Leurs créations valent mieux que vos profits

Leurs créations valent mieux que vos profits

La lutte des intermittent-e-s du spectacle a marqué le climat social de ces six derniers mois en France. La grande presse romande en a fait un large écho sans pour autant se questionner sur la place des artistes en Suisse. solidaritéS se propose de contribuer à la réflexion en organisant à Genève, le samedi 4 octobre 2003 et à Lausanne le mercredi 1er octobre, des soirées-débat. Par là, solidaritéS entend tout d’abord exprimer… sa solidarité avec la lutte des intermittent-e-s en France. Mais, notre mouvement veut aussi à développer des synergies avec des artistes en Suisse afin de réfléchir avec eux aux stratégies politiques pour améliorer leur statut.


En France, le 26 juin dernier, un protocole d’accord était ratifié, notamment par la CFDT, la CFTC et le MEDEF (la faîtière patronale), les syndicats plus combatifs – dont la CGT – refusant d’y souscrire. Sur cette base, la lutte allait monter en puissance pendant l’été, aboutissant à l’annulation du Festival d’Avignon et de la plupart des grands festivals en France.


Quel est l’enjeu de la lutte des intermittent-e-s du spectacle en France, qui représentent près de 100000 salarié-e-s? Résister à la péjoration d’un régime d’assurance chômage dérogatoire, qui leur permettait jusqu’ici de répondre un peu à la discontinuité structurelle de leurs conditions d’emploi et aux variations de leur rémunération.


Jusqu’ici, il leur fallait avoir travaillé 507 heures sur 12 mois pour prétendre à l’allocation chômage. Or, selon le protocole d’accord, le droit aux indemnités sera désormais calculé sur une période référence de 10 à 10,5 mois, avec des intervalles plus ou moins longs entre chaque période. Premier résultat de l’opération: l’éviction d’un quart à un tiers des intermittent-e-s les plus fragiles. En réalité, le calcul de l’indemnité favorise ceux-celles dont la situation s’apparente le plus à celle de permanent-e-s du spectacle. En somme, au lieu de réduire la précarité et l’incertitude, en faisant jouer la solidarité entre artistes, le nouveau système en individualise les conséquences, rajoutant une part d’arbitraire à une situation déjà très chaotique. Personne ne peut s’y tromper, il s’agit bien d’une «contre-réforme» néolibérale!


Certes moins médiatisé, le combat des intermittent-e-s existe aussi chez nous en Suisse. La dernière révision de la Loi sur le Chômage (LACI), entrée en vigueur en Suisse le 1er juillet, a représenté une régression néolibérale inacceptable, notamment du fait de la réduction de la durée des indemnités et l’augmentation de la période de cotisation nécessaire pour bénéficier de celles-ci.


Pour les intermittent-e-s du spectacle, cette révision a apporté cependant quelques progrès. S’ils ne sont pas encore reconnus comme tels, avec la spécificité de leur situation et de leur rôle social, ils sont classés dans les catégories d’assuré-e-s «où les changements d’employeurs ou contrats de durée limitée sont usuels». A ce titre, leur premier mois d’activité compte double, mais le calcul du gain assuré par exemple reste pénalisant: un jour travaillé sur un mois compte comme le gain d’un mois entier et plombe le revenu mensuel moyen et les indemnités de chômage.


Au-delà même des conditions concrète imposée par la Loi sur le chômage à ces travailleurs culturels, conditions qui font piètre figure par rapport à la situation en France, devrait se poser la question de l’introduction d’un statut véritable au-delà de celui de chômeur-euse, d’un financement et d’une reconnaissance sociale de la spécificité des différentes professions artistiques, qui prenne notamment en compte que le travail de création – au-delà des intermittences rémunérées pour tel ou tel spectacle – doit s’inscrire dans la durée.


Le statut des intermittent-e-s en Suisse, comme en France, n’en fait aujourd’hui pas des gens à part. Il est bien à l’image du salariat ultra-précaire dont rêve le capitalisme. Ne travaillent-ils pas au jour le jour, de cachet en cachet, de contrat en contrat, au gré du marché. Enfin, que pèse leur liberté de création, si chèrement payée, face aux maîtres des salles de spectacle, des médias, des vendeurs de supports audio-visuels (CDs, DVDs, cassettes, etc.), des publicitaires, voire des spéculateurs. Venez en parler avec nous le 4 octobre et cherchons ensemble des solutions!


Nicole LAVANCHY