Loi contre les étrangers: le PSS entre en matière

Loi contre les étrangers: le PSS entre en matière

Mercredi 16 juin 2004, au Conseil national, la Loi contre les étrangers (LEtr) a été approuvée par une «majorité» formée des groupes socialistes et PDC qui ont rassemblé 64 voix. L’UDC a voté contre et les radicaux se sont abstenus, réservant leurs suffrages à une loi contre les étrangers qui doit encore à leurs yeux être «musclée» dans un sens xénophobe et répressif. Notre groupe «A gauche toute!» (POP/PST-solidaritéS), les Verts… et deux seuls élu-e-s du PS1 ont manifesté par leur NON un refus de principe de cette loi xénophobe, qui bafoue les droits humains élémentaires.2

Pourtant, au moment du débat d’entrée en matière, lors de la session spéciale de mai, le Parti socialiste avait refusé dans un premier temps l’entrée en matière: «Parce que le système binaire d’admission est discriminatoire dans son fondement même, je vous invite, au nom du groupe socialiste à ne pas entrer en matière sur ce projet de loi» disait alors le Conseiller national socialiste fribourgeois Christian Levrat. Le genevois Carlo Sommaruga invoquait l’art. 8 de la Constitution fédérale «Tous les êtres humains sont égaux devant la loi» – bafoué par la cette loi contre les étrangers – pour dénoncer le caractère antidémocratique de la LEtr et appeler, au nom du PSS, à une non-entrée en matière… «Vous adopterez cette loi sans nous!» s’exclamera la genevoise Maria Roth Bernasconi – dans le même débat – après avoir dénoncé en termes vigoureux le racisme d’Etat incarné dans ce projet…

Portes ouvertes en mai?

Au lendemain de la session de mai pourtant, le groupe parlementaire socialiste faisait un premier bilan. Pour lui, les travaux sur la LEtr s’étaient soldés par «Une avancée prudente vers une politique de l’immigration tournée vers l’avenir»3. Ceci au triple motif qu’un certain nombre de propositions visant à durcir encore le texte avaient été rejetées, qu’il introduisait «une possibilité de régulariser» une partie des sans-papiers et surtout que le système binaire discriminatoire envers les immigré-e-s extra-européens aurait été battu en brèche par l’introduction – sur proposition venant des bancs UDC – d’un «assouplissement» permettant qu’au-delà de la proposition du Conseil fédéral concernant les «seuls cadres spécialistes et autres travailleurs qualifiés» extra-européens, susceptibles de se voir accorder des autorisations de courte durée ou de séjour, vienne se rajouter la catégorie générique, dont l’administration définira de manière ad hoc le profil, de la «main d’œuvre nécessaire à l’accomplissement de tâches spécifiques». Dans le bulletin du Parti socialiste vaudois4, la conseillère nationale Géraldine Savary s’enthousiasme même concernant cet amendement adopté «grâce à quelques voix de la gauche» en affirmant que: «Cette proposition acceptée, c’est tout le système binaire qui s’effondre.» Plus froidement, le communiqué du PSS déjà cité annonce que cette disposition correspond au fait que «des portes ont été ouvertes là où il le fallait absolument.»

Ainsi, la logique du vote final du PSS – qui a surpris certain-e-s – était déjà annoncé en mai. Ce parti s’est résolument inscrit dans une perspective – contradictoire avec ses discours généraux de refus d’entrée en matière et de dénonciation des bases mêmes de la LEtr – d’améliorer cette loi plutôt que de prioriser la constitution un pôle de résistance, refusant, sur le fond sa logique discriminatoire, xénophobe et répressive. Dans son communiqué de mai, il annonce qu’au cours de la session de juin le groupe socialiste tentera encore «d’améliorer les mesures portant sur l’intégration et la formation.»

