Le capitalisme, mis en alexandrins

L’existence de nos démocraties, voire, de plus en plus, leur inexistence, est largement déterminée par la finance, que le grand public, souvent saisi d’une légitime répugnance, comprend si mal. Nous ne pouvons donc que saluer la première œuvre théâtrale de Frédéric Lordon, l’économiste bien connu : D’un retournement l’autre. Comédie sérieuse en quatre actes et en alexandrins, parue en 2011 au Seuil. Comme le voulait son auteur, la pièce est jouée par de petites troupes dans diverses régions de France. Elle fait à la foi pleurer et rire, offrant un contraste entre le raffinement de la langue classique et la vulgarité du capitalisme représenté par le banquier, le trader et le Président. 

 

Lorsque le rideau se lève, les banquiers, pris au piège des prêts fantaisistes engloutis dans l’immobilier américain, les célèbres subprimes, sont en pleine panique :

« Des villas somptueuses sont
au prix de cabanes,

L’immobilier s’écroule, nous passons pour des ânes.

Les courtiers ont menti et dans les formulaires

Gonflé les revenus, inventé
les salaires .»

 

Pendant ce temps, « le Président », dans son palais, ne sait pas encore ce qui se trame. On reconnaît sans peine Nicolas Sarkozy, qui voulait à l’époque faire adopter en France, ne l’oublions pas, le même système qu’aux Etats-Unis, celui qui a amené des millions d’Américains à se faire expulser de leurs maisons :

« Permettre à tous les gueux d’apporter leur maison,

Comme collatéral de leur consommation.

Si l’immobilier monte,
ils peuvent emprunter,

Et ainsi d’avantage encore consommer. »

 

Comme on peut s’y attendre, une fois informé de la débâcle bancaire, le président n’hésite pas très longtemps :

« Si les tirer d’affaire c’est sauver le système,

Et surtout moi avec, pensons-y tout de même »

 

On sait ce qu’il advint. Une fois sauvés par l’Etat, les banquiers n’investissent pas pour autant leur argent dans l’économie réelle :

« Quant à moi, je sais bien ce que je dois en faire,

Et j’incline à penser que le plus salutaire,

Est encore à la Bourse de l’aller investir,

Plutôt qu’en l’industrie de le laisser croupir. »

 

Nous ne dévoilerons pas la suite. Vous avez déjà compris que les banquiers font rimer leurs « bonus » avec le « médius », le doigt d’honneur qu’ils nous tendent…

 

Christophe Schouwey