Pour le septième siège... l’essentiel c’est de participer

Pour le septième siège… l’essentiel c’est de participer

Depuis 40 ans, deux membres du PSS siègent au Conseil fédéral. Pas question ici de suffrage «universel», fut-il réduit aux seuls Suisses – ils-elles sont choisis par la majorité de droite du parlement …pour mener une politique de droite! Notre article sur la genèse de la «formule magique» décrit l’origine de ce mécanisme. Il est vrai qu’aujourd’hui, il s’agit moins que par le passé, par cette participation du PS au gouvernement d’intégrer et de canaliser dans les voies du consensus un mouvement ouvrier menaçant, dans l’esprit de la «paix du travail», il s’agit plutôt de trouver les meilleurs gestionnaires possibles du démontage social néolibéral.


Néanmoins, la course aux sièges au Conseil fédéral est ultra-médiatisée et «vendue» comme si elle correspondait à des enjeux réels importants, qui seraient liés à l’accession de tel ou telle à un siège de ministre, à ses racines cantonales, performances linguistiques et autres spécificités personnelles. Il n’en est évidemment rien, et tout le brouhaha médiatique, sur le devant de cette scène-là, est à cent lieues des préoccupations réelles des salarié-e-s de ce pays: en matière de pouvoir d’achat, d’emplois, de logement, de santé, de sécurité sociale…

Le pouvoir est ailleurs

En effet, les papables ne sont jamais et ne sauraient être porteurs d’un quelconque projet politique qui ne se coule pas dans le moule dominant, par ailleurs la réalité – ou plutôt l’irréalité ! – de la démocratie dans ce pays fait que les décisions véritables sont le fait bien plutôt des «décideurs» économiques, à chercher du côté de l’organisation patronale economiesuisse par exemple, servis avec zèle par des grands commis de l’administration auquel le PSS fournit son quota de gestionnaires qualifiés, que du Conseil fédéral.


Aujourd’hui, toutes tendances confondues, le PSS veut donner une nouvelle collègue issue de ses rangs à Moritz Leuenberger, illustre pour son credo du tout-au-marché et qui s’est vu privé pour le moment …de privatisation électrique par le NON populaire à la LME. Ceci ne l’empêche pas de maintenir le cap du démantèlement du service public postal en s’attaquant aujourd’hui aux centres de tri, comme en maintenant la pression au démontage du réseau de bureaux de poste, comme d’ailleurs de faire bouillir la marmite en vue d’une LME bis.


Il s’agit en cette fin d’année de remplacer la conseillère fédérale Ruth Dreifuss, dont le bilan sur l’assurance maladie se traduit par une charge insupportable pour la majorité des habitant-e-s de ce pays, ouvrant la voie aux «solutions» faites de restriction de l’accès aux soins pour les moins riches et d’une médecine à vitesses multiples, qui aggraveront encore ces inégalités de classe face à la vie et à la mort, confirmées régulièrement par de nouvelles études, comme celle que vient de rendre public Caritas, intitulée «Les pauvres vivent moins longtemps» et qui montre qu’un ouvrier non qualifié, en Suisse, meurt quatre ou cinq ans avant un universitaire.1

L’appel aux sacrifices

Il s’agit aussi, en invoquant l’exigence légitime de parité hommes/femmes, de remplacer – par une femme – l’une d’entre elles, qui a eu le douteux «courage» d’appeler les femmes, au nom de la raison d’Etat, ou de celle des finances de l’Etat, mises à mal par l’évasion et les cadeaux fiscaux aux riches, à ce «gros sacrifice, qui n’est pas proportionnel aux progrès réalisés en matière d’égalité des sexes»2, qu’a été l’élévation de leur âge d’accès à la retraite.


Depuis l’annonce de la démission de Ruth Dreifuss, on assiste à un spectacle édifiant: l’assaut déterminé du Conseil fédéral par la conseillère d’Etat genevoise Micheline Calmy-Rey, dont les médias saluent le «rare professionnalisme» et qui est donnée favorite, en est un volet particulièrement instructif.


Les commentateurs bourgeois mettent en exergue le talent avec lequel celle-ci a su se poser en soutien au Conseil fédéral dans sa défense du secret bancaire, qui occupe une place centrale, sur les plans non seulement économique, mais aussi idéologique, du point de vue de la Suisse impérialiste. «Le secret bancaire touche à la souveraineté nationale», a pu titrer la Tribune de Genève sur cinq colonnes, citant Micheline Calmy-Rey3. Nous relations à ce propos, dans notre dernière édition4, le premier acte d’un numéro navrant des socialistes genevois qui, avec un art consommé, lui ont servi de rampe de lancement en la matière au Grand Conseil genevois, pour revenir ensuite à des propos un tant soi peu plus décents quinze jours plus tard, en l’absence d’une Calmy-Rey, déjà en orbite à Berne.


De Hans-Rudolf Merz, candidat-président malheureux du parti radical, dont ce parti devra se passer, vu ses complaisances trop ouvertes envers l’Apartheid et ses fonctions au service de Schmidheiny, empêtré dans les suites mortelles du marché de l’amiante, au sénateur UDC argovien Reimann… comme le relève Le Temps, on ne «tarit pas d’éloges à son endroit». Son «pragmatisme et ses compétences ont conquis les milieux économiques», lit-on5.

