Les besoins des autres... un travail dévolu aux femmes

Les besoins des autres… un travail dévolu aux femmes

Le dernier numéro (n°3, 2004) de la revue
«Nouvelles Questions Féministes» aborde le noeud
gordien des rapports entre les femmes et les hommes:
le partage des tâches domestiques! Cette réflexion
trapue tombe à pic, dans une période où les féministes
romandes analysent leur dette envers les travailleuses
migrantes, souvent sans statut légal, qui les ont bien
souvent en partie déchargées.

Le nouvel or mondial

Force est de reconnaître que l’idéal féministe de partage
égalitaire n’est pas du tout réalisé. Les femmes certes sont
maintenant plus investies dans le monde professionnel
qu’au début des années 70, mais les hommes ne se sont
pas plus investis dans les tâches domestiques. Pour se
maintenir dans ce monde du travail calqué sur le modèle
masculin, les femmes de notre société ont eu recours aux
services des femmes migrantes d’Asie, d’Amérique latine
ou d’Afrique. Celles-ci pour survivre ont laissé leurs propres
familles (enfants et personnes âgées) pour répondre à
la demande de s’occuper des nôtres. La crise domestique
des couples occidentaux est ainsi gérée par une fuite des
compétences des pays pauvres vers les pays riches. C’est
ce que Arlie Russell Hochschild, une sociologue de
l’Université de Californie, appelle «le nouvel or mondial».

Magdalena Rosende interviewe en profondeur une
femme sans papier, originaire de Colombie, qui travaille
comme femme de ménage et garde d’enfants dans les
familles genevoises. Ces propos illustrent l’exploitation,
les salaires dérisoires, les tentatives de viols, l’absence
de toute protection sociale et de santé. A 34 ans, cette
femme bien formée dans son pays dont elle a dû fuir la
violence, se dit «…très très fatiguée, j’ai mal aux pieds,
mal au dos, mal à la tête. J’ai l’impression d’être une
vieille femme». Sa fille l’a rejointe après 4 ans de séparation,
mais elle ne se sont pas vraiment retrouvées.

Le travail de prise en charge (care)

Arlie Hochschild, ainsi que d’autres auteures de ce dossier
(Pascale Molinier, Geneviève Cresson, Françoise
Messant, Laurence Bachmann, etc) analysent le concept
de «care» qui comporte tous les soins aux personnes
dépendantes (enfants, malades, personnes âgées), activités
sanitaires, médicales, sociales, éducatives traditionnellement
attribuées aux femmes dans le cadre
familial. Ce travail toujours plus professionnalisé représente-
il une chance d’accéder aux emplois salariés et de
voir ainsi reconnaître les compétences acquises dans la
famille (cf le fameux CFC de gestionnaire en économie
familiale de Jacqueline Berenstein Wavre qui connaît un
certain succès)? ou un risque d’enfermement dans des
emplois dévalorisés, peu qualifiés et sous-payés?

Le propre de ce travail, entièrement consacré, au service
des besoins des autres est la monotonie, la répétitivité,
et sans espoir d’amélioration (les vieillards deviennent
toujours plus dépendants, les petits enfants qui ont
progressé dans l’autonomie sont remplacés chaque
année par de nouvelles volées de bébés dépendants).

Il peut donc générer de l’agacement, des souffrances
physiques et psychologiques, voire de la haine envers
les personnes dépendantes. Mais cet aspect de la réalité
est occulté au profit d’un discours consensuel sur l’éthique
du dévouement et sur la «tendresse naturelle des
femmes». Nous revoilà dans un débat qui divise parfois
les féministes!

Des femmes tortionnaires

A ce propos, outre les NQF, je vous recommande dans
«L’Emilie» d’octobre 2004 la lecture passionnante du
dossier sur la violence des femmes. Malgré l’asymétrie
entre violence féminine et masculine, il ne s’agit pas
d’occulter l’agressivité, la cruauté et le sadisme des femmes,
au nom d’une nature plus douce. La soldate tortionnaire
des prisonniers irakiens d’Abou Ghraib était
même enceinte! Cette image «dérange l’entendement,
par référence à «l’idéal» féminin fabriqué de toutes pièces,
par le discours ségrégationniste. On ne naît pas tortionnaire,
on le devient», tient à préciser Gisèle Halimi.

Pour prolonger cette réflexion sur les soins aux personnes
âgées, on peut lire avec grand intérêt:

Ne pleure pas Mariette de Paule-Andrée Scheder
(Editions d’en bas), un récit lucide sur la perte d’autonomie,
le délabrement du corps et de la mémoire de
Mariette, la vieille tante, et sur la colère et l’impatience
de Viviane, la nièce. Et sur leur lien de tendresse, jusqu’à
la mort.

Les traces de Delphine Coulin (Grasset), un roman
assez raté dans son intrigue, mais illustrant de façon
très prenante les ambivalences d’une auxiliaire de vie
qui va soigner des personnes âgées à leur domicile et
leur apporte la vie, avec toutes ses contradictions.

Revues et livres en vente à «L’Inédite» 15 rue Saint-
Joseph à Carouge, la seule librairie femmes de Suisse!

Maryelle BUDRY