Dans les bacs

Dans les bacs

Folk urbain

A 22 ans, Devendra Banhart secoue la maison du folk US, avec un talent prodigieux. Les adeptes des filles et des fils spirituels du grand Guthrie ont déjà eu l’occasion, en 2002, de découvrir ce jeune poète avec son premier album Oh Me, Oh My. Sur son deuxième opus, Rejoicing In The Hands, on retrouve toute la chaleur et l’humanité de cet artiste, qui semble tout droit sorti des années 70.

Dans le même registre, il faut signaler l’étonnant premier album des deux sœurs états-uniennes Bianca et Sierra Casady. Sous le nom de Coco Rosie, ce duo a enregistré La Maison de mon rêve, dans un appartement du 18ème arrondissement de Paris. Les sonorités gospel, blues et jazz s’entremêlent agréablement dans des arrangements d’une fraîcheur déroutante, flirtant parfois avec le r’n’b et le hip hop. Un album étrange où l’on entend des bruitages singuliers, comme des jouets d’enfants, mais dont les paroles simples et les voix inhabituelles sont particulièrement séduisantes.

Si certains puristes se plaignent de l’esprit «trop innovateur» d’artistes comme Banhart ou Coco Rosie, c’est qu’ils oublient que toute forme d’art, pour ne pas mourir, se doit d’avancer… Un certain Dylan, alors traité de Judas, l’avait bien compris en 1965 en donnant naissance au «folk électrique».

Devendra Banhart, Rejoicing In The Hands, Begars Banquet.

Coco Rosie, La Maison de mon rêve, Touch & Go.

Folk lyrique

Dans la grande lignée des songwriters, une pléthore d’artistes témoignent aujourd’hui de la vivacité de la tradition folk. Parmi ceux-ci, la française anglophone Laetitia Sheriff, souvent comparée à PJ Harvey, nous livre avec Codification un album mélodique impressionnant, sur lequel on découvre une voix rafraîchissante qui fera date. La voix de la Texane Jolie Holland est également de celles qui ne laissent pas indifférent. Après avoir fait sensation avec Catapla, son second album, Escondida, confirme la rare beauté du timbre de la chanteuse de 28 ans, qui fait penser à celui de Karen Dalton, ce qui n’est pas la moindre des références en la matière!

Laetitia Sheriff, Codification, Naïve.

Jolie Holland, Escondida, Anti/Pias.

Hommage électro au jazz populaire des années 30

Métisser l’électro avec d’autres styles musicaux n’est, de loin pas, une nouveauté, tant sont nombreux ceux qui se sont lancés dans cet exercice, souvent périlleux. On pense évidemment à la puissance créatrice d’artistes comme Badmarsh and Shri, Talvin Singh ou encore Nitin Sawhney, qui ont su tirer parti de leurs racines indo-pakistanaises et de leur environnement électro anglais. On pense aussi aux fameux enregistrements de blues d’Alan Lomax, régulièrement samplés, notamment par Moby sur son album Play.

Dès lors, pourquoi pas le jazz populaire des années 30? C’est avec talent que le Français Nicolas Repac rend aujourd’hui hommage à cet univers festif, chaleureux et dansant. Swing-Swing est indéniablement une grande réussite, pour un exercice toujours délicat et qui a souvent abouti à des résultats décevants.

Nicolas Repac, Swing-Swing, Universal.

Mythe posthume

A 26 ans et trois disques passés inaperçus (Five Leaves Left en 1969, Bryter Later en 1970 et Pink Moon en 1972), Nick Drake décède d’une overdose d’antidépresseurs. C’était le 25 novembre 1974. Pourtant, les trois albums de l’artiste anglais passionné de folk-blues, d’une rare qualité, sont aujourd’hui unanimement considérés comme des incontournables, élevant du coup le solitaire et mélancolique Nick Drake au rang de mythe de la musique populaire anglo-saxonne. Un destin musical posthume semblable à celui de l’Etats-unienne Karen Dalton, une des voix les plus poignantes du Greenwich Village de la fin des années soixante, «découverte» en 1999, grâce à la réédition, trente ans après la sortie de son premier disque It’s So Hard To Tell Who’s Gonna Love You The Best. Aujourd’hui, sous l’impulsion notamment de Robert Kirby, son arrangeur à l’époque, et de Gabrielle Drake, sa sœur, sort ce qui peut être considéré comme le quatrième album de Nick. Composé d’inédits, Made To Love Magic est un disque époustouflant, dans la veine de ceux réalisés du vivant de l’artiste. A découvrir absolument!

Nick Drake, Made To Love Magic, Island/Universal

Voyage envoûtant

Talvin Singh est considéré comme le gourou de la scène électro londonienne depuis l’ouverture de sa célèbre boite de nuit l’«Anokah». A l’instar de Nitin Sawhney, cet Anglais d’origine indienne, cherche à transmettre par sa musique métissée un esprit de tolérance et d’ouverture, dans une société dont le racisme latent génère tensions, injustices et frustrations. Le créateur des tablatronics, figure de proue de l’Asian Underground, effectue depuis peu un retour aux sources indiennes de sa musique, grâce à une collaboration étroite avec son maître Lachman Singh Seen. On avait déjà senti ce virage avec son dernier album studio Vira (2002), mais l’enregistrement de son concert au festival de Saint-Denis en juin 2003, sorti récemment, confirme en beauté le chemin pris par l’artiste. Sur Songs For The Inner World, la puissante Drum n’ Bass des débuts laisse la place à des volutes électro plus douces qui permettent aux sonorités traditionnelles de prendre toute leur ampleur.

