Directive Bolkestein: bombe contre les droits sociaux

Directive Bolkestein: bombe contre les droits sociaux

Une entreprise d’intérim installe son siège social en Pologne. Sans devoir demander la moindre autorisation aux autorités du pays, elle fait venir des travailleurs polonais sur des n’importe où dans l’Union Européenne. Ces travailleurs sont soumis à la législation… polonaise. Salaires polonais, sécurité sociale polonaise, réglementation du travail polonaise. Et seule compétente pour contrôler le respect de cette législation sur les chantiers en question: l’inspection sociale polonaise… Politique-fiction? Non, il s’agit du «principe du pays d’origine» que contient le projet de directive européenne déposé par la Commission le 13 janvier et rédigée par l’ultra-libéral commissaire européen chargé du marché intérieur, le Hollandais Frits Bolkestein. Elle s’applique aux services des 25 pays de l’UE et vise à «réduire la paperasserie qui étouffe la compétitivité». Prétexte dans tous les pays pour abolir des réglementations en matière sociale, de protection des travailleurs, d’environnement ou de règles de qualité ou d’éthique à respecter par les entreprises.

L’objectif de Bolkestein est d’imposer aux 25 Etats une concurrence commerciale sans limite dans les activités de service, dans le commerce, la construction, le nettoyage, la publicité, les agences d’intérim et même la santé, l’enseignement, la culture. La Commission veut éliminer les obstacles à l’établissement et à la libre circulation des services, souvent constitués par des réglementations nationales de droits démocratiques et sociaux conquis de haute lutte par le passé. La Commission veut balayer ces droits pour transformer les services en un commerce dont le profit est le seul but.

Aujourd’hui, dans l’UE, le prestataire de service (par exemple une entreprise de construction) peut, à titre temporaire, exercer son activité dans un autre pays, à condition de respecter les conditions que ce pays impose à ses propres ressortissants. Le travailleur polonais au service d’une entreprise polonaise sur un chantier en Italie est soumis aux règles sociales en vigueur dans ce pays. Un obstacle au profit que la directive Bolkestein veut lever.

Une machine à privatiser!

L’application de la directive au secteur de la santé et des soins aux personnes aurait comme conséquences qu’un prestataire de soins d’un pays pourrait s’installer dans un autre pays sans devoir y respecter la réglementation nationale. Ce qui conduit à une privatisation totale de la politique de santé.

Les législations qui imposent un statut à ces services ou subordonnent l’octroi de subsides à un statut particulier devraient disparaître. De même que les normes d’encadrement des maisons de repos ou les normes en personnel médical et infirmier par nombre de lits en milieu hospitalier. Ou encore les réglementations limitant les honoraires des médecins. La directive ouvre la voie à la privatisation et à la mise en concurrence de presque toutes les activités de services, y compris l’enseignement, la santé et des activités culturelles qui ne fonctionneront plus que dans la logique du profit.

Le principe du pays d’origine a été approuvé par la majorité formée au Parlement européen par les chrétiens démocrates, les libéraux et la plupart des sociaux-démocrates, dans une résolution adoptée le 13 février 2003. La directive Bolkestein s’inscrit dans la lignée du Sommet européen de Lisbonne, en 2000 lorsque onze gouvernements sur quinze étaient dirigés ou co-dirigés par des socialistes, ce sommet a défini comme objectif pour l’Europe de devenir l’économie la plus compétitive du monde.

L’arbre et la forêt

Mais l’arbre Bolkestein ne doit pas cacher la forêt néolibérale. Cette directive est en effet parfaitement dans la ligne du projet de «Constitution» européenne que nombre de directions syndicales, la social-démocratie européenne et les Verts se refusent, au nom du «moindre mal», à rejeter. Cette «Constitution» impliquerait que toute entrave à la «libre concurrence» entre entreprises dans le cadre «d’une économie sociale de marché hautement compétitive» doit être supprimée. Par «entraves», il faut entendre les législations, les réglementations nationales qui protègent encore les travailleurs, malades, citoyens, etc. et pour lesquels le mouvement ouvrier s’est battu. De plus, le projet de Traité constitutionnel ne reconnaît pas les droits sociaux collectifs – droit au travail, à la retraite, au chômage, au revenu d’existence, au logement… – comme des droits justiciables, mais comme de simples objectifs à atteindre en «tenant compte de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union».

Lutter contre la directive Bolkestein nécessite de s’attaquer à la source du problème: le modèle néolibéral de construction européenne dont elle n’est qu’un reflet. Cela implique s’opposer au projet de Traité constitutionnel qui veut consolider, légaliser et pérenniser cette Europe capitaliste néolibérale. (pv)