Solidarité avec la révolution libyenne: L’intervention de l’OTAN est un piège

Solidarité avec la révolution libyenne: L’intervention de l’OTAN est un piège



La Commission internationale de
solidaritéS (Genève) a adopté le projet de
résolution ci-dessous. Il sera soumis à la discussion de
notre mouvement. Compte tenu de l’importance des questions
abordées ici, nous le soumettons à nos
lecteurs·trices.

1. solidaritéS soutient sans réserve le
soulèvement populaire libyen contre le régime tyrannique
et sanguinaire du colonel Kadhafi. Ce soulèvement participe aux
révolutions de la région arabe pour les droits
démocratiques, la justice sociale et la dignité. Comme en
Tunisie, en Egypte et ailleurs, il est largement porté par la
jeunesse (33 % de la population libyenne a moins de 15 ans) et
résonne de préoccupations anti-impérialistes, ce
qui explique notamment le fait que les révolutionnaires libyens
refusent aujourd’hui majoritairement d’accepter un appui
occidental au sol. Pour autant, les travailleurs·euses et le
mouvement syndical n’y jouent pas le même rôle que
dans le reste du Maghreb, en raison notamment d’une proportion
très élevée (plus d’un tiers) de
travailleurs-euses étrangers, principalement égyptiens et
tunisiens, discriminés et au statut précaire.

2. Nul ne peut être dupe de la rhétorique
anti-impérialiste de Kadhafi, qui n’a pas
hésité jusqu’ici à noyer dans le sang toute
forme d’opposition, alors même qu’il a
bénéficié jusqu’au dernier moment du soutien
des principales puissances impérialistes, dont les grandes
compagnies du pétrole, du nucléaire, de l’armement,
de la banque, du génie civil, des transports, etc. ont
multiplié les contrats et les investissements en Libye (la
française Areva ne venait-elle pas tout juste de négocier
la vente d’une centrale nucléaire à
Kadhafi ?).

3. Nul ne peut accorder un quelconque crédit à la
solidarité africaine prônée par Kadhafi. Depuis
plusieurs années, l’Italie – et avec elle
l’Union Européenne – a payé grassement le
« guide » libyen pour qu’il intercepte
les migrant·e·s d’Afrique subsaharienne aux
frontières sud de l’Union Européenne. Il a ainsi
incarcéré des milliers d’entre eux dans des camps,
où ils ont été systématiquement
maltraités (le viol des femmes y était monnaie courante).
Depuis 2008, l’arrivée de réfugiés africains
en Italie a ainsi diminué de 94 %.

4. Nul ne peut sérieusement croire au caractère
« populaire socialiste » de la Grande
Jamahiriya [Etat des masses] arabe libyenne. Si Kadhafi et sa clique
répriment la rébellion de leur peuple avec une telle
férocité, c’est que les
insurgé·e·s menacent leur monopole du pouvoir
politique, et par là de la rente pétrolière,
qu’ils privatisent largement à leur profit. Pour cela, ils
font appel à des unités spéciales de
l’armée et à des mercenaires étrangers.
Voilà comment le clan Kadhafi entend maintenir
l’exploitation des richesses du pays à son profit.

5. Pour autant, nous sommes opposés à
l’intervention de la coalition
américano-franco-britannique, sous la direction militaire des
Etats-Unis, aujourd’hui de l’OTAN, cautionnée par la
Ligue Arabe et autorisée par le Conseil de
sécurité de l’ONU, en dépit de
l’opposition de l’Union Africaine et de l’abstention
de l’Allemagne, du Brésil, de la Chine, de l’Inde et
de la Russie. Certes, le Conseil national de transition libyen a
estimé qu’elle était le seul moyen
d’empêcher in extremis les massacres annoncés par
les troupes de Kadhafi à Benghazi. Et dans
l’immédiat, cet objectif a été rempli, mais
au prix d’un avenir peut-être plus meurtrier encore et
d’une subordination dangereuse de la révolution aux
grandes puissances occidentales. Comme le déclare le Ministre
belge de la défense De Crem : « on ne peut
hélas pas exclure la présence de nombreuses
victimes », et « une présence
après l’opération [sera nécessaire] pour
éviter que celle-ci n’ait été
vaine ».

6. En effet, la résolution 1973, adoptée par le Conseil
de sécurité de l’ONU, le 17 mars dernier, ne se
limite pas à l’imposition d’une zone
d’exclusion aérienne. Elle autorise les forces de la
coalition à prendre toutes les mesures qu’elle jugera
nécessaires à « la protection des
civils ». En clair, si elles peuvent abattre les avions et
les hélicoptères de Kadhafi, elles peuvent aussi
bombarder ses défenses anti-aériennes, ses bases
militaires et ses troupes au sol (convois d’artillerie,
blindés, camions, etc.). Dans de telles conditions, le sort de
la guerre est dorénavant entre leurs mains. Seul le
déploiementd’une « force d’occupation
étrangère » est pour le moment exclu, ce qui
ne s’applique pas à une force combattante.