Talvin Singh, Songs For The Inner World, Naïve.

Mexicaine militante

Lila Downs, fille d’un père Etats-unien et d’une mère Mexicaine, avait consacré son précédent album, Border, aux problèmes existant entre ses deux pays d’origine. Elle y dénonçait les crimes raciaux, l’exploitation dans les maquilladoras, la misère humaine dont tire profit le «grand frère» du Nord. Avec One Blood, Lila Downs traite aujourd’hui des questions délicates liées à l’identité métissée du continent américain. Elle évoque la tradition rebelle des Amériques, de la révolution mexicaine de 1917 au mouvement zapatiste actuel en passant par la révolution cubaine. Une militante engagée, doublée d’une artiste talentueuse, Lila Downs est de celles qui disent les choses avec franchise, parce que dans ce monde d’injustices et de souffrances, se taire est impossible.

Lila Downs, One Blood, Narada/Virgin.

Femme rebelle

Michelle Shocked est une activiste révoltée bien connue aux Etats-Unis. Chacun de ses albums est un véritable pamphlet politique qui laisse transparaître son caractère bien trempé. Militante anti-guerre, opposée à l’administration de Reagan comme à celle de Bush aujourd’hui, Michelle Shocked fait partie, à l’instar de Pete Seeger, Phil Ochs ou encore Ani DiFranco, de la grande famille des protest singers US. La réédition de Texas Campfire Tapes, son premier album enregistré en 1986 sur un walkman, donne à la précurseure du mouvement lo-fi ses titres de noblesse. La jeune femme d’alors, qui a quitté un environnement familial particulièrement strict, se laisse aller à chanter sa révolte sur des airs de vieux folk-blues. Cette nouvelle version de ce que d’aucuns considèrent comme un classique du folk US engagé, est agrémentée d’un deuxième CD comprenant l’intégralité de l’enregistrement non remasterisé et surtout d’un livret fort bien documenté, permettant de découvrir la personnalité de cette femme révoltée.

Michelle Shocked, Texas Campfire Tapes, Mighty Sound.

Rafael Alberti en chanson

C’est en 1939 que Rafael Alberti prend le chemin de l’exil et quitte l’Espagne franquiste pour atterrir en Argentine, après un bref passage à Paris. Ses poèmes, d’une rare beauté, traduisent alors le mal de ce pays qui lui est devenu interdit par une dictature féroce. Le chanteur barcelonais de 31 ans, Miguel Poveda, redonne aujourd’hui vie aux vers du «poète rouge» avec Poemas Del Exilio Rafael Alberti. Un disque de flamenco de toute beauté et particulièrement émouvant par sa charge historique et politique. Incontournable.

Miguel Poveda, Poemas Del Exilio Rafael Alberti, Harmonia Mundi.

Pirates officiels d’Ani DiFranco

Si Ani DiFranco est une artiste militante particulièrement prolifique (15 albums en 14 ans), c’est surtout par ses prestations scéniques qu’elle impressionne. Deux albums live, sortis en 1997 et 2002, témoignent de cette extraordinaire énergie qui habite la chanteuse lorsqu’elle retrouve son public. Aujourd’hui Righteous Babe Records lance une série officielle de bootlegs, dans l’idée d’offrir aux fans de la folksinger de Buffalo, une alternative de qualité aux disques pirates vendus sur le net et de qualité bien souvent décevante.

Les albums live étant souvent des compilations de morceaux issus d’une tournée, la démarche d’Ani DiFranco est particulièrement intéressante puisqu’elle offre des enregistrements de concerts dans leur totalité, «comme si on y était». Le premier de ces «pirates officiels» est l’enregistrement du concert donné le 9 octobre dernier au Tabernacle à Atlanta. En tant que premier enregistrement officiel d’un concert en solo de l’artiste il représente un complément particulièrement bienvenu aux deux précédents live produits par Righteous Babe Records. Les bootlegs suivants devraient sortir au rythme effréné de chaque six semaines…

Ces disques, qui sont avant tout conçus comme un souvenir pour celles et ceux ayant été à tel ou tel concert, ne sont vendus que sur le site de RBR (www.righteousbabe.com) ou lors des concerts d’Ani DiFranco. Loin d’être indispensables, ils raviront néanmoins les fans.

Ani DiFranco, Official Bootleg #1, Atlanta – The Tabernacle, Righteous Babe Records.

Harpes féeriques

Stupéfiante! Ariana Savall, née en Suisse en 1972 où elle débute l’étude de la harpe classique, l’est assurément. Avec son premier album en solo Bella Terra, la fille du renommé Jordi Savall, rend hommage à la terre lumineuse et mystérieuse de la Méditerranée. S’accompagnant à la harpe, elle chante d’une voix claire des poèmes catalans, arabes et castillans d’une beauté saisissante. Une invitation enchanteresse au voyage.

Autre harpiste de talent, l’Anglaise Julia Thornton, nous livre avec Harpistry une compilation – exercice pour le moins étonnant dans l’univers de la musique classique – relaxante allant de Bach à Debussy, en passant par Beethoven, Tchaïkovski ou encore Händel, dont l’interprétation par Julia Thornton de la «Sarabande» est simplement remarquable.

Ariana Savall, Bella Terra, Alia Vox.

Julia Thornton, Harpistry, EMI.

Erik GROBET