Au programme: arrestations et détentions…

Le bilan de cette même session de juin était prévisible, il a été clair: répression aggravée avec l’intégration des compagnies aériennes dans le dispositif policier, pouvoir arbitraire des officiers d’état-civil de refuser les mariages «suspects», arrestations et détentions administratives de migrant-e-s prolongées jusqu’à 12 mois violant ouvertement les dispositions de la Déclaration européenne des droits de l’Homme, discrimination maintenue contre les non-Européens en matière de regroupement familial et ainsi de suite ad nauseam

Quant à l’intégration ou à la régularisation des sans-papiers: Christoph Blocher l’annonçait fin avril déjà, et le rapport de ses officines concernant les «Principales mesures de lutte contre la migration illégale»5 le confirme, les «axes prioritaires de la Confédération en matière d’intégration» seront des… «programmes de lutte contre la criminalité et la violence». Il reviendra au Conseil des Etats avec nombre de propositions nouvelles dans le même esprit…

Ainsi, le nouveau communiqué du PSS, paru à l’issue de la session de juin6, ne parvient cette fois à trouver aucune «amélioration» à la loi à l’issue de celle-ci. Il ressasse pourtant les «points positifs du point de vue socialiste» déjà mentionnés, se plaint que la loi est «terriblement insatisfaisante» et qu’en conséquence la décision du groupe… de voter OUI était «difficile à prendre»! Les deux motifs invoqués pour cet décision étant d’abord… qu’«il vaut encore la peine de se battre aux Chambres fédérales pour améliorer cette révision» et surtout qu’au vu des «améliorations» déjà obtenues et des péjorations évitées, il vaut mieux que la deuxième chambre, le Conseil des Etats qui «prend la main», ne reparte pas à zéro sur la base du projet initial…

Contradictions socialistes apparentes

Ce sont en substance les mêmes arguments que reprend le Conseiller national socialiste genevois Carlo Sommaruga dans le bulletin du PS genevois du 2 juillet. Dans un article embarrassé titré «L’apparente contradiction d’un vote», il admet qu’«on pouvait légitimement s’attendre à ce que le groupe socialiste refuse le texte au vote d’ensemble.» Cependant, selon lui, «un refus de ce texte aurait paradoxalement offert des espaces supplémentaires au Conseiller fédéral Christoph Blocher, ainsi qu’à la droite xénophobe du parlement, pour une loi encore plus dure à l’égard des migrant-e-s.» Ainsi, écrit-t-il: «Le groupe socialiste a estimé qu’il se justifiait de «verrouiller le débat pour éviter – autant que faire se peut – tout dérapage ultérieur dans la suite des débats.» Expliquant l’abstention d’une quinzaine de socialistes par le «message contradictoire véhiculé lors du vote» Carlo Sommaruga promet ses grands dieux que si la loi ne sort pas miraculeusement épurée de «ses éléments les plus discriminatoires et répressifs», comme aussi des violations des droits humains qu’elle contient… suite aux débats ultérieurs aux Etats et au National… le groupe socialiste refusera le texte final.

Résistance et référendum

Le problème avec cette position est évident: d’abord le «sauvetage» de cette loi au nom d’améliorations hypothétiques obtenues ou projetées occulte le refus indispensable, sur le fond, du cadre raciste et discriminatoire de la politique des étrangers qu’elle vise à légitimer en lui donnant des bases légales qui lui font défaut aujourd’hui. Ce qu’il faut c’est se battre pour un renversement complet de cette politique, pour une défense des droits égaux de tous les travailleurs-euses suisses et immigré-e-s, qui sont étroitement liés.

Comme l’a bien compris la Coordination contre la LEtr, qui dans un communiqué paru au lendemain du vote annonçait la nécessaire préparation dès aujourd’hui d’un référendum incontournable, ça n’est pas sous les lambris du Palais fédéral que cette affaire se jouera. C’est dans la construction difficile mais nécessaire d’un front d’opposition social le plus large possible à la politique xénophobe. Certes cette bataille sera difficile à livrer, raison de plus pour la commencer dès aujourd’hui, renoncer à la mener, atermoyer mettre en scène un «pire» évité par le rejet de telle ou telle disposition particulière, sombrer dans le tacticisme parlementaire, c’est préparer la capitulation sans bataille… alors qu’en face, la machine de guerre de l’UDC blochérienne tourne à plein régime sur le thème de l’insécurité et des étrangers criminels… et de la négation systématique des droits humains comme panacée.

Pierre VANEK

  1. Jean-Claude Rennwald (JU) et Marlyse Dormond (VD).
  2. Au vote final du national la LEtr a été approuvé par 64 OUI contre 48 NON avec 55 abstentions.
  3. Communiqué PSS du 7 mai 2004.
  4. Socialistes No 50, mai 2004.
  5. Rapport de IMES, ODR, fedpol, Cgfr du 23.06.04.
  6. Communiqué PSS.