RIE 3

RIE 3 : Comment préparer la seconde manche?

Pour faire le point sur le vote du 12 février, sur ses conséquences, et sur les responsabilités immédiates de la gauche combative, nous nous sommes entretenus avec Jean Batou, député au Grand Conseil genevois, qui a participé activement à la campagne contre la RIE 3.

Peux-tu rappeler le but principal de la RIE 3 pour la droite, que les autorités fédérales n’ont évidemment pas abandonné, malgré leur échec en votation populaire?

La réforme de l’imposition des entreprises vise à réduire grosso modo de moitié l’imposition des bénéfices des grandes sociétés. Il s’agit d’une politique délibérée qui privilégie les intérêts des 0,1% aux dépens des 99,9%, qui devraient en subir les conséquences sous forme de baisses des prestations sociales (subventions publiques aux assurances sociales, à la santé, à l’éducation, au logement, etc.), voire de hausses d’impôts. En dépit de son échec en votation, le 12 février dernier, le Conseil fédéral va s’efforcer de proposer une RIE 3 bis un peu allégée d’ici juin prochain, pour que les cantons puissent continuer à mettre au point les modalités d’application locales. Pour certains d’entre eux, il est essentiel que le montant de la compensation accordée par la Confédération soit maintenu. En revanche, pour la faîtière des PME (USAM), le relèvement de l’imposition des dividendes est inacceptable. Il reste donc bien des points de friction possibles, ce qui rend improbable l’adoption d’un nouveau compromis par les Chambres avant 2019, voire 2020.

Comment interprètes-tu la défaite de toute la droite et des associations patronales, le 12 février dernier?

Ce refus massif (à 59,2%) est spectaculaire. Certes, il peut s’expliquer par une série de maladresses: un cumul de déductions trop élevé, un montant de pertes fiscales impossible à chiffrer, des communes se sentant menacées, etc. D’où une lente érosion du oui tout au long de la campagne, dont économiesuisse a pris le pouls dans un sondage hebdomadaire non publié, sans pour autant trouver les moyens d’enrayer une défaite de plus en plus prévisible. Le rejet massif de la RIE 3 ne doit pas être interprété comme un vote de gauche, même s’il a des racines sociales claires et témoigne d’un sentiment de méfiance à l’égard du grand patronat. Pour preuve, seul l’électorat du PLR n’a pas rejeté cette contre-réforme, alors que celui de tous les autres partis (y compris le PDC, l’UDC et le PBD) a plébiscité plus ou moins fortement le non (sondage Tamedia, sortie des urnes).

Pourquoi le Conseil d’Etat genevois présente-t-il aujourd’hui son projet de mise en œuvre comme un modèle pour le pays?

Parce que, dès le départ, il a écarté la déduction des intérêts notionnels (NID), bridé fortement les autres déductions (à 9% du bénéfice imposable), et donné des garanties aux communes. Pour l’essentiel. Il a misé sur une baisse massive du taux d’imposition des bénéfices (de 24,2% à 13,5%, avec un plancher à 13%) et sur la quasi-suppression de l’impôt sur le capital. Ces choix étaient liés aux exigences des « sociétés à statut », en particulier celles du négoce des matières premières, qui voulaient limiter au maximum leurs hausses éventuelles d’impôt. Mais avant tout, ces dernières souhaitaient régulariser leur situation au regard des autorités européenne ou états-uniennes. Pour cela, elles avaient même obtenu l’ajout d’une disposition bizarre dans la loi cantonale (sur le modèle de Zoug, repris aussi par Vaud), qui les autorisait à solliciter un taux plus élevé, au cas où elles se verraient menacées de rétorsions fiscales étrangères.

Pourtant, le gouvernement genevois a subi «une véritable débâcle», pour reprendre les termes du rédacteur en chef du principal quotidien local…

Le refus genevois a été une grosse surprise. Aujourd’hui, le Conseil d’Etat veut faire croire que ce non visait la loi fédérale, alors que c’est la baisse de moitié du taux et les pertes fiscales abyssales pour le canton et les communes qui expliquent avant tout ce rejet populaire, dans un contexte où résonnaient encore les mobilisations de la fonction publique de l’automne 2015.

Pourtant, les partis de droite et les associations patronales n’avaient pas ménagé leurs efforts pour se revendiquer d’un projet défendu, dès 2012, par le conseiller d’Etat David Hiler (Vert), faisant donner de la voix aux magistrats cantonaux et communaux PS et Verts. Le Mouvement des citoyens genevois (MCG) a aussi fait campagne pour le oui, en rupture avec son électorat qui a plébiscité le non. Dans ce contexte, la bataille politique d’Ensemble à gauche (EàG), en lien avec le mouvement syndical, a été, je crois, décisive. Dans la dernière ligne droite, le PS et les Verts l’ont clairement rejointe, en évitant cependant de se prononcer sur la RIE 3 cantonale.

Comment la gauche combative peut-elle agir maintenant pour empêcher le passage en force d’une RIE 3 bis à peine allégée?

Il est essentiel de nous appuyer sur la victoire du 12 février et sur le désarroi qu’elle suscite pour un temps dans les rangs bourgeois pour enfoncer des coins dans les dispositifs cantonaux d’application. Il y a une ouverture qui ne durera pas. Dans le Canton de Vaud, le référendum minoritaire du 20 mars 2016 que nous avons largement initié, en dépit de son modeste résultat, a permis de lancer une première fusée éclairante dans le ciel romand. Tandis qu’à Genève, le triomphe vaudois de Maillard (PS) et Broulis (PLR) a donné des ailes au Conseil d’Etat, elle a aussi convaincu un large front politico-syndical d’engager une campagne de longue haleine contre la RIE 3.

A Neuchâtel enfin, où les effets pernicieux des réductions déjà actées de l’imposition des entreprises déployaient déjà leurs effets, l’opinion publique a aussi pris la mesure de leurs conséquences sociales. Notre lutte contre les plans d’austérité doit donc se renforcer aujourd’hui en visant tout spécialement les versions cantonales un peu fragilisées de la RIE 3.

Propos recueillis par notre rédaction