Attaque frontale contre le système des retraites

Attaque frontale contre le système des retraites

Michel Husson explique le sens de la réforme des retraites préconisée par le gouvernement Raffarin. Comme il l’explique à notre correspondant à Paris, elle vise essentiellement à modifier la répartition du revenu national au profit du capital. (réd)

Quelles modifications le gouvernement Raffarin a-t-il l’intention d’introduire dans le système actuel des retraites?

Le projet est maintenant connu: il consiste à «déboulonner» le système de retraites par répartition sur trois points essentiels. Le nombre d’annuités ouvrant droit à une retraite à taux plein va passer à 40 ans pour les fonctionnaires, et ensuite, pour tout le monde à 41 puis 42 ans, en fonction des gains d’espérance de vie. Ensuite, le taux de remplacement de référence va passer des 3/4 du revenu d’activité aux 2/3, et les pensions ne seront plus indexées que sur les prix. Enfin, un système de bonus/malus crée une plage qui dilue le droit à la retraite à 60 ans. Pour résumer, le mécanisme central est le suivant: il faudra travailler plus longtemps, mais comme l’état du marché du travail ne le permettra pas, les salarié-e-s partiront à la retraite à peu près au même âge, mais avec une pension réduite en moyenne de 20%. En moyenne, parce que les catégories les plus fragiles, et en premier lieu les femmes et les précaires, seront particulièrement touchées.

La plupart des commentateurs – de gauche comme de droite – semblent s’accorder sur l’«urgence» de la réforme. Le statu quo conduirait-il vraiment à la catastrophe annoncée?

La question de fond est évidemment la suivante: étant donné que le nombre de retraités va augmenter plus vite que celui des actifs, pourra-t-on leur payer des pensions au même taux qu’avant? Tous les libéraux affirment que c’est impossible, mais c’est un bluff total. C’est en réalité très faisable si l’on tient compte de l’étalement sur 40 ans des mutations annoncées, et de l’augmentation continue du gâteau, le revenu national, qui aura entre-temps approximativement doublé. Admettons que le revenu par tête augmente, comme au siècle dernier, de 2% par an. Environ 0,4% devrait être consacré aux effectifs croissants de retraités, et il resterait 1,6% pour tout le monde, c’est-à-dire plus que ce que l’on a obtenu sur les 20 dernières années. Tout cela suppose que la part salariale (y compris pensions) cesse de baisser et même augmente. Telle est en effet la véritable «catastrophe» que redoutent les possédants: que, sous prétexte de solidarité, on augmente les «prélèvements obligatoires» au détriment des revenus financiers.

Quelles réformes alternatives le mouvement social et syndical oppose-t-il à celles du gouvernement?

On pourrait dire que la réforme la plus urgente serait de ne pas en faire, autrement dit de donner au système les moyens de fonctionner, acceptant que le taux de cotisation augmentent en fonction du rapport entre retraité-e-s et actifs/ves, ce qui est la logique profonde de la répartition. Dans une société civilisée où la part des retraité-e-s augmente, il faut aménager une progression de leur part dans le revenu national, et pas seulement pour celles et ceux qui ont un portefeuille financier. Mais il y a aussi des réformes urgentes à engager, qui tournent toutes autour de l’idée qu’il faut prendre en compte les effets de la précarisation, par exemple en comptant les années de formation, de chômage, ou de temps partiel contraint. Mais ces droits nouveaux ne doivent pas être la monnaie d’échange d’un abandon des principes fondamentaux.

La mobilisation en cours laisse-t-elle espérer un nouveau «décembre 95»?

Il y a eu deux manifestations «préventives» sur les retraites en février et avril. Maintenant que les grandes lignes de la «réforme» sont connues, la mobilisation contre cette entreprise de démolition s’accélère. Il y aura une grande manifestation assortie de grèves le 13 mai, et une montée nationale le 25 mai. Entre-temps, le plan de route optimal, c’est l’entrée en grève reconductible de secteurs significatifs, qui conduirait Raffarin à retirer son plan, ou au moins à renoncer à le faire passer en force à l’Assemblée avant le 13 juillet. Les travailleuses et les travailleurs, confrontés à la montée des licenciements et à l’austérité budgétaire, voient bien maintenant que c’est l’ensemble du modèle social qui est visé, la santé étant la prochaine cible annoncée. Dans ce climat, la perspective d’un nouveau «décembre 95» devient effectivement un scénario plausible.


Entretien réalisé par Razmig KEUCHEYAN


Pour en savoir plus: portail «Vive la répart!» http://reparti.free.fr/