Troupes US en Irak: «nous n’avons plus l’air de héros»

Troupes US en Irak: «nous n’avons plus l’air de héros»

A l’exception – et encore – de quelques troupes d’élite (Marines, commandos spéciaux, etc.), le gros de l’armée américaine en Irak n’a rien d’un corps idéologiquement convaincu de la justesse de sa cause, préparé politiquement et militairement à mener la sale guerre d’occupation décidée par son commandement suprême. Par milliers les courriers électroniques de soldats engagés dans le conflit témoignent d’un moral dans les chaussettes et d’une réalité quotidienne bien éloignée des images de «War Game» de haute technologie que diffuse le Pentagone.

Le simple soldat de 1ère classe Isaac Kindblade, de la 671e compagnie du Génie, à qui nous empruntons le titre de cet article, parle d’une démoralisation générale et en donne les raisons: «Il fait chaud, nous sommes là depuis longtemps, c’est dangereux, nous n’avons pas eu de vrais temps de repos depuis des mois et nous ne savons pas quand nous rentrerons chez nous». Puis: «Nous sommes devenus une force d’occupation. Désormais, nous n’avons plus l’air de héros.» Plus loin: «Les règles d’engagement nous paralysent. Nous sommes dépassés. Nous sommes épuisés. Dans nos têtes, nous sommes largués.»

Le cinéaste Michael Moore a aussi recueilli nombre de messages sur son site. L’un d’entre eux, écrit par un Marine rentré d’Irak, affirme «Vous seriez surpris de voir combien de types de ma compagnie et d’autres avec lesquels j’ai parlé croyaient que les craintes du Président en ce qui concerne les armes de destruction massive de Saddam étaient une vaste foutaise et que le véritable motif de cette guerre était uniquement l’argent».

Un corps expéditionnaire de chômeurs

Les relevés statistiques des tués et blessés en Irak montrent une surreprensation des milieux pauvres et des groupes minoritaires (Noirs, Chicanos, etc.). Un indice parmi d’autres des raisons d’engagement qui dominent parmi les soldats: il s’agit d’abord d’éviter le chômage ou d’acquérir à l’armée une formation qui, dans le civil, serait hors de prix. Difficile de motiver ces recrues pour la croisade géostratégique de Georges Bush, même vendue sous son emballage de fête de «lutte antiterroriste». Une lutte ramenée à sa dimension grotesque par un correspondant de Michael Moore, commentant ainsi l’arrestation de Saddam Hussein: «Mazette! 130000 soldats sur le terrain, presque 500 morts et plus d’un milliard de dollars par jour et tout ça pour capturer un type dans un trou. Et ça devrait m’épater?»

L’armée américaine fait, pour sa part, ce qu’elle peut pour augmenter la grogne de ses soldats. La machine de guerre hypersophistiquée et hig-tech de l’«Axe du Bien» fonctionne concrètement comme toute les armées du monde: en économisant sur le dos des troufions. Plusieurs témoignages – confirmés par les dépositions des membres du mouvement des familles de militaires (Military Families Speak Out) favorables au retrait des troupes devant une commission du Congrès américain – indiquent que les soldats ne disposent pas de gilets pare-balles en nombre suffisant lors de leurs patrouilles. Les réservistes de la Garde nationale ne reçoivent pas d’armes de poing personnelles, qui sont réservées aux membres de l’active. Le modèle de masque à gaz est toujours le même, défectueux, que celui de la guerre du Golfe. Pour décharger les hôpitaux militaires, les blessés sont renvoyés prématurément au front, après avoir vu leur solde réduite de 10 dollars par jour d’hospitalisation, pour leur nourriture. Comme il n’y a pas de petits profits, l’armée projette de supprimer l’indemnité spéciale pour «dangers imminents» et l’allocation pour séparation de famille, accordées dans un premier temps.

Un ras-le-bol croissant

Si le nombre exact de déserteurs est difficile à fixer (en l’absence de données officielles, le Canard enchaîné a avancé le chiffre de 1700, qui circulerait dans les milieux du renseignement militaire), la croissance du phénomène des AWOL (absences de longue durée non autorisées, qui précède la déclaration officielle de désertion) n’est pas contestée. Ailleurs, des réservistes, y compris des officiers, membres de la Garde nationale, refusent de rempiler, réclamant comme la loi les y autorise, une interruption d’au moins douze mois entre deux engagements. Pour l’armée, ils se rendent coupables d’insubordination. Plus inquiétant encore, le taux de tentatives de suicide parmi les troupes est anormalement élevé.

Visiblement, les boys n’y croient plus et la campagne pour leur retour, menée par plus de 2000 familles de soldats sous le slogan «Bring them home now!» ne peut que prendre de l’ampleur.

Daniel SÜRI