Courrier des lecteur·trice·s

Courrier des lecteur·trice·s

Les deux articles contradictoires
publiés dans les numéros 162 et 163 de notre journal sur
la trajectoire d’Emilie Gourd, la militante féministe
genevoise de la première moitié du 20e siècle qui
fonda « Le Mouvement féministe » (une
rue et un collège secondaire portent son nom), ont
suscité des réactions opposées de deux lectrices.
Nous les publions sans commentaires. (JB)

Questionner les positions d’Emilie Gourd : une démarche indispensable…

Ces quelques lignes pour saluer le contrepoint nécessaire de
Stéfanie Prezioso à l’article d’Anna
Spillmann au sujet d’Emilie Gourd, car si je peux partager
jusqu’à un certain point l’admiration que cette
brillante intellectuelle et femme de terrain de la deuxième
génération de féministes helvétiques
suscite chez Anna Spillmann, je reconnais que le manque de perspective
critique m’inquiète fortement. D’autant plus
qu’au lieu d’informer, comme le souhaiterait
l’auteure qui prétend que l’engagement social
d’Emilie Gourd est méconnu, l’article me semble
davantage occulter les éléments qui nous permettraient
aujourd’hui de mieux saisir les contours de cette trajectoire
féministe du tournant du 20e siècle.
    En ce sens la riposte de Stéfanie Prezioso me
paraît très convaincante, puisqu’elle ne se limite
pas à l’énumération de faits mais
questionne, différencie, problématise, pointe les enjeux
majeurs, appelle à la vigilance et nous invite à
réfléchir pour mieux prendre position. Posture
intellectuelle et militante qu’Emilie Gourd n’aurait
d’ailleurs probablement pas reniée !


Fiorella Castanotto,

réalisatrice

Emilie Gourd était-elle raciste ?

(…) C’est tout à fait possible qu’Emilie
Gourd ait énoncé des opinions racistes au début du
20e siècle. Anna Spillmann ne les a pas rapportées
d’ailleurs.
    Stéfanie Prezioso oublie la dimension
historique. Au début du 20e siècle pratiquement tout le
monde était raciste – d’après les
critères actuels du 21e siècle. Le catalogue des
critères du racisme, il fallait le développer au long du
20e s. Il fallait qu’Albert Memmi, par ex., écrive ses
livres sur le colonialisme et le racisme. Son Portrait du
colonisé a paru dans les années 50 – toujours une
lecture à recommander.
    J’ai l’impression que les idées
et les critiques de Stéfanie Prezioso sont celles d’une
gauchiste qui n’a pas vécu le mouvement des femmes dans
les années 1970–90 en Suisse et ailleurs. Elle ne
connaît pas le féminisme depuis l’intérieur.
Autrement, elle saurait que le mouvement des femmes a laissé
derrière soi les catégories de la gauche et de la droite.
Ces catégories ne sont pas vraiment applicables aux besoins des
femmes. Ces catégories sont des idées patriarcales, des
idées politiques développées pour une
société patriarcale au début du 19e siècle,
dans la Révolution française. Les femmes en ont
été écartées – voir Olympe de Gouges,
qui a dû payer ses idées égalitaires sur
l’échafaud…
    Si tel n’était pas le cas il ne serait
pas possible que sur certains problèmes, les
féministes progressives et les femmes bourgeoises arrivent
facilement à coopérer… comme par ex. pour
l’assurance maternité.

Barbara J. Speck,

enseignante retraitée