Ken Loach mis à la porte du Labour

Fin de parcours pour la gauche travailliste

Au parti travailliste britannique, la lutte menée par son nouveau dirigeant Keir Starmer et son équipe contre l’aile gauche de l’organisation continue

Keir Starmer
Keir Starmer

Cette lutte contre la gauche du parti a pris différentes formes. La plus visible et la plus choquante fut certainement la tentative d’exclure Jeremy Corbyn, son ex-dirigeant. Mais Corbyn n’est pas le seul à avoir été visé de la sorte. Depuis début 2020, Starmer a suivi une stratégie visant à affaiblir l’aile gauche du parti en accélérant les expulsions. Lui et son équipe se sont en particulier concentré·e·s sur les mouvements de solidarité avec la Palestine.

Pour légitimer ce processus, ils nourrissent l’amalgame entre anti­sionisme (en d’autres termes la solidarité avec la Palestine) et antisémitisme. L’utilisation de la définition de l’antisémitisme promue par l’Alliance Internationale pour la Mémoire de l’Holocauste est centrale dans leur stratégie. Celle-ci définit, par exemple, comme anti­sémite tant la description de la création d’Israël comme un acte raciste (il faut alors se demander comment nommer l’expulsion de 700 000 Palestinien·ne·s de leur terre et la destruction de plus ou moins 500 villages et centres urbains) que le refus de critiquer Israël comme n’importe quel autre État démocratique et libéral (difficile quand plus de la moitié de ceux et celles qui vivent sous son contrôle se voient refuser les mêmes droits politiques, civils, et/ou démocratiques que ses citoyen·ne·s juif·ve·s parce qu’ils·elles sont Palestinien·ne·s).

Cette définition élargie de l’antisémitisme est largement critiquée par de nombreux chercheurs·euses, juristes et même par son auteur original. Mais dans le parti de Starmer, elle est devenue article de foi. C’est sur cette base que des militant·e·s et des organisations sont exclu·e·s de ses rangs.

Chasse aux sorcières contre la gauche du parti travailliste

Cet été, le comité national du parti travailliste a voté l’expulsion de plusieurs organisations, car elles étaient considérées comme non-compatibles avec ses objectifs. Parmi elles, on trouve notamment Socialist Appeal (L’Appel Socialiste), l’organisation liée à la tendance du « Militant », qui existe à l’intérieur du parti depuis le début des années soixante. Il est impressionnant de penser qu’il est plus difficile d’être de gauche au parti travailliste aujourd’hui que sous la direction – pourtant droitière, néolibérale et agressivement impérialiste – de Tony Blair.

Une autre organisation expulsée est Labour Against the Witch­hunt (LAW) (Travaillistes contre la Chasse aux Sorcières), qui milite contre l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme, et l’expulsion de militant·e·s travaillistes sur cette base. La direction du Labour ne se contente donc plus d’expulser des militant·e·s pour leurs « méfaits », mais également celles et ceux qui s’opposent à ces décisions d’expulsions – une logique drôlement Kafkaïenne. Le cinéaste Ken Loach, militant de gauche de longue date et proche de Jeremy Corbyn, a également été mis à la porte du parti, en raison de son soutien au LAW. Même le dirigeant du syndicat des boulangers·ères et travailleurs·euses de l’industrie alimentaire, Ian Hudson, lui aussi très à gauche et pro-Corbyn, a été inquiété et son avenir au sein du parti est menacé.

De quoi l’expulsion de Ken Loach est-elle le nom ?

Cela fait bien longtemps que la droite du parti appelle à l’expulsion de Ken Loach, notamment pour ses prises de positions en solidarité avec le peuple palestinien. Mais, jusqu’alors, toutes ces tentatives avaient échoué. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de ses propres prises de position, mais de son soutien à ceux celles et ceux qui soutiennent les militant·e·s qui ont été exclu·e·s, qui lui a valu d’être – à son tour – expulsé. Une situation si abracadabrante qu’elle en serait presque drôle. Loach a annoncé la nouvelle sur twitter en concluant ainsi : « Starmer ne mènera jamais le parti du peuple. Nous sommes nombreux, ils sont peu » – en référence à un poème britannique célèbre dans le mouvement ouvrier.

Ken Loach a bien entendu raison. Si la direction de Corbyn a ouvert, très timidement, la porte pour la construction d’un courant de gauche à l’intérieur de l’organisation, sa défaite l’a refermée. Malheureusement, alors que des centaines de milliers de membres ont quitté le parti, de nombreux·euses cadres politiques de la gauche travailliste continuent de répéter le mantra qu’il faut être patient·e·s et attendre des jours meilleurs. Ce faisant, ils·elles restent silencieux·ses et désorganisé·e·s face à l’assaut de Starmer et de ses allié·e·s, tout en laissant le fruit de leurs efforts disparaître sous leurs yeux. L’heure est (re)venue, sans aucun doute, pour la gauche britannique de s’organiser en dehors du parti – et contre sa direction.

Sai Englert