Drame de Bochuz: un mort qui accuse

Drame de Bochuz: un mort qui accuse



Le 11 mars, la Police cantonale et le
Service pénitentiaire (SPEN) publient un communiqué
commun, expliquant les raisons de la mort par asphyxie d’un
détenu de Bochuz, Skander Vogt. Une issue dramatique, certes,
mais tout entière due au comportement du détenu, selon ce
texte. Sept semaines plus tard, Philippe Leuba, chef du
Département de l’Intérieur espère
s’être enfin dépatouillé de cette affaire.
Pas sûr.

Il y a eu d’abord la publication des communications entre le
pénitencier, la centrale d’appel et les membres du Dard
(les forces spéciales de la police). Outre le mépris de
Skander Vogt qu’elles traduisent, son rabaissement au statut
d’emmerdeur dont on souhaite être débarrassé,
ces dialogues laissent voir une réalité bien
différente de celle du lénifiant communiqué.

    Au Grand Conseil, la gauche (PS, Verts et AGT
— Pop et solidaritéS) interpelle le responsable de la
boutique, Philippe Leuba. Celui-ci s’étonne, explique
qu’il a demandé un deuxième rapport interne
à la cheffe du SPEN, les conclusions du premier ne l’ayant
pas satisfait (ah, bon ? tiens donc…) et qu’il va nommer
un expert externe pour évaluer le fonctionnement de son
administration dans cette affaire.

« Cacher la merde au chat »

En fait d’expert externe, nous fûmes servis. Leuba a en
effet été rechercher l’ancien juge cantonal Jomini,
dont l’incontestable « expertise »
avait déjà permis de laver de tout soupçon la
police cantonale dans l’affaire de l’infiltration
d’Attac par des agents de Securitas. Son rapport avait en quelque
sorte « caché la merde au chat » pour
parler dans le langage cru de la pénitenciaire et du Dard.

    Manque de pot, cette fois, la ficelle est un peu
grosse : l’ancien juge cantonal préside en effet la
Fondation vaudoise de probation dont la vice-présidente
n’est autre que la cheffe du SPEN, Catherine Martin… Cette
tentative d’enquêter entre coquins et copains
soulève un tollé et François Jomini est
forcé de renoncer à sa nomination.

    Retour donc à la case départ pour
Leuba, qui finit par trouver quelqu’un d’un peu moins
inséré dans le sérail libéralo-radical
vaudois. Claude Rouiller, ancien président du Tribunal
fédéral, est en plus socialiste. Un
« bon » socialiste, puisqu’il
préside l’autorité de surveillance de la Bourse
suisse. Il est nommé le 27 avril.

Sur le fond

Son rapport fera certainement état de dysfonctionnement,
d’instructions et de règlements aux formulations absurdes,
de procédures kafkaïennes, d’absence de coordination
entre les services, etc. Mais deux autres éléments ont
pesé lourdement dans cette affaire. Le premier, ce sont les
conséquences de la politique d’austérité et
d’économies appliquée par le département et
la cheffe de service du SPEN, qui ont créé un état
de fait dénoncé par la Commission de gestion du Grand
Conseil, qui écrivait, avant la mort de Skander Vogt, que des
incidents graves étaient possibles « dans une
situation de surpopulation aggravée par la prise en charge de
cas dont la pathologie et ou la dangerosité ne trouvent pas de
réponse ». Deuxième élément
lourd, la décision de maintien en détention et
d’internement de Skander Vogt, alors qu’il n’avait
commis que de petits délits et qu’il souffrait de troubles
de la personnalité. Cette mesure était totalement
inadéquate, lui barrant l’accès à une
réadaptation psychosociale nécessaire à une vie en
dehors du milieu carcéral. C’est de cela que devront
rendre compte la justice et le gouvernement et non pas seulement deux
ou trois lampistes.

Daniel Süri