La santé va mal !

La santé va mal !

Dans le cadre de leur campagne aux élections
fédérales, les socialistes viennent d’adopter un
manifeste, largement répercuté par les médias,
affirmant que « la santé est un bien
public » (dixit Micheline Calmy-Rey). Mais que fait le
Parti socialiste quand il est en situation de décider, comme
c’est le cas dans le canton de Neuchâtel ? Depuis 10
ans, pour imposer une série de lois autonomisant tour à
tour l’Hôpital neuchâtelois, les soins à
domicile et la psychiatrie, il s’allie
régulièrement de préférence au PLR
(plutôt qu’au POPVertsSolidarités avec qui il forme
une majorité).

    Le référendum syndical –
largement soutenu par solidaritéS –, qui avait
tenté d’enrayer ce processus d’autonomisation, a
échoué en votation populaire en juin 2005, suite à
une campagne trompeuse et mensongère, conduite sous la
responsabilité de la Conseillère d’Etat socialiste
en charge du dossier. Depuis, la situation est allée de mal en
pis et tout indique que le mal va empirer. Des conseils
d’administration tout puissants président
aujourd’hui aux destinées des différentes
institutions hospitalières et des soins à domicile
(Nomad). Priorité: introduire les méthodes de gestion
moderne (lisez capitalistes) et ne surtout pas écouter les
patient·e·s et les soignant·e·s, sous
prétexte qu’il faut faire des économies.

    Résultats: détérioration des
conditions d’accueil et de soins des patient·e·s,
nombreux disfonctionnements, dégradations des conditions de
travail, départs répétés de médecins
responsables, tous les signaux sont au rouge depuis longtemps, mais la
majorité qui a voulu ce système poursuit tête
baissée. Une pétition munie de 15 000 signatures
et trois initiatives populaires (contradictoires entre elles !)
attendent dans les tiroirs du Conseil d’Etat, qui une fois de
plus dépasse allègrement les délais légaux,
dans l’espoir qu’un consensus se dégagera sans
passer par la votation populaire… Mais il ne se passe pas une
semaine sans que n’apparaissent de nouveaux problèmes,
dernière en date le personnel de NOMAD est mécontent, le
SSP a menacé de grève si de réelles
négociations ne s’engageaient pas, la population est
inquiète.

L’entêtement des
autorités politiques à continuer de vouloir régler
la santé par les méthodes administratives et les recettes
libérales de gestion a quelque chose de sidérant.

Marianne Ebel


Nous publions aujourd’hui une
interview que le docteur Claude Cherpillod, ancien
médecin-directeur du Centre psycho-social neuchâtelois
(CNSP), a accordé à solidaritéS avant les
vacances. Elle témoigne non seulement du parcours remarquable de
ce spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, mais
éclaire de manière fort intéressante
l’évolution de ce dossier épineux de la
santé.
(Propos recueilli par Marianne Ebel)

Dr. Cherpillod, vous avez été à
l’initiative de la création du Centre psycho-social
à La Chaux-de-Fonds à la fin des années 60.
Comment en êtes-vous arrivé là ?

Tout commence au moment de mes études en médecine
à Genève; j’ai eu très vite
l’opportunité de suivre un cours de psychiatrie à
Lausanne qui m’a donné la certitude que c’est dans
cette voie-là que je voulais m’engager.
J’étais un  étudiant dynamique, très
sociable, avec une composante de leader et animé par des
désirs d’activités syndicales ou institutionnelles.
C’est dans les cours de philosophie au gymnase de La
Chaux-de-Fonds avec le professeur Jean Steiger du POP que j’ai
acquis mes premières valeurs d’orientation sociale, mais
c’est avec le Prof. Julian de Ajuriaguerra – un
émigré espagnol qui avait participé à la
guerre d’Espagne et qui occupait la chaire de Psychiatrie
à l’Université de Genève depuis 1958 –
que j’ai pu préciser et définir ma conception
personnelle en psychiatrie. Il dénonçait le
système psychiatrique comme carcéral et plaidait pour des
soins ambulatoires. Il a créé à Genève le
Centre Psycho-Social Universitaire. J’ai eu la chance de
participer à cette expérience. J’ai
travaillé là pendant 10 ans, et terminé comme
« second » de ce médecin qui a
développé une toute nouvelle politique de soins et qui
était pour moi un modèle. En 1966, j’ai
été sollicité par le Professeur Courvoisier qui
venait de construire l’Hôpital de La Chaux-de-Fonds. Il a
fallu trois ans pour mettre en place le Centre psycho-social à
La Chaux-de-Fonds. C’était une toute nouvelle approche,
qui a porté ses fruits, c’est pourquoi je suis content de
parler de cela aujourd’hui.

