Grève du 14 juin: vers un mouvement féministe de masse?

Greve des femmes, Lausanne. Photo: Bruno Jolliet

Greve des femmes*/Grève féministe, Lausanne. Photo: Bruno Jolliet

La construction de la grève féministe et des femmes* en Suisse a duré toute une année et a demandé beaucoup d’efforts. De manière générale, construire un mouvement social et de contestation dans un pays majoritairement acquis à la droite et à la collaboration de classe n’est pas facile. Cependant, la grève féministe et des femmes* a mobilisé plus d’un demi-­million de personnes vendredi dernier. Une mobilisation politique historique, dépassant la grève de 1991, autant en chiffres qu’en répertoires d’actions ou en degrés de contestation sociale. Il faut rappeler que le mouvement actuel dénonce ouvertement l’économie capitaliste fonctionnant sur le dos des femmes*, chose absente en 1991!

Si la grève de 2019 a pris une ampleur inédite, c’est notamment dû à son caractère décentralisé. Du moment où les collectifs de quartiers autour des lieux de vie, de travail, de formation se sont mis sur pieds, les femmes* se sont emparées de ce moyen d’action politique nécessaire qu’est la grève. La diffusion et la préparation décentralisée ont popularisé la grève, ce qui a permis de constituer un front large de contestation.

Cependant, à ce stade, le gros du travail politique reste à faire. Après avoir réussi à mobiliser autant de personnes autour des revendications du manifeste – sur le rapport au corps, au travail ou à l’espace public – nous devons absolument œuvrer à construire un mouvement social durable, inclusif et se revendiquant du féminisme de la totalité, c’est-à-dire d’un féminisme ne reproduisant pas d’oppressions envers d’autres catégories sociales. En tant que militantes féministes, antiracistes, et anticapitalistes nous devons récuser le féminisme d’État et faire en sorte que ce mouvement en émergence devienne le plus ouvert possible.

Désormais, il faut être attentives à la forme que ce mouvement peut prendre tout comme à son ancrage politique. Et il en va de même de la stratégie politique à adopter. Réélaborer un nouveau cahier de revendications traduisant plus nettement l’impact social du mouvement? Maintenir les revendications en rendant plus visibles celles, jusque-là implicites, notamment sur le racisme et l’islamophobie ambiants, touchant des femmes musulmanes, roms ou travailleuses du sexe? Chercher à inclure les personnes dont les conditions et les droits ont été jusque-là invisibilisés dans nos réflexions, actions et manifeste?

Une chose est sure, nous devons continuer à mettre en avant le travail reproductif fait par les femmes, défendre le développement des services publics, la réduction générale du temps de travail, mais aussi combattre les politiques d’austérité qui se succèdent et touchent particulièrement les femmes précaires et issues de l’immigration, comme lutter contre l’augmentation de l’âge de la retraite, l’interdiction du port de la burqa ou encore la hausse des primes d’assurance maladie!

Toutefois, combattre les politiques élitistes et racistes ne suffit pas pour créer un mouvement révolutionnaire auquel nous aspirons tant. Pour qu’il soit véritablement révolutionnaire et émancipateur, il doit impulser les idées et œuvrer pour les libertés de toutes et tous. C’est uniquement par ce processus de conscientisation, de politisation et de réflexion collective – émanant de la base et qui a déjà débuté – que nous parviendrons à mettre au centre du débat les revendications des 99%.

Tamara KneÅević