turquie-Kurdistan: du printemps arabe aux élections législatives

turquie-Kurdistan: du printemps arabe aux élections législatives



La Turquie se prépare aux
élections dans un contexte marqué par le processus
révolutionnaire au Maghreb et au Moyen-Orient où les
mouvements populaires gagnent du terrain. En raison de son alliance
militaire avec les Etats-Unis et du volume de ses échanges
économiques avec l’Europe, la Turquie est un des pays les
plus importants de la région. La lutte des mouvements sociaux
devient dès lors centrale pour les équilibres
régionaux.

Dans ce contexte régional, où une nouvelle constellation
politique se dessine, les principales forces politiques qui marqueront
les élections sont le Parti de la Justice et du
développement (AKP), parti islamiste, libéral, au pouvoir
depuis 2002, soutenu par les USA ; le Parti républicain du
Peuple (CHP), parti kémaliste, laïc, de droite ; le Parti
du Mouvement nationaliste (MHP), parti raciste et panturquiste; enfin
le Bloc du Travail, de la Paix et de la Démocratie (Bloc) dont
la principale composante est le Parti de la Paix et de la
Démocratie (BDP), qui essaie de promouvoir des structures
unitaires, capables de rassembler l’ensemble des forces
progressistes dans la société civile.

Une loi héritée du coup d’Etat

La loi sur les élections fut adoptée à la suite du
coup d’Etat militaire de 1980, soutenu par les USA et
l’OTAN. Elle a instauré un quorum de 10 % des voix
pour entrer au parlement. Le quorum est un obstacle majeur pour les
mouvements de gauche et les partis kurdes, qui n’arrivent pas
à envoyer leurs représentants au parlement. La seule
possibilité d’éviter ce quorum est de
présenter des candidats indépendants. Les voix obtenues
par les partis qui ne dépassent pas les 10 % passent au
parti qui a obtenu le plus de voix dans la circonscription
concernée (aux dernières élections, l’AKP a
ainsi obtenu environ 40 sièges supplémentaires).

    De plus, l’Etat finance en grande partie la
campagne électorale des partis qui sont au parlement. Les
indépendants et les partis qui n’ont pas
dépassé le quorum doivent en revanche financer
eux-mêmes leur campagne. Le système favorise et finance
donc les grands partis, au détriment de larges couches de la
société qui ne sont pas représentées au
législatif.

Le Bloc : des espoirs, malgré la répression

Malgré ces lois antidémocratiques et répressives
du régime, les Kurdes avaient pu envoyer 22 indépendants
au parlement turc. Pour ces élections, le Bloc espère
faire passer le nombre des élus jusqu’à 35.
Conformément à la dénomination du Bloc, la liste a
fait place à des représentants de la gauche turque, des
partis kurdes et des communautés religieuses. Des
personnalités connues comme Leyla Zana et Hatip Dicle revenaient
sur la scène politique.

    Quelques jours avant le délai de validation
des candidatures, 6 candidats du Bloc, dont L. Zana et H. Dicle
ont vu de façon arbitraire leur candidature refusée. La
réaction populaire a été exemplaire, des millions
de personnes sont descendues dans les rues à travers tout le
pays et en deux jours, sous pression populaire, la Haute instance aux
élections a dû reconsidérer sa décision en
validant cinq candidatures sur six.

    Cette première victoire du Bloc est une
étape très importante dans la campagne électorale.
Cependant, la réaction du régime n’a de nouveau pas
tardé : plus de 2000 arrestations en quelques semaines.
Le but étant d’empêcher le Bloc de mener sa campagne.

Le 12 juin, partie du printemps arabe

Le résultat des élections influencera les
équilibres régionaux. Le parti islamiste au pouvoir et
son gouvernement sont montrés par certains milieux comme un
exemple pour les pays arabes secoués par une résistance
populaire.

    Or, l’AKP a tout d’abord fait croire
à l’opinion publique qu’il résoudrait la
question kurde et démocratiserait le pays avant de donner son
feu vert à la campagne d’arrestation et
d’intimidation la plus violente de la décennie contre le
mouvement kurde et la gauche turque.

    Actuellement, l’AKP vise
l’électorat de l’extrême droite. Une campagne
de décrédibilisation des candidats du MHP est
lancée. En effet, si le MHP ne dépasse pas le quorum ou
perd environ 3 % de son électorat, les sièges
qu’il perd passeront majoritairement à AKP. Tous les coups
sont donc permis dans cette campagne de l’AKP : violence
policière contre le Bloc et dossiers donnés à la
presse sur les candidats du MHP, tout cela accompagné d’un
discours qui dérive à l’extrême droite.

Le PKK et le nouveau contexte

Afin de ne pas influencer le jeu démocratique, le Parti des
travailleurs du Kurdistan (PKK) avait décrété un
cessez-le-feu jusqu’à la fin des élections.
Cependant, les opérations militaires n’ont pas
cessé contre la guérilla kurde, les pourparlers avec A.
Öcalan n’avancent pas et le régime intensifie ses
opérations policières contre les cadres politiques.

    Dès lors, le PKK a décidé de
passer en position de légitime défense active. Il
n’y a pas de doute que l’électorat du Bloc est
composé majoritairement d’une population qui soutient le
PKK. Le renforcement du Bloc entraînera
l’élargissement de l’espace politique dans lequel le
PKK peut se profiler plus ouvertement.

    Le nouveau contexte régional marqué
par les émeutes populaires crée également un
contexte de lutte plus favorable au mouvement kurde, qui en est
conscient et suit de près les processus révolutionnaires
en cours. Le mouvement kurde est un des piliers centraux du processus
au Moyen-Orient. Sans doute, ses avancées et acquis renforceront
également les mouvements populaires dans l’ensemble de la
région. L’augmentation du nombre des élus du Bloc
signifiera un affaiblissement supplémentaire du régime
dans la société civile.

Veli Pelil Ay, journaliste