Assurances sociales, remparts de l’hétéropatriarcat

L’ouverture du mariage aux couples homosexuels met en lumière l’importance donnée au modèle de famille hétéropatriarcal par nombreuses assurances sociales prennent. Or les solutions visant à intégrer les familles homosexuelles dans ces assurances bénéficieraient à tout le monde.

Un couple d'hommes lors d'une action en faveur du mariage pour tous
Dans un couple d’hommes, les veufs n’ont droit à une rente de veuf seulement s’ils ont des enfants mineurs à charge. Manifestation en faveur du mariage pour toutes et tous, Genève, 2 août 2021.

Les assurances sociales reposent sur un modèle de famille patriarcal

Le mariage, en tant que forme de vie collective cautionnée par l’État, est fortement ancré dans les institutions. Ainsi, une personne mariée a un statut différent d’une personne célibataire, notamment en matière d’impôts, de cotisations et de rente AVS. À l’heure actuelle, le mariage en Suisse est réservé aux couples hétérosexuels. S’imaginer l’ouverture du mariage aux couples homosexuels et, par conséquent, l’intégration des familles homosexuelles dans les assurances sociales, permet de comprendre à quel point les modèles de famille qui sous-tendent les assurances sociales sont profondément patriarcaux.

Ainsi, l’AVS différencie les veuves, qui dans quasiment tous les cas bénéficient de rentes de veuve, et les veufs, qui eux ont droit à une rente de veuf seulement s’ils ont des enfants mineurs à charge. Une différenciation jugée infondée par la Cour européenne en 2020, mais qui persiste et qui s’explique dans le contexte suisse : les femmes sont les grandes perdantes du système de retraite. Les rentes de veuve les protègent quelque peu de la précarité. Or, les rentes de veuve étant réservées aux femmes préalablement mariées, les lesbiennes en partenariat enregistré n’y ont pas droit. L’AVS est ainsi précurseuse dans la mise en application du postulat de Wittig que les lesbiennes ne sont pas des femmes.

Avec le mariage pour tou·te·x·s, les lesbiennes auront désormais droit aux rentes de veuve et les gays aux rentes de veuf en cas d’enfant mineur à charge. Il n’empêche que, dans un marché du travail qui compte sur le fait qu’un des parents réduise son taux de travail rémunéré pour s’occuper des enfants, il est probable que de nombreux pères gays doivent réduire leur taux de travail pendant que leurs enfants sont en bas âge, avec les pertes en termes de retraites qui en découlent. Qu’adviendra-t-il dès lors des veufs gays ayant réduit leur taux de travail pour s’occuper des enfants ? N’ayant pas accès aux rentes de veuve, qui visent à combler ces pertes, ils risquent de se retrouver avec des rentes précaires.

Un deuxième exemple du poids joué par le modèle de famille hétéropatriarcal au sein des assurances est l’assurance perte de gain (APG), qui contient le droit à un congé parental. En Suisse, les mères ayant accouché bénéficient d’un congé maternité et les pères ayant une filiation reconnue avec le bébé d’un congé paternité. Ces congés parentaux s’appliquent donc uniquement en cas de filiation directe avec l’enfant. En cas d’adoption, il n’y a à ce jour aucun congé parental (ni de maternité ni de paternité) prévu au niveau fédéral. Cependant, certains cantons romands en ont mis en place.

Ceci pose des problèmes. Dans le cas d’un couple lesbien faisant usage de la procréation médicalement assistée (PMA), la mère n’ayant pas porté l’enfant n’aura donc accès ni au congé maternité, ni au congé paternité. Ainsi, la mère ayant porté l’enfant se retrouvera seule pour assumer le gros des tâches reproductives après l’accouchement, comme c’était le cas de toutes les mères jusqu’à l’entrée en vigueur du congé paternité en début de cette année. Et dans le cas des couples homosexuels (comme hétérosexuels) ayant recours à l’adoption conjointe, aucun des parents n’aura droit au moindre congé !

En finir avec la présomption d’hétéropatriarcat : tout le monde gagne

L’ouverture du mariage aux couples homosexuels montre ainsi à quel point les assurances sociales reposent sur un modèle de famille hétéropatriarcal, dans lequel la femme assume le gros des tâches reproductives, tandis que l’homme se dédie pleinement au travail rémunéré. Pour intégrer dans ces assurances les familles homoparentales, qui défient cette binarité homme-femme, il faut certaines réformes.

Premièrement, les familles homo­parentales montrent la nécessité d’un congé parental réparti de manière équilibrée entre les parents et octroyé dans tous les cas de parentalité, qu’elle survienne par procréation, reconnaissance ou adoption. Deuxièmement, ces familles montrent la nécessité de retraites fixées en fonction de la situation économiques des personnes, indépendamment de leur genre. Un système de retraites redistributif avec vocation sociale est nécessaire. Ceci montre la pertinence d’un renforcement de l’AVS et donc de l’intégration du deuxième pilier dans cette dernière.

Franziska Meinherz