Soutien à l'initiative de la JSS

Soutien à l'initiative de la JSS : Pas de spéculation sur les biens alimentaires

La lutte contre la spéculation sur les matières premières agricoles (voir « solidaritéS » nº 218) se poursuit dans la perspective de mobilisations dénonçant le prochain « Sommet mondial des matières premières » à Lausanne (voir en page 2). Nous abordons ici la question du soutien critique à l’initiative de la Jeunesse socialiste suisse (JSS), focalisée sur l’interdiction de la spéculation financière dans le domaine de l’alimentation.

Dénonçant «la forme la plus extrême de la recherche du profit», l’initiative veut stopper l’enrichissement des spéculateurs sur les denrées alimentaires en interdisant aux acteurs financiers (banques, négociants en valeurs mobilières, assureurs privés, fonds de placements collectifs de capitaux, personnel bancaire affecté à ces affaires et gestionnaires de fortune, institutions d’assurances sociales et autres investisseurs institutionnels) d’investir dans des instruments financiers se rapportant à des matières premières agricoles. Le texte maintient l’autorisation des contrats conclus entre des producteurs et des commerçants qui portent sur la garantie des délais ou des prix fixés (contrats dits « à terme » ou «futures») pour livrer des quantités de produits déterminés à l’avance. Cette restriction permet donc aux courtiers (traders) liés directement au négoce physique (stockage, transport, livraison) de poursuivre leurs activités, contrairement au trading dit purement spéculatif, qui ne se préoccupe pas de la réalité des « sous-jacents », à savoir des produits matériels eux-mêmes. 

Les plus grandes instances onusiennes (CNUCED, FAO, PAM, FIDA) et même la Banque mondiale affirment que cette spéculation génère une instabilité croissante et d’inexorables hausses de prix, appauvrissant toujours plus le milliard d’êtres humains mal nourris, qui dépensent les trois quarts de leurs ressources pour ne pas mourir de faim.

  Pour les acteurs de ce secteur commercial, la relation entre l’activité des courtiers et la hausse des prix des produits alimentaires n’est pas démontrée: ils vont donc s’acharner à le prouver, en prônant au contraire le rôle «régulateur» du trading. La bataille sur ce point est donc centrale, et nous aurons besoin de compétences pointues de notre côté.

 

Une initiative très ciblée

La séparation entre le trading spéculatif et le trading physique pose problème : les mêmes acteurs pratiquent les deux de façon indissociable?; les grandes agences internationales de négoce comme Cargill, Louis Dreyfus, Bunge, n’auront aucune peine à poursuivre leurs activités spéculatives. L’argumentaire lui-même le reconnait : «?Des entreprises actives à la fois en bourse et sur les marchés physiques ont un double intérêt à entreposer des marchandises et à spéculer à la hausse sur les prix, elles profitent d’une part de prix de vente élevés et d’autre part des bénéfices de la spéculation sur les biens alimentaires.?»

C’est bien là que l’argumentaire des jeunesses socialistes fait débat. En se focalisant sur les aspects spéculatifs du marché, il entretient l’idée que le néolibéralisme ne serait qu’un excès regrettable du capitalisme, qu’il suffirait de réguler. De plus, il passe sous silence de nombreux autres critères de domination qui expliquent l’existence de la pauvreté, notamment les rapports inégalitaires entre Nord et Sud. 

D’autre part, le mélange actuel des productions pour les agrocarburants (sucre en bioéthanol par exemple) et des productions alimentaires rend aussi la séparation problématique pour une interdiction de la spéculation, sauf à englober l’ensemble.

D’autre part, la possibilité d’introduire une régulation de cette spéculation semble difficilement réalisable compte tenu de son extrême mobilité. Les marchés de gré à gré (OTC) se déroulent sur des plateformes hors contrôle. Les masses de capitaux déversés sur ces marchés sont gigantesques et le contrôle des autorités de surveillance des marchés est dépassé. Actuellement s’échangent annuellement 46 fois la production mondiale du blé et 26 fois celle du maïs ! Mettre un arrêt à ce business est certes indispensable, mais cela implique un changement profond du rapport de force social pour l’obtenir, ce qu’une seule initiative populaire ne peut réaliser. Le risque est donc de créer une illusion sur la possible mise en place concrète du contrôle d’un des secteurs clés du capitalisme.

 

Une campagne sur un enjeu déterminant

Cette initiative est cependant une excellente occasion de développer la prise de conscience populaire sur le capitalisme réellement existant dans notre pays, car il ne fait pas de doute que la bataille idéologique et le débat sur la possibilité de réguler le capitalisme vont être intenses. En visant un des aspects les plus choquants de capitalisme, cette initiative aura le mérite d’amener dans le débat public des éléments politiques cruciaux comme les inégalités Nord-Sud, la paupérisation causée par le système financier capitaliste ou encore la place prépondérante qu’occupe la Suisse dans ce marché indigne. En effet, avec l’UBS et Credit Suisse au premier rang, la Suisse fait partie des leaders mondiaux dans ce secteur.

Notre mouvement doit être partie prenante de cette nouvelle occasion de dénoncer et lutter contre le rôle impérialiste de la Suisse dans le marché spéculatif des matières premières, avec ses dégâts sociaux et environnementaux. Que ce soit avec cette initiative ou dans la mobilisation contre le prochain «Sommet mondial des matières premières», les rendez-vous sont pris. 

 

Gilles Godinat et Pierre Raboud

 

Le site de l’initiative : juso.ch/fr/stop-speculation