Homophobie et manifestations de droite

En France, deux manifestations successives ont donné une grande visibilité aux différents courants opposés au mariage homosexuel, rappelant l’existence de tels milieux conservateurs et posant la question de leur réelle envergure, notamment au niveau international.

 

Le weekend du 17 et 18 novembre a été marqué à Paris par deux manifestations s’opposant au mariage homosexuel. Avec des discussions polémiques au niveau national et des affrontements (en particulier l’agression brutale qu’ont subie les contre-manifestantes des Femen), ces rassemblements ont reçu une attention médiatique très importante. Il semble intéressant de montrer quelles images des milieux chrétiens et/ou opposés au mariage homosexuel en ressortent. Avec ces deux journées, on a pu observer deux visages distincts. Le premier se voulait rassembleur et a en effet réuni plus de 100 000 manifestant·e·s dans toute la France, le samedi. Dans un mode de discours propre à l’extrême droite actuelle dans son ensemble, il s’agissait de dédiaboliser le refus du mariage homosexuel en mettant en avant les mots d’ordre de tolérance religieuse et même d’opposition à l’homophobie. La trame argumentative consistait à affirmer le droit à la différence – « on n’a rien contre les homos » – pour justifier par cette dernière la discrimination « vu que vous n’êtes pas un papa et une maman, vous ne pouvez pas réclamer les mêmes droits, à savoir le mariage et élever un enfant ». 

 

Le lendemain, le nombre de manifestants est à diviser par cent pour un rassemblement au visage plus radical et violent, prétexte au rassemblement des différentes familles de l’extrême droite. Ici, le ton était de l’ordre du décomplexé avec le slogan «oui à la famille, non à l’homofolie». Pour le chef de Civitas, Alain Escada, l’homosexualité est un «mauvais penchant qui nécessite d’être corrigé et une personne qui a de tels penchants devrait être abstinente» (Le Monde, 17.11.12). L’homophobie s’affirme dans toute sa violence, verbale et physique : les homosexuels seraient des gens malades, menaçant la sainte nation et l’humanité. 

 

Dédiabolisation et mobilisation 

Ces manifestations anti-mariage homosexuel traduisent de plus des tendances fortes des milieux réactionnaires actuels, ces dernières s’exprimant de façon récurrente au niveau international. Dans le numéro 214 de solidaritéS, nous avons déjà évoqué des rassemblements du même type en Suisse. Aux Etats-Unis, les membres du Tea Party, bien que de façon hétérogène, défendent des positions également homophobes. Un des chevaux de bataille de leur site est ainsi la défense de la chaine de restauration rapide Chick-fil-A, qui est l’objet de forte critique des milieux progressistes pour ses positions homophobes. En effet, cette entreprise soutient financièrement des fondations chrétiennes dont la mission est de « guérir » les personnes homosexuelles. 

On pourrait multiplier les ex-emples dans les différents pays. Commune à tous, surgit une évolution forte et faussement paradoxale que le cas de Paris met bien en lumière. Il s’agit d’une part de dédiaboliser le discours réactionnaire pour rassembler le plus de monde. Pourtant, derrière les slogans contre l’homophobie, le discours vise les mêmes conclusions. Comme dans le discours raciste contemporain, il s’agit de reconnaître les différences pour mieux les essentialiser et en faire des facteurs hiérarchisant. Ces mêmes mouvements prennent d’autre part une forme plus militante, s’affichant dans la rue, s’appropriant des formes de happening urbain. Ces deux phénomènes interagissent entre eux, la dédiabolisation donnant aux plus extrêmes une légitimité, ces derniers assurant en retour la crédibilité réactionnaire au mouvement rassembleur, soulignant la spécificité de leur prétendue tolérance. Tous deux assurent une forte présence à cette idéologie dans les différents médias et une légitimité sociale. Elle peut ainsi être reprise sans autre par la droite bourgeoise, François Copé (UMP) n’hésitant pas à appeler à manifester. Preuve supplémentaire de la poussée réactionnaire que connaît l’ensemble du champ politique et du fort ancrage de l’homophobie dans les partis de droite. Les soi-disant bourgeois libéraux n’y échappent pas en se repliant en temps de crise sur leur champ idéologique hors du monde économique, mêlant religion, famille et nation sous le Saint-Esprit de l’ordre. 

 

Le mariage, un enjeu imposé

Mais malgré cette centaine de milliers de personnes, est-ce que l’importance que l’on donne au front du refus du mariage homosexuel n’est pas exagérée par sa médiatisation ? En effet, on perçoit plutôt une tendance forte pour l’acceptation du mariage entre personnes du même sexe dans les pays occidentaux, y compris dans des pays où le catholicisme est fortement ancré comme l’Espagne. Aux Etats-Unis, malgré l’opposition puissante du camp républicain, ce thème a triomphé dans plusieurs Etats. De plus, la manifestation de ce samedi est de même envergure que celle qui eut lieu en 1999 contre l’introduction du PACS, indiquant que cette mouvance ne connaît pas de croissance importante.

On peut se réjouir que le mariage homosexuel soit ainsi accepté dans des pays de plus en plus nombreux. Néanmoins, il ne faut pas oublier que cet enjeu en soi est imposé et confine le débat de façon à écarter toute contestation radicale en terme de genre et de société. Absente donc, la critique du mariage comme norme d’association sociale binaire et tout ce qu’il implique, notamment dans la question de l’héritage. Ces manifestations nous imposent bien une revendication par défaut qu’il s’agit néanmoins de défendre face aux remous réactionnaires.

 

Pierre Raboud