7. En interdisant le mouvement des troupes de Kadhafi vers l’est,
la coalition et l’OTAN forcent aujourd’hui les combats
à se concentrer dans les villes du centre, et demain de
l’ouest du pays, où les forces de Tripoli sont
retranchées. Ainsi, après leurs premiers succès en
terrain découvert, comment vont-elles pouvoir frapper dans les
zones plus densément peuplées sans risquer
d’accroître de façon insupportable les pertes
civiles ? On le voit, cette intervention aérienne et
navale ne pourra fonctionner comme bouclier pour les civils que si les
troupes de Kadhafi abandonnent très rapidement la partie, ce qui
n’est pas certain. Encore faudra-t-il faire le compte des
« victimes collatérales » de ces
bombardements massifs.

8. Si le clan Kadhafi ne s’effondre pas rapidement et que la
guerre s’installe dans la durée, plusieurs
scénarios sont possibles : de l’armement des
insurgé·e·s par les puissances occidentales pour
la reconquête de l’ouest du pays au débarquement
d’un corps expéditionnaire étranger (qui ne
nécessiterait pas une nouvelle résolution du Conseil de
sécurité, s’il ne s’agit pas d’une
« force d’occupation »), en passant par
la partition de la Libye qui jouerait sur les divisions entre
Cyrénaïque (30 % de la population) et Tripolitaine
(65 % de la population). Dans tous les cas, les pertes civiles
seront élevées et les révolutionnaires libyens
devront négocier l’avenir de leur pays avec les puissances
occidentales dans une position de subordination.

9. Si le clan Kadhafi s’effondre rapidement, les
révolutionnaires devront maîtriser une victoire acquise
grâce aux bombardements de l’OTAN. En quête de
légitimité, ils devront donner toute leur place aux
leaders les mieux à même de gérer
l’aprés-Kadhafi avec l’aide des puissances
occidentales. Les revenus du pétrole aidant, des conflits ne
manqueront pas d’opposer les candidats au pouvoir,
tiraillés par les divergences entre intérêts
impérialistes, qui exploiteront et attiseront à leur
profit les rivalités régionales ou tribales
inévitables. Dans de telles conditions, la révolution
« victorieuse » risque de donner naissance
à un état défaillant (failed state), porté
à bout de bras par l’ingénierie politique
européenne et nord-américaine.

10. L’intervention des puissances impérialistes en Libye
ne répond pas à des motifs humanitaires, encore moins
à la promotion d’un projet démocratique. Sinon,
pourquoi celles-ci auraient-elles soutenu et armé Kadhafi
jusqu’au début de cette année ? Pourquoi
appuieraient-elles, avec les pétromonarchies du Golfe,
l’intervention des Saoudiens au Bahreïn pour y
écraser une révolution populaire dans le sang ?
Pourquoi fermeraient-elles les yeux sur la répression criminelle
au Yémen et ailleurs ? Et ceci, sans parler de leur
silence face aux bombardements israéliens de Gaza, fin
2008-début 2009, qui ont fait au moins 1200 morts parmi les
civils.

11. L’intervention occidentale en Libye est guidée par des
intérêts néocoloniaux. En effet, la production et
les réserves de pétrole prouvées du pays sont les
plus importantes d’Afrique. De surcroît, la
société Africommodities évalue à plus de
1800 milliards de dollars la valeur de tous les gisements de
matières premières connus à ce jour sur son
territoire. Au cours de ces dernières années, ce pays a
ainsi attiré d’énormes investissements
européens et nord-américains qui entendent maintenir au
pouvoir des autorités pleinement respectueuses de leurs
intérêts.

12. Jusqu’au début de cette année, les puissances
impérialistes avaient misé sur un partenariat
étroit avec le régime Kadhafi. Cependant, la
révolution démocratique et la libération de
l’Est de la Libye a coupé court à cette option. En
poussant à l’intervention de la coalition, puis de
l’OTAN, sous mandat onusien, les Etats-Unis et la France visent
trois objectifs : a) garantir que le nouveau pouvoir sera aussi
docile que le précédent envers les intérêts
occidentaux ; b) renforcer les positions de la France, du
Royaume-Uni et des Etats-Unis au détriment de celles de
l’Italie, de la Russie ou de la Chine ; c) miner le
potentiel anti-impérialiste de la révolution libyenne,
mais aussi des révolutions tunisienne et égyptienne
voisines.

Pour l’ensemble de ces raisons, nous appelons :

– A l’arrêt immédiat de l’intervention
militaire de la coalition et de l’OTAN en Libye ; au refus
par la Suisse du survol de son espace aérien et du transit
routier par les forces de la coalition.

– A l’armement des rebelles pour qu’ils puissent
s’imposer face aux mercenaires de Kadhafi et mettre en place un
pouvoir de transition garantissant les libertés
démocratiques et la souveraineté populaire.

– A une aide internationale en faveur des centaines de milliers de
travailleurs·euses immigrés qui sont victimes des
affrontements ou internés dans des camps frontaliers dans des
conditions de détresse absolue.

– A l’ouverture des frontières de l’Union
Européenne et de la Suisse aux
réfugié·e·s africains dont la vie est
menacée en Libye.

– Au renforcement massif de l’aide médicale et humanitaire
d’urgence aux blessé·e·s et aux
réfugié·e·s sur place, de même
qu’aux frontières de la Libye.

Genève, le 28 mars 2011