Pouvez-vous nous dire en deux mots quels étaient les
principes fondateurs de cette nouvelle approche du patient en
psychiatrie ?

Le psychiatre s’occupe de l’ensemble des patients, sans
sélection; considérant son travail comme un service
public se chargeant de soigner tout le monde,  il s’occupe
des patient-e-s chroniques comme de celles et ceux nécessitant
des soins aigus. Il ne se contente pas de recevoir ses patients, mais
s’efforce de comprendre et de prendre en compte les
répercussions sociales de la maladie mentale. Pour des raisons
personnelles, je me suis toujours considéré comme un
serviteur de l’Etat. J’avais un statut de fonctionnaire
auquel je tenais beaucoup et dans toutes les décisions je
prenais en compte les besoins des patient·e·s, mais aussi
les besoins de l’Etat. Il n’y avait alors pratiquement pas
de psychiatrie privée et tout ce que nous mettions en place se
faisait dans le respect de cet esprit démocratique au service de
tous.

Vous avez travaillé pendant 25 ans à la tête de
ce service. Comment cela s’est-il passé ?

Dans le Haut et dans le Bas du canton de Neuchâtel, il y avait
une consultation par semaine. Au départ nous étions 3,
à la fin il y avait 25 médecins avec une équipe
d’infirmiers et d’infirmières en psychiatrie, et une
équipe d’assistants sociaux avec des connaissances
juridiques. J’insiste sur ce point, car aujourd’hui, dans
la nouvelle organisation de la psychiatrie neuchâteloise, il y a
une tendance à oublier cet aspect-là. J’ai
côtoyé beaucoup de monde; au début attirés
par la renommée du Prof. Julian de Ajuriaguerra de
Genève, il y avait beaucoup d’Espagnols qui venaient se
former en Suisse ; beaucoup d’entre eux sont venus
travailler quelques années à La Chaux-de-Fonds avant de
repartir en Espagne. Les besoins et la demande étaient
considérables; ce qu’on peut faire est toujours
insatisfaisant, mais j’ai le sentiment que nous avons mis
là sur pied un service qui fonctionnait.

Comment évaluez-vous la psychiatrie neuchâteloise actuelle, dans ses structures et ses options politiques ?

Quand les problèmes de la psychiatrie ont été
soulevés, il y avait deux établissements dans le canton
de Neuchâtel -un à Préfargier, l’autre
à Perreux – qui fonctionnaient parallèlement, mais
avec deux directeurs qui ne s’entendaient pas. Déjà
en 1988 on s’interrogeait sur cette situation anormale. Selon les
conclusions d’un audit, il fallait procéder à la
fermeture de Perreux. Mais c’était quasi mission
impossible : 350 emplois en jeu, un Conseil d’Etat qui
cherchait une partie importante de ses voix dans le district de Boudry,
bien sûr opposé à cette fermeture…. l.es
choses sont donc restées en l’état. C’est
revenu sur le tapis plus tard, mais je regrette qu’on ait
abandonné l’idée de service public au profit de
l’autonomisation. La structure actuelle s’organise dans la
logique des entreprises privées; il faut que l’entreprise
marche; résultat absurde, les patient·e·s ne sont
plus au centre des préoccupations. Un directeur administratif
dirige et organise tout pour la bonne marche de l’entreprise, un
pouvoir énorme est donné au président du Conseil
d’administration, mais toujours avec ce même souci
d’assurer la meilleure rentabilité.

