Ardoises effacées, les arriérés de salaire aussi!

Ardoises effacées, les arriérés de salaire aussi!

Le Tribunal fédéral vient de trancher, fin mars 2003: en cas de reprise d’une entreprise en faillite, le repreneur n’est pas tenu de verser aux travailleurs et travailleuses les salaires laissés impayés par leur ancien employeur, et ce même pour une période limitée! Ils-elles ne pourront donc compter que sur les indemnités en cas d’insolvabilité versées par la Loi fédérale sur l’assurance-chômage (LACI), couvrant uniquement les salaires des quatre derniers mois avant la fin des rapports de travail, et encore seulement à hauteur de 80 à 70 pour cent.

Au mépris de la protection des salarié-e-s

Cette décision va à l’encontre du but de protection des salarié-e-s, poursuivi en 1993, lorsque de nouvelles dispositions ont été introduites dans le droit du travail, visant à garantir le maintien des droits des travailleuses et travailleurs en cas de transfert d’entreprises ou de partie d’entreprises. Ces nouvelles normes faisaient en effet partie du paquet «Eurolex» dont le but était de rendre le droit du travail euro-compatible, en prévision de l’adhésion de la Suisse à l’Espace économique européen. Il s’agissait de garantir le maintien des droits des salarié-e-s en cas de changement d’employeurs, par la conservation de l’emploi sous le nouvel employeur, dans les mêmes conditions que celles convenues avec le précédent. Or, actuellement, les restructurations et fusions sont très souvent précédées par le dépôt de bilan et la faillite d’une ou plusieurs sociétés de groupes industriels. Elles visent à épurer leurs dettes, permettant ainsi à d’éventuels repreneurs de redémarrer sans avoir à en porter le fardeau. C’est ainsi que, par exemple, Swiss a repris une partie du personnel travaillant au service de Swissair, sans devoir prendre à sa charge les salaires impayés. Avec ce dernier arrêt la Haute Cour a, au fond, couronné le principe de l’irresponsabilité sociale des employeurs: toutes les conséquences sociales de la faillite sont à la charge de la LACI sous deux formes, celle des indemnités de chômage et celle des indemnités d’insolvabilité!

Les dindons de la farce

Les salarié-e-s font évidemment les frais, à plusieurs titres, d’une telle socialisation des pertes. Durant des années, ils-elles ont fait croître les bénéfices de leur ex-employeur, permettant en particulier aux banques créancières d’engranger de juteux intérêts et dividendes. Au moment de la faillite, ces mêmes banques tirent leur épingle du jeu: elles ont très souvent garanti leurs créances par des hypothèques et d’autres gages et sont en conséquence servies les premières sur les actifs de l’entreprise. Quant aux travailleuses et travailleurs, ils-elles doivent faire valoir leurs créances, arriérés de salaire, de vacances et de 13ème salaire, dans le cadre de la liquidation de la faillite, avec le risque, voir souvent la certitude, de ne pas pouvoir récupérer ce qui leur est dû. Une illustration parfaite d’une inégalité structurelle dans la répartition des risques: la sécurité pour une minorité qui s’enrichit, l’insécurité pour le plus grand nombre qui s’appauvrit…


Jean-Michel DOLIVO