Baisse de l'impôt sur les bénéfices des entreprises

Baisse de l'impôt sur les bénéfices des entreprises : La grande arnaque

C’est presque à l’unanimité que le Grand Conseil vaudois a décidé, le 16 avril, d’entrer en matière sur la réduction de l’imposition des entreprises proposée par le gouvernement puisque seuls les quatre membres du groupe La Gauche (POP-solidaritéS) s’y sont opposés. Voici les raisons de cette opposition.

« La Gauche (POP-solidaritéS) s’oppose à cette baisse d’impôt sur les bénéfices des entreprises, d’abord parce qu’elle se fait sans aucune consultation des communes et donc en méconnaissance de ses effets, en terme de baisse de recettes fiscales, pour ces collectivités publiques. Ensuite et surtout, parce que le deal passé entre le Conseil d’Etat et le Centre patronal en 2012 est un véritable marché de dupes. Ce deal a la teneur suivante : les employeurs acceptent que les cotisations qu’ils versent pour les allocations familiales allouées aux salariés soient relevées et « en échange », le taux d’imposition cantonal sur leurs bénéfices va être diminué d’un point de pour cent. Le montant total supplémentaire versé pour ces allocations familiales, selon les prévisions du Conseil d’Etat, devrait être en 2017 de 95 millions de francs.

 

Il s’agit bien d’une arnaque, et ce pour les raisons suivantes:

Les cotisations versées par les employeurs pour les allocations familiales font partie de la masse salariale et ces coûts supplémentaires vont donc être portés en déduction du bénéfice, diminuant donc l’impôt que les entreprises vont payer sur leurs bénéfices. Si, sur les 95 millions d’allocations familiales supplémentaires versées en 2017, les entreprises privées en financent, disons 70 millions, les bénéfices cumulés de ces entreprises seront inférieurs en 2017 de 70 millions à ce qu’ils auraient été sans ce deal. Si on prend un taux d’imposition moyen sur les bénéfices en 2017 de 23 % (= impôt communal + cantonal + fédéral en 2011), cela signifie une économie d’impôt de 16 millions pour les propriétaires de ces entreprises qui vient s’ajouter au montant économisé grâce au point de pour cent en moins prévu. Les patrons gagnent sur les deux tableaux ! 

 

Par ailleurs, les allocations familiales sont exprimées en francs : elles sont donc insensibles à l’inflation de même qu’à la croissance économique. En revanche, la baisse d’impôt est exprimée en pour cent et prendra donc une importance de plus en plus grande avec le temps. En clair : comme d’habitude, le Conseil d’Etat ne donne des projections qu’à l’horizon 2017. Mais quid en 2030 ? Admettons qu’en 2030, les prix aient augmenté de 50 % en Suisse et qu’il y ait une croissance réelle du PIB de 35 % par rapport à 2017. La secrétaire de Nestlé à Vevey touchera toujours 250 francs pour son enfant de 12 ans. Mais entretemps, le pouvoir d’achat de ces 250 francs ne correspondra plus qu’à 167 francs (c’est 16,5 % de moins qu’en 2017…). En revanche, si l’on admet que le bénéfice de Nestlé Suisse suit une courbe parallèle à l’inflation et à la croissance du PIB et que le taux d’imposition reste le même en 2030 qu’en 2017, on aura la situation suivante : admettons que le bénéfice de Nestlé Suisse atteigne 1 milliard en 2017, alors il atteindra 2 milliards en 2030. La diminution de l’imposition cantonale et communale sur le bénéfice de 17 % à 16 % dès 2017 signifie concrètement que si le montant payé par Nestlé suisse diminue de 10 millions en 2018 (160 millions d’impôts au lieu de 170 millions), cette économie d’impôt atteindra 20 millions en termes nominaux et 13,3 millions en termes réels en 2030, soit 33,3 % de plus. Autrement dit, le système implique automatiquement au fil des années une péjoration pour les salariés et pour les recettes de l’Etat et donc une pression à la hausse pour mener des politiques d’austérité.

 

L’imposition sur le bénéfice des entreprises sous forme de sociétés anonymes a déjà été beaucoup diminuée dans le canton de Vaud durant ces 20 dernières années :

en 2011, le taux d’imposition d’une entreprise dégageant 1 million de bénéfice net atteint à Lausanne, pour l’impôt cantonal et communal, 17 %. (Administration fédérale des contributions, Charge fiscale en Suisse 2011. Chefs-lieux des cantons Berne, 2012, p. 61).

en 1991, le taux d’imposition d’une entreprise dégageant le bénéfice exactement équivalent, compte tenu de l’inflation, soit 800 000 francs, était de 22,3 %. (Administration fédérale des contributions, Charge fiscale en Suisse 1991. Chefs-lieux des cantons, Berne, 1992, p. 69).

L’imposition du bénéfice de ces entreprises a donc été baissée de 5,3 points de pour cent ou de 23,8 %. Autrement dit, une entreprise dont le bénéfice est resté constant entre 1991 et 2011 et qui payait 100 000 francs d’impôts en 1991 n’en paie plus que 76 000 en 2011, soit presque un quart d’impôt en moins sur le bénéfice.

 

Dans ce cadre, il faut poser la question : quel sera l’effet, en termes de diminution de recettes fiscales, de la baisse d’un point de pour cent de l’impôt cantonal sur le bénéfice ? Si les recettes du canton et des communes diminuent de plusieurs dizaines de millions et que, de l’autre, leurs dépenses augmentent de quelques dizaines de millions parce qu’ils devront financer cette augmentation des allocations familiales en tant qu’employeurs, cela signifiera au total un trou assez conséquent qui augmentera évidemment la pression pour imposer de nouveaux plans d’austérité. Compte tenu des très généreux cadeaux fiscaux déjà faits aux entreprises durant ces dernières décennies, le taux d’imposition ne devrait en aucun cas être baissé. 

 

Pour toutes ces raisons, la coalition La Gauche (POP-solidaritéS) refusera de voter l’entrée en matière sur le projet du Conseil d’Etat.»

 

Jean-Michel Dolivo

pour La Gauche (POP-solidaritéS)