Et que préconisez-vous ?

Personnellement je reste fondamentalement un défenseur du
service public, et d’une sécurité sociale
basée sur la solidarité; je ne comprends pas les choix
actuels, où tout est organisé en fonction du
profit.  L’esprit du service public voudrait au contraire
que l’on s’occupe vraiment de tout le monde, que ce soient
des malades chroniques ou non. J’ai toujours défendu
l’idée d’une sécurité sociale
générale; le système d’assurances suisse,
où tout est séparé, et qui laisse une part
importante au privé, pose d’énormes
problèmes. Il faudrait une cohésion entre les
différentes assurances, inutile de dire qu’on en est loin.
On se polarise sur les situations aiguës, mais le problème
majeur réside dans le suivi, après la crise,  il
faudrait en effet tout faire pour éviter que les malades ne
tombent dans l’invalidité. Mais avec la logique de la
LAMAL, on va en sens inverse; dans les hôpitaux on réduit
les lits, on réduit les soins, mais sans mettre en place des
soins ambulatoires supplémentaires. A Neuchâtel on assiste
à une augmentation préoccupante du nombre de personnes
invalides.

Quelles différences observez-vous entre votre pratique
personnelle et la façon actuelle de procéder ?

Voilà 40 ans que je suis dans le métier. Au centre
psycho-social on avait des statistiques sur les patients, on avait
observé que le corps enseignant était
particulièrement exposé au risque d’une
dépression, le soutien apporté a souvent permis de
trouver des solutions humaines. Actuellement on délègue
les décisions à des experts extérieurs;
l’avis du médecin traitant est très peu pris en
compte. Les patient-e-s sont envoyés pour une expertise AI
à Vevey; les 25 médecins qui travaillent là sont
organisés en société d’experts, parmi eux il
y a 5 psychiatres, mais aucun de ces médecins n’est
spécialisé dans la médecine du travail. Les gens
sont convoqués et en une heure la décision est prise et
tout est bâti sur des entretiens avec des procédés
utilisés pour diminuer les rentes.

    Les besoins des femmes sont très souvent
largement sous-évalués, c’est
particulièrement vrai pour celles qui n’ont pas
d’activité professionnelle. Les conséquences sont
dramatiques, car plus on réduit les moyens
thérapeutiques, plus le risque d’invalidité est
grand. Il est dès lors prévisible – et hautement
regrettable- que la réduction brutale des lits en psychiatrie
sera à long terme une opération très
coûteuse, tant pour les patient-e-s qui verront leur état
s’aggraver que pour l’Etat qui verra ses charges
d’aide sociale augmenter. Les malades les plus
prétérités seront ceux qui sont le plus gravement
atteints, car ce qui est prévu sur le plan ambulatoire est
notoirement insuffisant.

Auriez-vous des suggestions, des propositions alternatives que vous souhaiteriez faire valoir ?

Ce qu’il faudrait, c’est un vrai hôpital de jour, une
meilleure analyse des trajectoires, un collectif qui a le souci des
patient·e·s , de leur situation personnelle et une bonne
compréhension de l’ensemble de la problématique de
la santé. Je l’ai écrit aux
député·e·s il y a longtemps
déjà, en leur faisant remarquer qu’en votant la loi
sur le Centre Neuchâtelois de Psychiatrie (CNP), ils accordaient
un pouvoir discrétionnaire au Conseil d’administration et
signaient de fait un chèque en blanc, un chèque
insuffisamment provisionné. La loi qui régit le CNP est
la même que celle d’Hôpital neuchâtelois ou
celle qui régit les soins à domicile. C’est une loi
redoutable, le conseil d’administration
« décide » et le Conseil d’Etat
« approuve ». Aujourd’hui, les
difficultés patentes donnent raison à tous ceux qui ont
refusé les alliances tacites ou non, tissées entre le
parti socialiste et le parti radical pour faire passer dans la
santé une série de lois qui toutes se ressemblent et font
fi de la santé comme service public.