Le genre à l'intersection des rapports de pouvoir

 

L’Université de Lausanne (UNIL) vient d’accueillir le 6e Congrès international des recherches féministes francophones du 29 août au 2 septembre 2012, fréquenté par quelque 600 participant·e·s provenant d’une vingtaine de pays.

 

Organisée par le Centre d’études genre LIEGE de l’UNIL et le Laboratoire interuniversitaire en études genre de la HES-SO, cette édition a porté sur l’«imbrication des rapports de pouvoir» et a permis d’enrichir les réflexions sur les «discriminations et privilèges de genre, de race, de classe et de sexualité» au cours de quatre conférences plénières, de dix tables rondes et de vingt-six ateliers.

Le premier Congrès francophone, tenu en 1996 à Québec, a inauguré la formule consistant à proposer un espace de réunion et d’échanges sur les études genre, dans un champ encore largement dominé par la recherche anglo-américaine. En effet, le Gender est un phénomène étatsunien qui repose sur une distinction classique dans la recherche anglo-saxonne entre le « sexe » comme caractéristique biologique et le « genre » comme ensemble des traits comportementaux et des conventions sociales arbitrairement construit sur la base de la différence entre le féminin et le masculin. Le genre comme outil d’analyse a permis l’institutionnalisation des recherches féministes dans la sphère francophone, avec toutefois des décalages temporels importants entre le Québec, la France, la Belgique, la Suisse ou les pays africains. Ses dénominateurs communs sont de pouvoir analyser la dichotomie féminin-masculin de manière relationnelle, ainsi que de permettre d’appréhender les relations entre les sexes comme des rapports de pouvoir.

 

Division du monde social et politique

Comme l’exemplifie le célèbre sociologue français Pierre Bourdieu (1930-2002) dans La distinction: critique sociale du jugement (1979), dominants et dominés partagent et reproduisent par leurs représentations et pratiques le même habitus divisant le monde en catégories distinctes. Cette analyse, sous le prisme du genre, permet de voir que les différences entre les femmes et les hommes sont non seulement un diviseur entre les sexes, mais aussi un système signifiant structurant fortement les catégories de pensée. Selon les types de société, la différence femme-homme sous-tend une série d’autres dichotomies: faiblesse – force, sensibilité – rationalité, altruisme – individualisme, don – calcul, concret – abstrait, etc. Aussi une variété de tables rondes et d’ateliers ont-ils permis de débattre sur les aspects contemporains de cette vision duale et de ses réactualisations dans les domaines du sport, de la médecine, des mondes professionnels ou encore des productions culturelles.

Cette déconstruction de la vision duale faible-fort / femme-homme amène à interroger les rapports de pouvoir en résultant. Cette perspective a pleinement permis de démontrer, au cours de ce 6e Congrès, que non seulement les sexes sont socialement perçus comme différents, mais aussi que ce rapport est hiérarchisé : dans la quasi totalité des sociétés, la distribution des ressources économiques et politiques et leurs valorisations symboliques tendent à être inégales, bien qu’avec des modalités et des intensités variables. Aussi les réflexions et plaidoyers des universitaires et militantes nord – et sub-africaines, luttant actuellement pour l’inscription légale de la parité entre les sexes dans leurs pays, ont-ils permis de rappeler la profondeur des structures matérielles et idéelles de l’infériorisation des femmes par rapport aux hommes et de nous remémorer à quel point tout acquis politique peut rester fragile.

 

Sexe, race, classe

Cette démarche consiste à analyser les rapports de genre en relation avec d’autres rapports de pouvoir et de modes de structuration d’une société donnée. Ainsi, le genre est à « l’intersection » d’autres rapports de pouvoir, et aucune catégorie de sexe ne peut être homogène tant elle est traversée par de multiples tensions et clivages comme la classe sociale, l’origine « ethnique », l’âge ou l’orientation sexuelle. Elsa Dorlin, Christine Delphy, Patricia Hill Collins, Fatou Sarr, Sirma Bilge ou encore Line Chamberland ont débattu de cette intersectionnalité au cours du Congrès. Il ressort qu’être blanche ou noire, hétérosexuelle ou homosexuelle, ouvrière ou cadre, ne conduit pas aux mêmes expériences dans le rapport de genre, et ce constat ouvre autant de perspectives de recherche en termes d’hétérosexisme, d’imbrication des rapports de sexe, de mondialisation des métiers du care, de réactualisation du patriarcat par le biais de l’antiféminisme ou encore de liens entre racisme, capitalisme et féminisme.

Cette perspective de l’imbrication des rapports de genre, de classe, de race et de sexualité a été novatrice par ce Congrès. Gageons que le 7e Congrès, qui se déroulera dans trois ans à Montréal, permettra une ouverture encore plus grande à l’intersectionalité et à la pluridisciplinarité des sciences humaines.

 

Thierry Delessert

Pour en savoir plus :

Vidéos des conférences plénières et des tables rondes : www3.unil.ch/wpmu/rff2012/videos/

Résumés des plénières, tables rondes et ateliers : www3.unil.ch/wpmu/rff2012/ateliers/