Peindre Genève en rouge: quel combat au municipal?

Peindre Genève en rouge: quel combat au municipal?

A Genève, les municipales c’est fin mars. solidaritéS est en campagne. En Ville, notre mouvement se présente sur une liste de l’Alliance de Gauche (solidaritéS – Indépendants), la seule avec une parité femmes-hommes et qui défende une politique résolument à gauche du PS et des Verts. Notre liste, comporte 28 candidat-e-s, dont 18 membres de solidaritéS. Le Parti du Travail quant à lui a décidé de partir seul. A Carouge, comme en Ville, l’ADG (solidaritéS – Indépendants) se présente sans le PdT. Des listes ADG sont en lice dans toutes les autres grandes communes suburbaines: Lancy, Meyrin, Onex, Vernier. Nous publions ici un entretien avec Jacques Mino de solidaritéS, conseiller municipal en Ville de Genève, l’un de nos candidats à qui nous avons demandé…

N’est-ce pas du temps perdu d’aller siéger dans un Conseil municipal?

A cette question il y a trente ans j’aurais dit oui, développé le thème «Votations piège à cons». J’avais une vision de l’Etat, des institutions, comme étant essentiellement des instruments de domination au service du patronat, de la droite. Les choses m’apparaissent aujourd’hui plus complexes. L’Etat, son financement et ses prestations sont souvent le premier objet des attaques de la droite néolibérale. La défense des acquis des travailleurs-euses passe par le combat pour maintenir et améliorer des prestations publiques, à l’échelle municipale aussi. La politique institutionnelle n’est pas un terrain qu’on peut abandonner sans risques… à ceux pour qui elle est le seul horizon.


Même si l’image des plénières sur TV-Léman bleu, ce n’est pas le pied, c’est aussi un lieu où on doit défendre les travailleurs-euses et habitant-e-s. Le travail des élu-e-s ne se résume d’ailleurs pas à ça. Une part du boulot, concret et qui en vaut la peine, se fait en commissions, sociale, du logement, etc.

Mais avec les pouvoirs limités des communes dans le canton de Genève ne devrait-on pas concentrer nos efforts ailleurs?

Le combat sur le terrain est prioritaire. Mais il ne faut pas sous-estimer la complémentarité de l’espace institutionnel. On vote des crédits et des projets qui changent la vie des gens au quotidien: pour construire et faire fonctionner des crèches, tenter de répondre aux besoins aigus de logements sociaux à des prix abordables, sur le plan de la circulation par la mise en place de zones à 30 km/h, d’espaces piétonniers, de parkings d’échange, d’infrastructures de transport publics…

Mais si nous n’étions pas là, ça ne se passerait pas en gros la même chose?

Certainement pas… Un exemple, on vient d’avoir un débat à Artamis à ce sujet, la droite a le projet de liquider la culture alternative, nous on la défend mordicus… on lutte contre l’individualisme dans le concret de la vie quotidienne alors que si on laisse faire la droite elle étendra cet individualisme, son credo dans le domaine économique, à tous les aspects de la vie quotidienne des gens, de la vie sociale. On contribue par notre action à changer la vie des habitant-e-s même si c’est lent et pas toujours visible. On contribue à construire un tissu de relations sociales qui participe à la réappropriation par les citoyen-ne-s d’un contrôle sur leur propre existence.

Mais qu’est ce qui nous différencie dans cette arène du PS, des Verts, de la «gauche» institutionnelle?

L’une des différences essentielles, ça n’est pas que nous ne ferions jamais de compromis ou que nous serions toujours plus «radicaux» que les autres, mais c’est qu’on défend des principes, on explique pourquoi on fait les choses, sur les sujets particuliers on tente d’articuler, vraiment chaque fois, notre position avec une dénonciation du système capitaliste, sur le fond. De ce point de vue le municipal est aussi un lieu où l’on fait avancer nos idées.

Cite nous quelques points importants de la législature de ce point de vue?

