Cour des comptes

Cour des comptes : Consensus pour étouffer un audit qui dérange le PLR?

Jeudi 11 octobre le Grand Conseil genevois refusait à une majorité de 50 contre 40, composée des Verts, du PLR et du PDC, de donner suite à la proposition de son bureau de constituer une commission d’enquête parlementaire au sujet du fonctionnement de la Cour des comptes, dans le cadre de la mission de «haute surveillance» sur celle-ci que la loi confie au parlement cantonal.

 

 

Cette décision, par laquelle une majorité du Grand Conseil a éludé ses responsabilités légales de surveillance, visait à accréditer – en évitant soigneusement d’établir les faits – la thèse que les dysfonctionnements manifestes et publics de la Cour des Comptes, ayant conduit à la démission de notre magistrat Daniel Devaud, ne relèveraient que d’un « conflit de personnes ».

On cherche ainsi à éviter des vagues à la veille de l’élection de la Cour des comptes du 4 novembre, lors de laquelle une liste des « partis gouvernementaux » (PLR, Verts, PDC et PS) – les mêmes qui se sont battus à l’unisson pour faire passer le projet de Constitution néolibéral – briguent les suffrages des citoyen·ne·s. Ensemble sur une même « liste gouvernementale », ceci au nom d’une prétendue « dépolitisation » de la Cour.

 

Une dépolitisation bidon

 

« Dépolitisation » qui a été le drapeau sous lequel le gouvernement cantonal s’est fait battre deux fois dans les urnes concernant la « gouvernance » des régies publiques, mais qui n’a apparemment pas fini de servir : en couvrant la mainmise monopolistique du PLR sur les HUG, TPG, SIG… comme aussi l’éjection de Rémy Pagani du Conseil des TPG sur proposition d’un député PLR, parce que le Maire de Genève a eu l’outrecuidance de commander un rapport à un expert de la mobilité à l’EPFL concernant les problèmes du réseau de transports genevois.

Donc exit la commission d’enquête… Pourtant notre élu, le magistrat Daniel Devaud avait adressé au parlement à la veille de cette séance une lettre évoquant « l’audit d’une opération immobilière d’une entité de droit public » dans le cadre de laquelle la Cour des comptes avait « constaté une mauvaise gestion des deniers publics portant sur plusieurs millions.?»

« Depuis des mois, écrivait-il, la publication de ce rapport est bloquée. En substance, et par-delà les différentes entraves mises par mes collègues à sa finalisation, ce rapport paraît surtout déplaire aux représentants de différents partis politiques dans le conseil de ladite entité.

 

Lettre escamotée et enquête éludée

 

L’éclairage que jetaient cette lettre et les affirmations qu’elle contient sur les conflits à la Cour justifiait évidemment la commission d’enquête. Or, opportunément, cette lettre n’a pas été communiquée au député·e·s avant leur vote sur la question !

Les choses auraient pu en rester là, Daniel Devaud n’étant pas en mesure, pour des raisons de secret de fonction, ni de nommer l’entité concernée, ni a fortiori de rendre public unilatéralement le rapport évoqué.

Pourtant, suite au travail d’investigation de leurs journalistes, les quotidiens 20 Minutes et Le Courrier se faisaient l’écho la semaine dernière des hauts-cris de l’ex-député PLR Florian Barro, président de la Fondation pour la promotion du logement bon marché et de l’habitat coopératif (FPLC) qui a choisi d’admettre que c’était bien l’entité qu’il dirige qui avait fait l’objet dudit audit, tout en portant des accusations graves quant à la qualité de celui-ci qui serait « indigent et médiocre » et en s’en prenant de manière incongrue aux compétences professionnelles bien connues de Daniel Devaud.

 

De la transparence et vite !

 

Mais ces attaques sont absurdes, l’audit en question est en effet le fruit du travail de toute une équipe, certes pilotée par le magistrat Daniel Devaud, et il a été « délibéré le 21 juin 2012 par tous les magistrats titulaires et suppléants de la Cour des comptes en présence des directeurs de la Cour et de l’équipe d’audit » selon un nouveau courrier adressé par Daniel Devaud au Grand Conseil en date du 22 octobre, auquel ce dernier a cette fois joint les versions initiales et corrigées (après entretien avec l’audité) du texte en question.

Nous ne disposons pas – pour notre part et à ce stade – dudit audit. Nous nous abstiendrons donc de spéculer sur son contenu ou de rapporter ici des éléments concernant le rachat d’une ex-société de Carlo Lavizzari par la FPLC, qui seraient le nœud de cette affaire selon Le Courrier du 18 octobre. Mais à l’évidence les citoyen·ne·s ont le droit de connaître ce rapport, notamment pour pouvoir juger sur pièces, avant l’élection prochaine, de la pertinence du conte de fée d’une cour consensuelle, technique, dépolitisée… où la « vision de l’Etat » différente des uns et des autres n’aurait pas d’importance, comme le prétendent soudain un candidat Vert et un PS sortants dans les colonnes du Courrier du 22 octobre.

 

Pierre Vanek

 

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Dernière minute

Mardi 23 octobre au matin, Daniel Devaud s’est vu physiquement agresser dans son bureau par son collègue Stéphane Geiger.

 

Pour sa protection, il a dû appeler la police à deux reprises ! Suite à l’arrivée des agents, c’est le procureur général Oliver Jornot qui a débarqué à la Cour. Fait surprenant, le procureur général a indiqué que sa présence n’était pas liée aux incidents de ce matin, mais qu’il était là, suite aux reproches de la Cour des comptes, reproduits dans la presse, selon lesquels Daniel Devaud aurait «violé le secret de fonction».

Mais qu’a donc fait Daniel Devaud ? Il a transmis à l’autorité de surveillance qu’est le Grand Conseil, une lettre de mise au point concernant les attaques dans la presse de Florian Barro président de la FPLC. Cette lettre comportait à l’appui de son propos, l’audit en question.

Mais le secret de fonction, n’est pas opposable à la transmission d’informations à une autorité de surveillance, comme veut le faire croire la Cour des comptes. D’ailleurs, si elle pensait avoir une base à ce reproche, elle aurait déposé une plainte pénale, ce qui n’a pas été fait.

Ainsi, en l’absence de plainte, et face à des faits connus et non contestés, le procureur général Jornot s’est autosaisi de cette affaire, avec un arsenal de mesures, dont la mise sous scellés du bureau du juge Devaud. Le procureur général Jornot s’autosaisira-t-il également, avec la même vivacité, de l’affaire évoquée par l’audit de la Cour qui a –  semble-t-il – constaté une mauvaise gestion des deniers publics portant sur des millions ? Le Grand Conseil fera-t-il enfin son travail ? Affaire à suivre. PV