Grèce

Grèce : L'urgence d'un mouvement des femmes indépendant contre la dette et les mesures d'austérité

Membre fondatrice de l’Initiative grecque pour une commission internationale d’audit de la dette publique et membre du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers monde (CADTM), Sonia Mitralia, militante féministe grecque, appelle aujourd’hui toutes les femmes à s’auto-organiser pour résister ensemble aux mesures d’austérité qui les frappent de plein fouet.

Pourquoi préconiser un mouvement indépendant des femmes contre la dette et les mesures d’austérité en Grèce ?

Les femmes sont particulièrement frappées par la crise. Si elles ne s’(auto)organisent pas pour résister, personne d’autre ne le fera à leur place…

Mais pourquoi la crise de la dette et les mesures d’austérité frappent-elles tout spécialement les femmes ?

À travers le démantèlement ou la privatisation des services publics, l’Etat se décharge des obligations de protection sociale qu’il avait assumées vis-à-vis des citoyen·ne·s, pour les transférer – de nouveau – à la seule famille. L’Etat se décharge sur le travail gratuit des femmes : soins aux enfants, aux malades, aux personnes âgées et handicapées, mais aussi prise en charge (« maintien ou retour à la maison ») des jeunes en détresse et au chômage. D’une pierre deux coups : d’un côté, l’Etat néolibéral se débarrasse définitivement de ses obligations sociales et de l’autre, il oblige les femmes à les assumer en travaillant totalement gratuitement !

En d’autres termes, les femmes sont contraintes de se substituer, ou plutôt de remplacer l’Etat providence…

Le démantèlement ou les privatisations des services publics impliquent aussi des licenciements massifs déclinés en priorité au féminin, car les femmes constituent la grande majorité des salariés de ces services. La conclusion est simple et concerne des centaines de milliers de salariées en Grèce, comme ailleurs en Europe : les femmes sont les premières à être licenciées sans absolument aucun espoir de réembauche – surtout lorsqu’elles sont mères ou en âge de procréer – et restent en masse chômeuses. Les jeunes n’ont plus aucun avenir professionnel. Condamnées à la pauvreté et à la précarité, tout en étant chargées des tâches et des travaux qui revenaient à l’Etat, avec tout ce que cela implique comme fatigue, stress, vieillissement prématuré, travail impayé et dépenses supplémentaires, les femmes payent doublement la crise !

Oui, mais il y a aussi ceux qui prétendent, comme l’Etat, l’Eglise et de nombreuses personnes bien intentionnées, que les femmes retrouvent ainsi leur vraie mission : se consacrer à leur maison et à leur famille.

Non seulement ils le disent, mais ils le crient haut et fort parce qu’il faut que leur politique inhumaine des Mémorandums ait un emballage idéologique ! Il s’agit d’une propagande qui a recours aux clichés réactionnaires les plus sexistes uniquement pour couvrir la férocité de la politique néolibérale. D’ailleurs, on assiste ici à une chose apparemment paradoxale : l’alliance entre le dernier cri des politiques capitalistes – la violente austérité des Mémorandums – et les porteurs des théories les plus obscurantistes d’une autre époque, qui veulent persuader les femmes que la « nature » leur impose d’être enfermées chez elles afin de s’occuper exclusivement de leurs « tâches » de mères et/ou d’épouses dans la famille. Etrange mariage des Mémorandums du FMI et de la Commission européenne, qui veulent prétendument « moderniser » les femmes, avec les bastions du patriarcat le plus anachronique et misogyne que sont l’Eglise, la droite et l’extrême droite.

S’agit-il seulement d’une propagande ou y a-t-il ici des conséquences pratiques pour les femmes ?

Il ne s’agit pas que de propagande, mais bien de conséquences catastrophiques très concrètes dans la vie quotidienne des femmes. Pour parler clair, tout ce retour arrière, vers un passé qui paraissait lointain, est accompagné des mesures qui visent à enlever aux femmes les quelques droits et conquêtes obtenus grâce aux luttes de ces dernières décennies. L’alliance sacrée du Capital et du Patriarcat abolit de fait le droit au travail rémunéré des femmes et donc leur droit à l’indépendance économique. Les femmes sont traitées comme des esclaves chargées des tâches et des fonctions qu’avait jadis l’Etat providence, parce que c’est prétendument dans leur « nature » de remplir gratuitement à la fois les tâches d’un jardin d’enfants, d’une maison de retraite, d’un hôpital, d’un restaurant, d’une blanchisserie, d’un asile psychiatrique, sans parler des cours de soutien scolaire ou de l’assistance des chômeurs et chômeuses renvoyés à tout âge à leur famille. Sans aucune rémunération, ni la moindre reconnaissance, puisque le fait de se sacrifier pour les autres est soi-disant inscrit dans le sang des femmes, qui du coup n’ont plus de temps libre pour souffler, pour s’occuper de leur propre personnalité, pour participer activement aux affaires publiques.

Tout cela coûte très cher aux femmes…

Cette tension quotidienne accélère le vieillissement prématuré des femmes. Tout ce sexisme autour de la prétendue « nature féminine » va de pair avec le traitement des femmes comme êtres inférieurs, dont le corps est considéré comme toujours disponible et sur lequel il est permis à n’importe quel homme de se défouler. Ce n’est en effet pas un hasard si les cas de violences contre les femmes, déjà innombrables, se multiplient à l’époque du capitalisme des Mémorandums. Ce sont là quelques-unes des raisons qui appellent de la part des femmes une résistance propre contre cette offensive menée contre elles. Et cela passe par leur ?auto-organisation et le développement d’un mouvement indépendant et autonome des femmes contre la dette et l’austérité. Non seulement parce que personne d’autre ne peut le faire à leur place, mais aussi parce que Capitalisme et Patriarcat sont tellement imbriqués que tout combat contre l’un de ces deux tyrans serait boiteux s’il n’était pas mené également contre l’autre.

Sonia Mitralia

Athènes, 13.11.2011