonistes de la lutte pour les droits égaux, tantôt en
allemand, tantôt en français.
Précédés d’une introduction de Ruth
Dreifuss, les textes sont agréablement illustrés. La
première partie intitulée La Suisse, coalition
d’hommes retrace les discriminations dont les femmes
étaient victimes, il n’y a pas plus d’un
siècle. Le deuxième chapitre nous parle de la
création de réseaux nationaux et internationaux, sur
lesquels se sont appuyées les suffragettes de
l’époque. Après la description des
stratégies de la lutte pour les droits politiques, nous arrivons
au chapitre passionnant sur les alliances pour la réalisation de
l’égalité en droit. Dans son article sur La
création et les débuts des premiers groupes suffragistes,
Corinne Dallera trace une fine analyse des origines de ces groupes, qui
sont d’inspiration chrétienne protestante. La même
chercheuse nous livre une biographie d’Auguste de Morsier
(1864-1923), journaliste et féministe convaincu, membre
fondateur de l’Association genevoise pour le suffrage
féminin et par la suite premier président de
l’Association suisse.

Six générations de femmes en lutte

A la lecture du livre, nous voyons défiler six
générations de femmes qui, avec des hommes à leur
côté, luttent pour leurs droits. Les toutes
premières demandent seulement la reconnaissance comme
êtres humains, puisque la qualité d’êtres
doués de raison et capables d’apprendre est
réservée aux hommes. Par la suite, elles luttent pour
l’obtention de quelques droits civils :
l’introduction du mariage civil est décidée en 1874
et en 1881, au niveau fédéral seulement,
l’institution de mise sous tutelle des femmes est abolie.

    Une contribution des plus intéressantes est
celle de Elisabeth Joris, qui retrace très clairement, sur moins
de dix pages, la genèse et les péripéties de
l’initiative populaire acceptée en votation le 14 juin
1981. Dans une excellente contribution, Nicole Gysin expose comment les
militantes féministes introduisent l’idée des
quotas dans leurs partis (POCH, PS), mais n’arrivent pas à
convaincre en votation populaire. Avec son article sur la
féminisation de la langue, Simone Chapuis-Bischof aborde un
domaine de prime abord différent. Elle examine la pratique tant
au niveau fédéral que cantonal et conclut qu’au
moins pour les francophones, « la bataille est loin
d’être gagnée et les féministes ont encore du
pain sur la planche ».

L’université cherche des clientes

    Pas facile de conseiller un article à lire
pour qui veut juste se faire une idée du livre. Mon coup de
coeur va à la contribution de l’historienne Nathalia
Thikanov-Sigrist. Elle expose comment la Suisse est devenue,
malgré tout, un des premiers pays à admettre des femmes
à l’université : au tournant du XXe
siècle, dans ce pays de 3’300’000 habitants,
l’offre de places d’études des sept
établissements supérieurs dépassait largement la
demande. Dès lors, les universités suisses
décidèrent de modifier leurs statuts et d’ouvrir
les études aux femmes, espérant ainsi d’attirer la
clientèle étrangère. De toute façon, ces
diplômées ne risquaient pas de devenir concurrentes de
leurs collègues masculins, car l’exercice des professions
libérales (médecine, droit) était
réservé aux hommes ayant réussi les examens
fédéraux de capacité.

    Remarquable aussi, le texte de Corinne Dallera, qui
nous parle de la création des premiers groupes suffragistes en
Suisse romande, des femmes de la bourgeoise et de celles des classes
moyennes qui s’organisent.

    Si les lectures en allemand ne vous
découragent pas, je vous recommande les contributions de Carole
Arni Republikanismus und Männlichkeit in der Schweiz
(Républicanisme et virilité en Suisse) et de Regina
Wecker Das Ringen um die Gleich­stellung in den
Sozialversicherungen (Le combat pour l’égalité dans
les assurances sociales).

    Le bilinguisme du livre risque de faire obstacle
à une large diffusion, trois cinquièmes des textes
étant rédigés en allemand, mais il présente
l’intérêt de démontrer quels sujets tiennent
à cœur de manière différenciée aux
chercheuses alémaniques et romandes. Je suis certaine que ce bel
ouvrage fera le bonheur de beaucoup de lecteurs et lectrices. Les
historien·ne·s pourront puiser dans une mine
d’informations; les féministes s’amuseront; les
lecteurs de solidaritéS auront le grand plaisir de
découvrir le combat de six générations qui
luttèrent toute leur vie pour un idéal.


Anna Spillmann