Enième tour de vis contre les requérant-e-s d'asile

Depuis qu’elle est entrée en vigueur au début des années quatre-vingt, la Loi sur l’asile (LAsi) a fait l’objet d’innombrables révisions visant à une politique d’accueil toujours plus restrictive. La dernière en date, discutée ces jours par le parlement, n’y fait pas exception.

En mars 2011, les propositions contenues dans un rapport défendu par la Conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga annoncent la couleur. La teneur de ces propositions montre que la propagande de l’extrême droite, UDC en tête, sur les prétendus « faux réfugiés » qu’il s’agirait d’empêcher d’entrer en Suisse par des mesures « dissuasives » est alors totalement intégrée par la direction de l’Office fédérale des migrations (ODM). Comme le constatait à l’époque Yves Brutsch, ancien porte-parole pour l’asile des Centres sociaux protestants, les mesures proposées par ce rapport relèvent « d’un durcissement de la procédure qui va beaucoup plus loin que ce que M. Blocher a pu proposer » (24 Heures, 30.5.2011). Un durcissement d’autant plus aberrant que les objectifs de dissuasion poursuivis par les autorités n’ont aucune chance d’être atteints. De nombreuses études ont en effet démontré que la réalité du système d’asile d’un pays n’a pratiquement aucun impact sur les trajectoires des mi­grant·e·s arrivant en Europe, comme le rappelait encore dans Le Temps du 14 septembre dernier le vice-président de la Commission fédérale pour les questions de migration.

 

Etat d’exception

Aujourd’hui, les chambres fédérales sont en train d’entériner les lignes directrices contenues dans le rapport de Simonetta Sommaruga. Ainsi, la proposition de supprimer la possibilité de déposer une demande d’asile dans une ambassade a été acceptée par le parlement. Ce dernier a aussi décidé que les déserteurs ne seront plus automatiquement reconnus comme réfugiés. Une mesure qui vise en priorité les requérants érythréens, pays où les soldats réfractaires risquent pourtant la torture et la peine de mort. Indice supplémentaire d’une sorte d’état d’exception qui devrait caractériser, aux yeux de la droite, le domaine de l’asile, la mesure a été décrétée « urgente » par le parlement. Cette procédure extraordinaire acceptée par 121 voix contre 63 par la Chambre basse signifie que la décision entrera en vigueur dès le mois prochain : il s’agit d’une sorte de suspension des droits populaires, le référendum contre la mesure n’étant possible qu’a posteriori. Et comme l’ont souligné plusieurs parlementaires de gauche lors du débat, il est hautement contestable que les conditions pour le recours à l’urgence fixées par la Constitution fédérale (art. 165) soient en l’occurrence réunies. Comme l’a souligné de manière révélatrice durant le débat Anne Seydoux, une sénatrice PDC qui refusait cette procédure : « à coup de durcissements de la politique d’asile, la Suisse se trouve de plus en plus aux limites du droit ».

            Une des mesures les plus menaçantes parmi celles qui ont été discutées jusqu’ici reste encore en suspens, et ne sera traitée qu’en décembre prochain par le parlement : il s’agit de l’élargissement du régime d’aide d’urgence – un régime qui met littéralement « au pain et à l’eau » les re­qué­rant·e·s dé­bou­té·e·s – à tous les re­qué­rant·e·s d’asile. Cette mesure a été proposée par le président du PLR Philipp Müller – signe de l’« udécé­isa­tion » des partis bourgeois sur les questions d’asile. Elle a ensuite été soutenue par une majorité du Conseil national avant l’été. Le Conseil des Etats a toutefois refusé d’entériner cette décision en l’état, proposant un compromis, dans lequel seules certaines catégories de requé­rant·e·s seraient assignées à l’aide d’urgence, notamment les auteurs de délit ou ceux qui refusent de « coopérer » avec les autorités, les requérants récalcitrants. En revanche, la Chambre haute a décidé que l’aide sociale accordée aux requé­rant·e·s serait désormais obligatoirement inférieure à celle qui est accordée aux « ré­si­dent·e·s suisses »?; ce qui institutionnalisera un état de fait déjà existant, l’aide sociale touchée par les requérant-es (et dont le montant peut varier selon les cantons) étant déjà inférieure de 30 % à celle que touchent les bénéficiaires résident·e·s.

            Pour le moment, seuls les requé­rant·e·s dé­bouté·e·s continueront à subir le régime dégradant de l’aide d’urgence, dont plusieurs études – notamment une recherche menée en 2008 par le CHUV – ont montré qu’il était un facteur de fragilisation de la situation sanitaire des mi­grant·e·s et une source de souffrance psychique accrue, dans la mesure où il constituait une véritable mise au ban de la société, impliquant une interdiction totale de travailler ou de participer à des programmes d’occupation.

 

Hadrien Buclin