Grève du cyclotri de partage à Carouge

Grève du cyclotri de partage à Carouge : Le gréviste comme figure de l'altérité

Retour au Conseil municipal de Carouge, le jeudi 17 octobre. Nous sommes au 57e jour de grève des travailleurs en « Emploi de solidarité » (EdS) du Cyclotri de Partage. La motion portant sur la rupture du contrat avec Partage, sur la réinternalisation des tâches de voirie dans le Vieux-Carouge ainsi que sur la création de postes de travail au sein de la voirie pour 3 à 5 personnes en EdS ayant travaillé à la levée des ordures par le biais de la sous-traitance à Partage revient devant le Conseil après son traitement en commission.

 

Les grévistes sont dans le public, après avoir manifesté devant la Mairie le jour précédent afin de réclamer que les 420 000 francs versés par la commune de Carouge soient affectés à la création de postes à la voirie. Un gréviste prend la parole : « Nous, grévistes de Partage, nous entamons aujourd’hui notre 56e jour de grève?; nous, grévistes de Partage, avons dénoncé une direction aux formes d’abus de pouvoir, d’insultes et de menaces, de travail de voirie à bon marché, c’est-à-dire une main-d’œuvre sous payée. Cette même direction qui, il n’y a pas si longtemps, se gargarisait dans les journaux d’être une association à but social, alors que ses membres directoriaux ne le sont pas. Dans cette lutte, nous avons obtenu la cessation du contrat qui lie la Commune de Carouge à Partage Cyclotri, mais cette lutte n’est pas terminée : nous attendons de la Commune de Carouge qu’elle fasse l’effort d’engager plusieurs d’entre nous au sein de sa voirie, ce qui serait un geste légitime de sa part, après toutes ces souffrances passées sur un triporteur, durant plusieurs années pour certains. Merci.»

 

EdS du Cyclotri contre chômeurs carougeois ?

 

Dans la salle du Conseil municipal, on parle à nouveau, à droite comme à gauche, des grévistes en utilisant les déterminants démonstratifs : « ces gens », « ces personnes ». Ces déterminants qui démontrent que les travailleurs en EdS sont autres. Cette altérité est renforcée lorsque, à droite comme à gauche, on s’émeut de la conséquence de la création d’emplois où les EdS du Cyclotri seraient prioritaires : « et les chômeurs carougeois, alors ?».

Les EdS du Cyclotri contre les chômeurs carougeois, une parade imparable. Car tout le monde le sait, les chômeurs de fin de droit travaillant en EdS habitent sur la planète Mars. Ils viennent d’ailleurs, comme les jeunes qui commettent des incivilités (à Carouge, ils viennent fatalement de Saint-Julien-en-Genevois), les frontaliers, les « faux » requérants, les Roms, et globalement tous les « abuseurs » et les « pauvres » (ces catégories n’étant pas mutuellement exclusives). 

Un conseiller municipal relève que lors de l’audition des grévistes, il s’est effectivement avéré qu’un EdS réside à Carouge. Il lui a posé la question « pourquoi êtes-vous venu habiter à Carouge ? » (car… le gréviste parle le français avec un accent maghrébin). Le gréviste a répondu : « Mon fils aime jouer au football et à la Chaux-de-Fonds, les terrains sont toujours enneigés ». Zut ! Il a habité à la Chaux-de-Fonds avant Carouge ! Car ce que le Conseiller municipal (de l’Alternative) voulait savoir, c’est pourquoi le gréviste est venu de l’ÉTRANGER à Carouge.

Durant tout le débat, les grévistes ont été renvoyés aux frontières de l’altérité. Le même phénomène est à l’œuvre dans la métaphore qui nous est servie ad nauseam dans la presse : « Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Cette métaphore puériculturelle tente de mettre à distance le questionnement de fond sur la dignité humaine dans le monde du travail en pointant du doigt uniquement un employeur, l’association Partage, et les travailleuses et travailleurs qui y sont employés en les transformant en poupons crasseux qui ont été lavés à l’eau de l’Etat social. Pourtant, c’est bien du système EdS dans son ensemble dont il est question, ce système dont la mise en accusation met dans l’inconfort une grande partie de la gauche genevoise 1.

 

Vers le salaire minimum à 4000 francs

 

La motion carougeoise a été refusée, après des tentatives pour l’édulcorer au point où il n’en restait plus rien. Mais de toute façon il n’y avait pas grand chose à décider: le Conseil administratif de Carouge avait annoncé, par voie de presse, le lundi 14 octobre, que le contrat avec Partage était dénoncé, la voirie du Vieux-Carouge réinternalisée, et que deux postes seraient crées – deux postes ouverts largement et non réservés aux EdS. Mais les EdS qui postuleront seront reçus pour un entretien. Bon…

Les grévistes ont le regard tourné vers l’horizon de leur lutte. Lors d’une assemblée en début de semaine lors de laquelle étaient évoqués les salaires de misère des EdS, un gréviste – le plus jeune, 29 ans – prend la parole : « mais en fait, on est en train de préparer la campagne pour le salaire minimum à 4000 francs ! ». Oui ! Si les grévistes du Cyclotri de Partage sont des figures de l’altérité, alors cette altérité est sacrément attentive et ancrée dans son contexte ! 

 

Cornelia Hummel