Secret bancaire: une propagande mise à nu

Secret bancaire: une propagande mise à nu

Ce que les milieux dirigeants de ce pays essaient d’inscrire dans
la tête de chaque habitant·e depuis des décennies,
ce que matraque la grande presse quotidiennement, c’est que le
secret bancaire est vital pour la place financière
helvétique et pour la Suisse dans son ensemble : pour son
économie, ses emplois et même son
« identité » la plus profonde…
En 1931 déjà, le conseiller fédéral
Jean-Marie Musy prononçait un discours sur « la
question du contrôle des banques » devant un
parterre de banquiers suisses réunis pour leur assemblée
annuelle : « La fuite de capitaux déposés
dans nos banques, qui pourrait être la conséquence de
l’institution du contrôle officiel, causerait à
notre économie nationale un mal dont le peuple tout entier
aurait à souffrir ».

    Cette propagande a continué au cours des
années avec une constance redoutable. Pour lui donner un vernis
de scientificité, les milieux dirigeants et le patronat bancaire
s’appuient sur quelques études menées par des
« experts ». Ainsi d’une publication du
Professeur lausannois J.-C. Lambelet commanditée par les banques
privées genevoises et parue en 2001, qui affirme dans sa
conclusion que si le secret bancaire était affecté, cela
aurait des « conséquences
catastrophiques » pour la Suisse. Le Prof. Lambelet, qui
n’a pas froid aux yeux, avance même qu’il faudrait
« fermer Genève » en cas de
levée du secret bancaire !

    Or, au cours de 2009, les autorités
fédérales ont été obligées
d’affaiblir le secret bancaire de manière non
négligeable, en renonçant à la distinction entre
fraude et évasion fiscales (lire l’interview en pages 10
et 11 de ce journal). S’en est-il suivi, comme le martelaient en
chœur le Conseil fédéral et les milieux bancaires
un écroulement de la place financière suisse ? Y
a-t-il eu des faillites de banques en cascade et un effondrement de
l’économie ? Pire, Genève aurait-elle
été rayée de la carte ?

    Non seulement rien de tout cela ne s’est
produit, mais en plus, selon le dernier rapport de la Banque nationale
suisse, la somme totale des actifs étrangers sous gestion dans
les banques suisses en 2009 est restée quasiment stable. Les
banquiers privés ont même reçu passablement de
nouveaux dépôts (ce qui n’empêche
d’ailleurs pas les banques, UBS en premier lieu, de licencier
pour accroître leurs marges de bénéfices).

    Car où les riches fraudeurs trouveraient-ils
des conditions aussi avantageuses qu’en Suisse ? Quel
autre paradis fiscal possède une monnaie aussi puissante et des
entreprises de premiers rangs dans des secteurs aussi divers et
essentiels que l’agroalimentaire, les technologies informatiques,
la pharma, les assurances, l’horlogerie, la cimenterie,
l’import-export, l’industrie des machines, etc. En outre,
les paradis fiscaux concurrents comme Jersey, Hong-Kong, Singapour ou
le Liechtenstein sont aussi sous pression internationale et ne
constituent donc guère des alternatives à la Suisse.

    Il faut savoir que la gestion de fortune, si elle
engendre de gros bénéfices que se partagent les
propriétaires et les dirigeants des banques, ne crée en
revanche que peu de postes de travail. Quand on sait qu’un
gestionnaire de fortune administre un portefeuille de l’ordre de
200 millions de francs en moyenne, il n’y a pas besoin
d’être très doué en économie pour
comprendre que les possibilités de création
d’emploi sont limitées.

Non seulement toute la propagande autour d’un secret bancaire
prétendument vital au pays s’est avérée
n’être que du vent, mais il se pourrait bien que la
vérité soit à chercher dans l’affirmation
opposée : le secret bancaire entraîne des
coûts élevés, en particulier pour les
salarié·e·s et les gens ordinaires, ceux et celles
qui n’ont pas la chance d’être multimillionnaires.
    La principale raison est assez simple à
saisir : le secret bancaire offre aux riches résidant en
Suisse la possibilité de frauder le fisc du pays. Rappelons que
si la distinction entre fraude et évasion est en train
d’être supprimée pour les fiscs d’une
série de pays, elle ne l’est pas pour le fisc
suisse ! Le manque à gagner pour les collectivités
publiques se montent à plusieurs milliards par année, une
somme que les salarié·e·s doivent doublement
payer : par une charge fiscale plus élevée
d’un côté et des plans
d’austérité, de l’autre.

    De plus, la défense du secret bancaire et
d’une place financière axée sur la gestion de
fortune a pour corollaire une politique monétaire nuisible aux
salariés, car le maintien d’un franc fort pénalise
les exportations suisses dans un contexte de crise économique
où les licenciements et les mesures de mise au chômage
partiel dans l’industrie et les services se comptent par millier.

    Dans ces conditions, il est vraiment
incompréhensible que le Parti socialiste et l’Union
syndicale suisses ne prennent pas clairement position en faveur de la
suppression du secret bancaire en matière fiscale. Le Parti
socialiste s’est à ce point rallié à la
vision des classes dominantes qu’il ne prend même plus la
peine de maintenir la division traditionnelle du travail entre une
direction du parti critiquant le secret bancaire et des ministres
socialistes au Conseil fédéral le défendant bec et
ongles !

    C’est d’autant plus regrettable que,
d’un point de vue internationaliste, le secret bancaire contribue
à priver les Etats du Tiers-Monde de quelque 5 à 10
milliards de recettes annuelles, somme qui permettrait de créer
dans ces pays des centaines de milliers d’emploi. Cette
réalité fait du secret bancaire non seulement une
nuisance pour les salarié-es vivant en Suisse mais encore un
instrument honteux de l’exploitation économique des pays
pauvres.

Hadrien Buclin