Un exemple c’est notre NON à la guerre au municipal, le non à cette guerre est une opinion partagée, notre proposition d’afficher le refus de la guerre à fait la quasi unanimité au municipal, mais nous sommes les seuls à avoir un discours antimilitariste conséquent qui s’étend à la mise en cause et au refus de l’armée en Suisse.


A propos des sans-papiers nous sommes seuls à affirmer sans bémols et ni détours qu’il faut reconnaître l’existence de ces travailleurs-euses de l’ombre, collectivement, et leur donner à tous-toutes des permis… Nous avons lancé la motion pour leur légalisation collective, mais aussi une motion demandant au service de la petite enfance de la Ville d’enregistrer les 0-4 ans, de manière à les faire exister officieusement quelque part, ceci pour obliger les assurance-maladie à les couvrir et le service des assurances de l’Etat à verser les subsides les concernant…En ce qui concerne les réfugié-e-s, nous avons pris l’initiative de demander qu’on les sorte des caves de la PC et que l’on relance un fonds d’aide aux jeunes requérants pour qu’ils puissent terminer ici une formation en cours.


Encore un exemple, à propos de l’«insécurité», nous sommes seul-e-s à ne pas rentrer dans cette iniquité consistant à la mettre à toutes les sauces, seul-e-s à désigner les vraies peurs, légitimes, des gens: le chômage, l’insécurité du travail, etc. et non pas quelques dealers dont la présence est le produit d’un système des relations Nord Sud inégales… Ce genre de liens nous sommes les seuls à les faire systématiquement.


Enfin, un mot sur la culture: solidaritéS s’est investi particulièrement en faveur du nouveau Musée d’Ethnographie à la Place Sturm. Un projet de qualité et intelligent, qui aurait permis de développer sans délais une pratique d’ouverture culturelle urgente pour toute la population. Les responsables du Musée actuel étaient intéressés par notre projet de lui adjoindre le bâtiment de l’Arsenal en faisant partir l’armée de ce lieu. Nous n’avons été suivis que par le PdT. Par contre nous avons réussi à faire augmenter d’un million la subvention à la création cinématographique locale.

La crise du logement est aiguë à Genève, que faites-vous?

On est partis bille en tête pour revitaliser et réorganiser la fondation HLM de la Ville qui fait son boulot… gentiment, mais avec insuffisamment de compétences et de moyens. Nous voulons une révision de ses statuts de qui la rapproche de la municipalité, qui accroisse le degré de contrôle public sur ce type d’activités, qui garantisse qu’on la gère correctement de manière transparente, qu’on achète les terrains, qu’on construise… à ces conditions, nous sommes prêts à injecter, avec l’alternative, une vingtaine de millions de francs dans cette fondation. La droite, elle, se bat contre ce type de contrôle démocratique et d’investissement public, elle veut laisser tout ça au privé… En matière de rénovations aussi, nous défendons pour le parc immobilier de la Ville, des rénovations simples, permettant des loyers bon marché, des immeubles confiés à des coopératives d’habitant-e-s pour accroître le degré de contrôle et de gestion par la population même de sa vie et de ses choix!


Ça rejoint notre avis sur la démocratie participative. Pour nous il ne s’agit pas que des magistrats se fassent voir dans les quartiers et aillent y «vendre» leurs projets aux habitant-e-s, même si l’on doit reconnaître à Christian Ferrazino et Manuel Tornare une réelle pratique de la concertation. Il s’agit de mettre en place – dans l’esprit de Porto Alegre – des mécanismes marchant en sens inverse, d’être à l’écoute de la population – de tous ceux-celles qui vivent et travaillent ici, quel que soit leur statut – de leur permettre de formuler leurs propres priorités. Sur cette question, nous sommes de loin ceux qui poussons le plus à des décisions concrètes.


