La révolution trahie ?

Matthias Schindler a activement participé aux campagnes de solidarité avec la révolution nicaraguayenne des années 1980. Son livre témoigne de l’espoir que cette nouvelle situation suscitait. Puis il jette un regard très critique sur les dérives du Front sandiniste de libération nationale (FSLN).

Panneau électoral représentant Daniel Ortega recouvert par des protestataires
Affiche électorale de Daniel Ortega recouverte par des protestataires, Managua, 2008

Le premier drame de cette révolution est qu’elle est survenue dans un contexte international très défavorable, après l’invasion de l’Afghanistan par l’URSS en décembre 1979 et l’arrivée de Ronald Reagan à la Maison-Blanche. Le renversement de la dictature de Somoza s’était fait au prix de plusieurs dizaines de milliers de victimes et de destructions importantes. Rapidement, la nouvelle junte révolutionnaire a été la cible d’une guerre ouverte menée par les États-Unis, qui financeront une armée de mercenaires, pour la plupart d’anciens membres de la garde nationale somoziste.

Animateur à Hambourg d’une association de solidarité, Matthias travaillera sur plusieurs projets concrets avec des brigades de travail internationales. Son regard reste très lucide sur les difficultés des progrès de la révolution, qui ne s’expliquent pas seulement par les conditions matérielles. 

Les dérives autoritaires de certains courants du FSLN, s’appuyant sur le modèle cubain, vont renforcer les mécanismes bureaucratiques et affaiblir la participation et la démocratie des forces populaires.

La « piñata » remplace Sandino

La défaite électorale du FSLN en 1990 est aussi une sanction contre cette évolution politique. Les contre-réformes libérales des années 1990 vont détruire la cohésion sociale et aiguiser les tendances opportunistes et carriéristes, déjà présentes au sein du FSLN. Ce mouvement va se transformer en une force politique traditionnelle, abandonnant ses objectifs de transformation sociale et devenir une machine électorale au service du clan Ortega, un des chefs du FSLN élu président en 1984.

Quelques jours après sa défaite électorale, le FSLN va s’approprier un grand nombre de propriétés agricoles, de sociétés, d’immeubles et d’actions et les transférer à des personnes physiques. Ce processus d’enrichissement individuel est connu sous le nom de Piñata. Selon l’ancien ministre de la culture de la junte sandiniste, le très populaire prêtre Ernesto Cardenal, « la révolution cessa d’être une révolution »

Ces agissements vont causer de grands dommages politiques et vont transformer la nomenclatura sandiniste de l’État et du parti en une nouvelle fraction de la bourgeoisie. Les accord secrets passés avec le président conservateur Aléman et les gages donnés à l’Église catholique, en reniant notamment le droit à l’avortement, représentent les éléments les plus visibles de ce nouveau positionnement. Vont suivre les fraudes électorales et les modifications de la Constitution dans le but de construire au Nicaragua un système de bipartisme.

Le retour d’Ortega à la présidence en 2006 assurera une continuité avec les politiques libérales antérieures pleinement assumée et imposée au prix d’une confrontation sociale, accompagnée par une répression policière. À partir de 2018, la violence d’État de plus en plus féroce fait entrer le Nicaragua dans une nouvelle ère.

« Justice ou démocratie : les deux ! » 

Dans sa conclusion, Matthias Schindler critique les faiblesses de la période sandiniste (absence de démocratie au sein du FSLN, utilisation des organisations de masse comme courroies de transmission politique, confrontation avec les minorités ethniques). Le FSLN n’a jamais pris au sérieux la question de la démocratie interne. Le programme historique du FSLN est très avancé sur les revendications politiques et économiques et sur les tâches d’un futur gouvernement révolutionnaire. Par contre, les formes concrètes l’organisation politique de la nouvelle société sont absentes. La pleine participation du peuple évoquée reste au niveau des déclarations d’intention. Dans les faits, la direction des commandants du FSLN est toute-puissante. Leur double rôle (dirigeants d’une organisation politique et ministres du gouvernement) réduit l’indépendance des nouvelles structures de décision.

Ce modèle a eu des conséquences sur le fonctionnement des autres organisations dans la société civile et sur la vie démocratique, malgré toutes les bonnes déclarations officielles. Les conditions de guerre ne justifiaient pas ces évolutions, même si elles les ont largement facilitées. La tentative de transformation révolutionnaire issue de la lutte contre la dictature de Somoza ne fut pas un évènement erroné ni téméraire, même si l’environnement international n’était pas favorable.

Aujourd’hui, la réflexion critique et autocritique devrait aussi porter sur l’exercice du pouvoir et les conditions politico-sociales durant la période révolutionnaire. « Il faut refuser fermement toute tentative de séparer les intérêts légitimes sociaux du peuple de son désir, également juste, de vivre dans des conditions libres et démocratiques… il n’y a pas de socialisme sans démocratie, il n’y a pas de démocratie sans socialisme. »

José Sanchez