Des gages solides… à la droite

Les signaux que lance Calmy-Rey sont à droite toute: elle n’a «pas lancé de pavés en mai 68» rajoute un commentateur du Temps 6, alors qu’aux quatre coins de l’Europe, des centaines de milliers de jeunes dans la rue – contre la guerre et la mondialisation capitaliste – font surgir le spectre d’une forme de nouveau 68… Elle se montre ouverte à un deuxième siège pour l’UDC du milliardaire Christoph Blocher au gouvernement. Interrogée au TJ sur l’assurance maladie, cette successeure présumée de Ruth Dreifuss, n’évoquera pas un instant deux idées défendues même par certains politiciens bourgeois: la caisse unique nationale et des primes en fonction du revenu. Elle invoquera seulement sa méconnaissance des «détails» du dossier et la proposition d’un gel des primes – pour se donner le temps de voir – recette déjà testée sans succès au début des années nonante. Cerise sur le gâteau, on nous signale, fort à propos par les temps qui courent, que la candidate genevoise «a répondu NON» à la question de savoir si ell était favorable à une réduction de 50% du budget militaire.7


Alors Calmy-Rey fait-elle tout faux? Au contraire! Elle fait tout juste – jusqu’à la caricature – et réalise un parcours «sans fautes» dans la course au siège visé! Mais la rigueur même avec laquelle elle y travaille jette une lumière crue sur la réalité du PSS. Contrairement à d’autres partis sociaux-démocrates, sa présence gouvernementale en continu lui permet moins d’alterner dans le temps des discours «à gauche» et des ères d’allégeance ouverte et de surenchère dans le sens correspondant aux visées du capital. Le PSS est ainsi souvent obligé de tenter de tout faire simultanément.

Un système bien rôdé

C’est ce qu’explique Leuenberger, réagissant aux critiques des Jeunesses socialistes suisses demandant sa démission post-LME ou à celles du conseiller national Pierre-Yves Maillard le vilipendant pour son néolibéralisme indécrottable. Il y a répartition des rôles explique avec une rare franchise Moritz Leuenberger: Moi aussi – répète-t-il ad nauseam – je critiquais le conseiller fédéral du PS Willy Ritschard (à propos du nucléaire) quand j’étais jeune (et en phase ascendante). C’est «naturel» renchérit-il, illustrant la nature fonctionnelle, pour le PSS, du double discours permanent, qui permet d’éviter des débâcles à la Jospin. Il est vrai que pour Calmy-Rey, les évènements se sont précipités et qu’elle a dû jouer plusieurs partitions à bref intervalle.


Notons dans ce concert, le timide coup de triangle de l’édito du dernier numéro du journal socialiste romand Pages de gauche, qui «pose la question de savoir si la permanence inconditionnelle des socialistes au gouvernement fédéral se justifie encore», et qui «appelle à un large débat» sur cette participation, laissant au passage à l’UDC, le soin d’agiter de manière démagogique et opportuniste une vieille idée démocratique du PS – l’élection du Conseil fédéral «par le peuple», sur un programme, plutôt que dans les combinaisons de couloir du Palais fédéral.8

Construire une opposition réelle

Pour nous, la question posée dans Pages de gauche est bien sûr tranchée. La participation socialiste au gouvernement se justifie et n’appelle guère de débat. Elle est utile, nécessaire et remplit bien son rôle! Malheureusement, ce rôle là est d’être d’abord au service de la bourgeoisie, dont les représentants, ultra-majoritaires aux Chambres, combleront sans doute le vide «socialiste» laissé par Ruth Dreifuss par un-e élu-e du même parti, dont les compétences réelles en matière de gestion seront sans aucun doute bienvenues à bord, de leur point de vue, par les temps qui courent.


La vraie question c’est de reconstruire – dans ce pays – un rapport de forces appuyé par des grèves, des mouvements et des manifestations indispensables face à l’arrogance des employeurs et aux politiques d’austérité, relayées par les exécutifs cantonaux …dans lesquels siègent des élu-e-s du PS. Mais c’est aussi de reconstruire un vrai parti …socialiste, dont le «socialisme» ne se résume pas à une gestion plus ou moins soft du capitalisme néolibéral, mettant en avant la volonté illusoire de guérir le capitalisme de ses «maladies», mais qui reconnaisse que la maladie c’est précisément le capitalisme, avec lequel il faut rompre.


Pierre VANEK

  1. Les pauvres vivent moins longtemps Couche sociale, mortalité et politique de l’âge de la retraite en Suisse (100 p. 15.80 Fr.) disponible c/o Caritas Suisse Tél. 041 41922 22
  2. Pourquoi faut-il relever l’age de la retraite des femmes ? réponse de Ruth Dreifuss
  3. Tribune de Genève, 5.11.02
  4. Union sacrée autour du secret bancaire in solidaritéS No 16 du 8.11.02
  5. Le Temps 17.11.02
  6. Le Temps, 18.11.02
  7. Le Temps, 25.11.02
  8. L’élection du Conseil fédéral au suffrage «universel» – à l’époque sans les femmes et toujours fermé aux étrangers résidents – a fait l’objet de deux initiatives populaires fédérales du parti socialiste soumises au vote en 1900 et en 1942 qui ont obtenu respectivement 41 et 32 % des suffrages.