Droits syndicaux fondamentaux dans le collimateur de la justice!

Droits syndicaux fondamentaux dans le collimateur de la justice!

La multiplication des pressions exercées par les employeurs sur «leurs» salarié-e-s dans les entreprises va de pair avec une remise en cause des droits syndicaux sur les lieux de travail. Plus largement les libertés fondamentales, telles que le droit de grève ou le droit de manifester, sont aujourd’hui attaquées. Deux jugements récents de tribunaux vaudois sont, de ce point de vue, particulièrement inquiétants.

Un tribunal civil de première instance a condamné le syndicat Comedia à verser des dommages et intérêts aux Presses Centrales Lausanne (PCL), suite à une action syndicale, avec piquets devant les portes de cette entreprise, organisée le 18 mars 2001. Le Tribunal de Police de Lausanne a condamné, quant à lui, six syndicalistes à des peines de trois à cinq jours de prisons avec sursis pour entrave aux services d’intérêt général (art. 239 ch.1 du Code pénal), suite à une plainte déposée par les transports publics lausannois (TL) pour avoir modifié le parcours de la manifestation du 1er mai 2001.

Droit de grève et libertés syndicales fondamentales en question

L’action du syndicat avait pour objectif d’amener les PCL à négocier la signature d’une convention collective de travail (CCT), suite au retrait de cette entreprise du contrat collectif national VISCOM. Durant près d’une année, Comedia, mandaté par les travailleuses et travailleurs concernés, avait multiplié les démarches pour obtenir l’ouverture de négociations avec la direction, en vain! L’action du 18 mars 2001, devant les portes de l’entreprise, s’inscrivait ainsi dans la suite d’une série d’interventions syndicales, qui s’étaient toutes heurtées à un refus d’entrer en matière sans appel. Comedia a été confronté à la répression policière, dès lors que l’exécutif, à majorité de gauche (!), de la commune de Lausanne a fait intervenir la police pour évacuer les piquets syndicaux. Des responsables syndicaux ont été inculpés pénalement pour «contrainte». Et, de surcroît, les PCL ont entamé une procédure judiciaire en dommages et intérêts à l’encontre du syndicat. La condamnation de Comedia, dans le cadre de cette dernière procédure, est particulièrement grave, dans la mesure où le juge a considéré que cette action syndicale ne pouvait être légitimée, ni par la mise en œuvre de conventions de l‘Organisation internationale du travail (OIT), ni même encore par le droit à la négociation collective reconnu jusqu’ici par l’ordre juridique suisse, dans la mesure où elle violerait «le principe de proportionnalité». Cette appréciation fait fi du droit fondamental à la liberté syndicale, inscrit à l’article 28 de la Constitution fédérale, ainsi que du respect des normes de conventions internationales ratifiées par la Suisse et qui ne sauraient rester purement et simplement lettres mortes. Cette décision judiciaire est à l’opposé de la position prise par le Tribunal de police de Chaux-de-Fonds qui avait rappelé, dans son jugement du 28 septembre 1999 dans l’affaire Calida, que «ce moyen (des piquets de grève) ne saurait être critiqué, pour autant que les piquets de grève fonctionnent pacifiquement». En qualifiant d’illicite l’action de Comedia devant les PCL, la justice vaudoise se fait l’instrument d’une politique patronale qui cherche, par tous les moyens, à éliminer les syndicats des entreprises, remettant même en cause, si nécessaire, «le partenariat social» traditionnel.

Restriction du droit de manifester

La manifestation du 1er Mai 2001 à Lausanne ne pouvait pas s’organiser sans que les événements qui venaient de se produire aux PCL ne soient évoqués. C’est la raison pour laquelle le cortège traditionnel du 1er Mai a fait un crochet pour passer devant cette entreprise, afin d’exprimer la solidarité des manifestant-e-s avec les salarié-e-s concerné-e-s. Le verdict du Tribunal de police condamnant six syndicalistes à des peines d’emprisonnement avec sursis pour avoir organisé un tel «détour» est choquant à plus d’un titre. Comme le relève Bruno Clément, secrétaire syndical de Comedia et président de la Commission du 1er Mai de l’Union syndicale de Lausanne, considéré comme le principal instigateur par le juge, «ce jugement est d’autant plus grave que le juge n’a pas reconnu, dans ses considérants, des mobiles honorables aux syndicalistes». Cette circonstance atténuante a été rejetée par le tribunal sous prétexte que la cause syndicale était certes légitime, mais que cette légitimité ne devait pas être considérée comme prépondérante par rapport à d’autres aspects de la vie de la société, notamment l’intérêt du travailleur fourbu à pouvoir emprunter rapidement les transports publics afin de rentrer chez lui… De surcroît, l’effet de surprise – le crochet devant les PCL n’ayant pas été annoncé à l’autorité – aurait été discutable sur un plan éthique!

Cette condamnation pénale et ses considérants vont à l’encontre de la reconnaissance du droit fondamental de manifester que nombre de jeunes ont mis en œuvre, en descendant spontanément dans la rue au printemps 2003, pour protester contre l’intervention militaire américaine et anglaise en Irak, ou que les travailleurs du bâtiment ont exercé, dans la rue également en 2001 et 2002, pour obtenir la retraite à 60 ans. Dans ces deux cas, aucune autorisation de manifester n’avait été demandée, en bonne et due forme, à l’autorité!

Urgence démocratique!

Les deux «exemples» illustrent l’urgence de se mobiliser pour défendre les droits fondamentaux, individuels et collectifs, gagnés souvent de haute lutte dans un passé récent ou lointain, et mis à mal par les dominants pour imposer leur ordre, dans tous les domaines de la société.

Jean-Michel DOLIVO