Initiatives 1:12 et salaire minimum

Initiatives 1:12 et salaire minimum : Points d'appui pour lutter?

Un OUI le 24 novembre prochain à l’initiative 1:12 « pour des salaires équitables » comme à l’initiative pour un salaire minimum fixé à 4000 francs (22 francs l’heure) s’impose pour toutes celles et tous ceux qui entendent résister à l’accroissement des inégalités sociales. Ancrer dans la législation ces normes de protection sociale constituerait sans aucun doute une victoire dans ce paradis des patrons qu’est la Suisse. Les associations d’employeurs et les partis bourgeois mènent une campagne publicitaire à coup de millions pour s’y opposer. 

De ce point de vue, la récente décision de Lidl, discounter allemand, de verser un salaire minimum de 4000 francs à ces em­ployé·e·s en Suisse peut sembler paradoxale. Elle met en évidence les avantages importants dont bénéficient les patrons dans ce pays : en particulier, une durée légale du travail parmi la plus élevée d’Europe (45 heures, voir 50 heures pour certains secteurs), une très forte productivité, l’absence de protection contre les licenciements. L’intensité du travail y est particulièrement forte, si bien qu’un·e sa­la­rié·e sur trois souffre de stress chronique (selon une étude du Secrétariat à l’économie de 2010), ainsi que de harcèlement et des formes diverses de contraintes sur la place de travail. Les rythmes de travail augmentent, avec la pression subie du fait des délais imposés. Une grande part de sa­la­rié·e·s vivent leur quotidien professionnel dans un climat de peur. Ils·elles renoncent par exemple très souvent à exiger le paiement de ce qui leur est dû pour les heures supplémentaires effectuées.  

La très faible hausse des salaires nominaux masque le fait que le pouvoir d’achat a stagné, voire diminué, ces dernières années : il n’y a qu’à la mettre en parallèle avec l’envolée des primes d’assurance-maladie ou des loyers. Les discriminations salariales liées au sexe et à la nationalité sont criantes : en 2010, 12 % des femmes, deux fois plus que les hommes, touchaient un salaire horaire inférieur à 22 francs ! Un tiers des emplois payés en-dessous de ce seuil sont à temps partiel avec un taux d’occupation inférieur à 50 %, raison pour lesquelles les femmes sont les plus touchées. De même, ce sont 14 % des sa­la­rié·e·s de nationalité étrangère qui gagnent moins de 22 francs l’heure, alors que 6 % des Suisses sont dans ce cas.

Ces réalités du rapport d’exploitation mettent en évidence l’inanité des discours sur une prétendue répartition équitable des fruits de la croissance. Les rapports de force sont aujourd’hui dans les faits, avec la crise et la précarisation des conditions de travail, très défavorables aux sa­la­rié·e·s. La fixation d’un salaire minimum ou d’un écart salarial maximal dans la loi (initiative 1:12)  représenteraient une pierre dans le jardin des employeurs, même si leur application serait aussi un enjeu de lutte. La faiblesse d’implantation des syndicats dans les secteurs les plus concernés par les bas salaires (notamment le commerce de détail, l’hôtellerie, la restauration, les services de nettoyage, l’industrie de l’habillement, l’économie domestique) constitue un lourd handicap. 

De surcroît la signature de conventions collectives de travail (CCT) avec des salaires nettement plus bas (par exemple, dans la restauration, où la CCT prévoit des salaires de 3400 francs par mois, dans l’horlogerie, pour les sa­la­rié·e·s non qua­li­fié·e·s selon la région, entre 3000 et 3500 francs par mois et tout récemment, dans la métallurgie, la CCT ASM, avec selon les régions, pour les tra­vail­leurs·euses non qualifié·e·s des salaires à 3300 francs) est inadmissible. Un véritable coup de poignard dans le dos ! Quant aux déclarations du président du Parti socialiste suisse (PSS), Christian Levrat, qualifiant l’initiative 1:12 «d’utopie nécessaire», elles mettent en relief le peu de considération que porte la direction de ce parti à une amélioration concrète des conditions de travail des sa­la­rié·e·s, surtout qu’une grande partie d’entre eux-elles, les im­mi­gré·e·s, sont privés  du droit de vote !

Notre soutien aux initiatives 1:12 et pour un salaire minimum légal va de pair avec un engagement prioritaire à favoriser l’action collective et la mobilisation des sa­la­rié·e·s. Cela implique un syndicalisme fondé sur l’activité et l’organisation des tra­vail­leurs·euses, et non sur la reconnaissance par les patrons d’un « partenaire social » et sur son financement indirect au travers de la contribution professionnelle. La mobilisation représente la seule garantie pour qu’au travail, le despotisme des employeurs ne ruine pas systématiquement les quelques avancées qui pourraient être obtenues en terme de droits. 

La fixation d’un salaire minimum légal ne doit ainsi pas être pervertie et transformée en une sorte de légalisation d’un statut de salarié pauvre. Face aux pleins pouvoirs patronaux, il est urgent de se battre pour le droit à la libre expression et organisation des sa­la­rié·e·s dans les entreprises, pour la défense et l’extension des droits syndicaux, y compris de l’exercice effectif du droit de grève. Les licenciements  de travailleurs et travailleuses en grève à l’Hôpital de la Providence à Neuchâtel, à SPAR à Dättwil en Argovie, ainsi que tout récemment à Gate Gourmet à Genève illustrent (hélas) l’importance de ce combat.

 

Jean-Michel Dolivo