Concernant le logement, nous avons eu deux désaccords avec le PdT, au sujet de la Roseraie et du site d’Artamis, face à sa position de densifier à tous crins, quitte à abandonner les règles de protection des locataires parce qu’il faudrait construire du logement à tout prix…. Nous nous opposons au bétonnage aveugle de la Ville et à la construction d’immeubles qui se révèlent après coup inhabitables socialement, comme au Charmilles, où il a fallu dépenser 11 millions pour «acheter du vide», afin que les gens puissent voir encore un peu de soleil… Il ne s’agit pas de construire luxueusement, mais de façon à ce que les habitant-e-s se sentent bien. Or, le PdT a voté avec la droite contre un projet mixte négocié avec les habitant-e-s à la Roseraie et contre le projet dit «Coquelicot» à Artamis. Nous regrettons ces votes du PdT qui ont eu pour résultat… qu’on ne construise pas et nous reviendrons avec ces propositions lors de la prochaine législature.

Pour ce qui est des transports et de la circulation?

En matière de circulation, nous sommes des défenseurs intransigeants des transports publics et de la récupération de rues pour les piétons, comme cela se réalise déjà aux Pâquis, aux Eaux-Vives, ou aux Acacias. Nous sommes fiers de la remise en chantier des deux nouvelles lignes de tram. Pour nous, les voitures en transit et les pendulaires ne doivent simplement pas passer par la Ville. Parkings d’échange à l’extérieur et zones bleues avec priorité au parking des habitant-e-s sont deux instruments essentiels dans ce sens. De ce point de vue nous sommes plus verts qu’un Robert Cramer qui s’est apparemment rallié à la traversée de la rade.

Et sur le plan social?

On va vers le 0.7% du budget pour l’aide au développement. On est arrivés pour la Ville à 0.45 du budget contrairement à l’Etat qui n’y consacre que le 0.14 %. Pour ce qui est de l’adaptation des prestations sociales directes de la Ville aux personnes âgées, nous nous sommes régulièrement retrouvés seuls avec le PdT, sans les verts et le PS, pour les réévaluer. Si nous avons pu y arriver cette année c’est grâce… au ralliement des démocrates-chrétiens!


Alors qu’à l’échelle cantonale la droite s’attaque aux mesures pour les chômeurs-euses, nous avons voté, avec l’Alternative, une rallonge d’un million pour le fond de chômage, pour des postes et des mesures de formation…


En matière de petite enfance également, nous tirons l’«Alternative» pour voter dans l’urgence la municipalisation des crèches et la construction d’un maximum de crèches nouvelles pour répondre à la demande criante en la matière…

Qu’en est-il du combat pour étendre les droits politiques à tous les habitant-e-s?

Nous sommes pour l’égalité des droits des résidents étrangers, au travail, en matière de droits politiques bien sûr aussi. Nous sommes pour le droit d’éligibilité, et non seulement de vote, sur les plans cantonaux et communaux. Sur le plan communal ces droits sont acquis dans le canton de Vaud, à Neuchâtel et en passe de l’être à Fribourg. Au national, même des radicaux proposent l’éligibilité! De ce point de vue le dédoublement des deux initiatives «J’y vis, j’y vote» lancées récemment, qui saucissonnent ces droits politiques, sont évidemment un piège qui nous hérisse… Nous nous battrons, bien sûr, pour faire aboutir la première des initiatives qui comporte l’ensemble des droits politiques à l’échelle communale.

…et l’UDC qui se profile?

Le Grand Conseil donne une image de ce que pourrait être leur prestation en Ville s’ils sont élus: ils sont en fait inexistants politiquement, sauf à constituer une béquille pour donner une majorité à la droite. En Ville ils contribueraient à donner bonne conscience à celle-ci pour liquider la culture alternative, agiter le hochet de l’«insécurité», soutenir les cadeaux fiscaux aux nantis, couper dans le social, prêcher la xénophobie et la division des travailleurs-euses. C’est une perspective inacceptable qu’il faut combattre résolument.


Propos recueillis par la rédaction


Sur notre site: programme ADG (solidaritéS-Indépendants), présentation de nos candidat-e-s genevois, matériel de campagne