Loi espagnole contre la violence à l'égard des femmes

Loi espagnole contre la violence à l’égard des femmes

Le 22 décembre 2004, le gouvernement espagnol a adopté une loi contre la violence à l’égard des femmes. Présentée comme une mesure devant permettre aux femmes de surmonter les obstacles sociaux, économiques et légaux liés à la décision de mettre un terme à une relation de couple marquée par la violence, cette législation a soulevé un large débat parmi les féministes de l’Etat espagnol. Nous résumons ici le point de vue de Justa Monteroi, membre de l’Asamblea feminista de Madrid (coordination de groupes féministes).

Les associations féministes ont principalement débattu de l’utilité, de l’efficacité, de l’opportunité et de la portée d’une telle loi. Elles ont également critiqué la rapidité avec laquelle le projet a été examiné au Parlement, et la faible réceptivité de la part du gouvernement et des médias envers toute posture critique féministe sur ce thème. La vitesse avec laquelle le projet a été élaboré et discuté n’est pas étrangère à la promesse de Jose Luis Rodriguez Zapatero au cours de sa campagne électorale: cette loi serait la première approuvée par son gouvernement.

La définition de la violence, comme manifestation des rapports de pouvoir inégalitaires entre hommes et femmes, et la volonté d’avoir une loi cadre, ayant des effets sur les législations dans d’autres domaines – éducatif, sanitaire, professionnel, économique, judiciaire, publicité et sensibilisation – sont sans aucun doute les deux aspects les plus positifs du projet. Ils traduisent une rupture avec l’optique politique du gouvernement de Jose Maria Aznar, pour lequel la violence constituait un problème de disfonctionnement, exigeant la limitation de ses manifestations les plus brutales, et l’adoption de mesures permettant de pallier ses conséquences les plus visibles, sans s’attacher aux causes de la violence.

Une perspective victimisante

Le projet ne parvient pas à rompre avec un traitement victimisant des femmes, car elles sont considérées comme des sujets passifs et nécessitant une protection et une tutelle institutionnelles. Cette optique s’oppose à celle qui permet aux femmes d’affirmer leurs droits, leur liberté et leur autonomie, et a des répercussions pratiques sur le type de services et de moyens qui devraient être fournis dans les centres d’assistance et maisons d’accueil.

Un premier problème apparaît dans le titre même de la loi, car l’objectif – la lutte contre la violence de genre – ne s’ajuste pas à ce que le texte réglemente de fait. Cette loi concerne uniquement l’une des manifestations de la violence: celle qu’exerce un homme à l’encontre d’une femme avec qui il a, ou a eu, une relation affective. Or, la violence faite aux femmes englobe d’autres manifestations, comme les agressions, les viols, le harcèlement sexuel, qui nécessitent un traitement et des mesures spécifiques et différentes.

Inclusion des enfants
et des personnes âgées

Une autre confusion importante concerne le champ d’application de la loi. À la suite de pressions exercées par les député-e-s du Parti populaire, les enfants et les personnes âgées ont été intégrés dans la loi. La nature de la violence conjugale est ainsi identifiée avec celle dont peuvent être victimes d’autres personnes vivant dans la sphère familiale. Cette inclusion s’explique uniquement par l’intérêt d’estomper la nature de la violence masculine. En effet, ce qui est spécifique n’est pas l’action violente en elle-même, mais les causes qui génèrent la violence: la volonté des hommes de soumettre les femmes.

La dénonciation

L’un des principaux problèmes du texte réside dans le fait de faire de la dénonciation féminine le principe autour duquel tourne la loi. Le dépôt d’une plainte ouvre la procédure juridique; celui-ci apparaît dès lors comme la voie de résolution du problème. La solution du conflit passe ainsi aux mains des institutions. Dans cette procédure, les femmes perdent leur engagement actif. La plainte est également le pré-requis pour pouvoir bénéficier des mesures économiques, professionnelles, de soutien et d’assistance prévues par la loi.

Ce projet de loi se centre ainsi sur la pointe de l’iceberg: les femmes qui vivent des situations extrêmes. Qu’en est-il de celles qui préfèrent résoudre le problème par une voie différente de la voie judiciaire? Même si le nombre de dénonciations augmente régulièrement depuis plusieurs années, seules 5% de femmes qui subissent une violence déposent une plainte. La violence domestique renvoie à une réalité complexe. Ce projet de loi reflète un manque de connaissance et de compréhension concernant les difficultés que rencontrent les femmes pour mettre un terme à une situation qui est largement le produit de conditionnements et de dépendances affectives.

Caractère pénal de la loi

Un autre problème majeur de la loi consiste dans son caractère pénal très marqué. Ce projet suit ainsi la voie tracée par les gouvernements antérieurs de durcissement progressif des peines et d’inclusion de nouveaux types de délits. L’aspect pénal est aussi ce qui est le plus rapide et facile à appliquer. Or, la prison ne dissuade pas, l’augmentation des peines ne signifie pas la diminution de la violence masculine. Preuve en est la progression du nombre de femmes assassinées par leur conjoint ou ex-conjoint au cours des dernières années. Bref, le Code pénal n’a pas de rôle éducatif, punir les hommes qui maltraitent est nécessaire, mais cela ne permet pas de mettre fin à l’impunité sociale qui permet à deux millions d’hommes d’être violent.

Certes, la loi reprend diverses mesures adoptées en août 2003, comme l’ordre de protection qui autorise un juge à dicter dans un délai de 72 heures des mesures de protection pour garantir la sécurité des femmes. Mais, les peines sont amplifiées: la menace légère, considérée comme une faute, devient un délit (avec peine d’emprisonnement). Par ailleurs, cet excès de pénalisation détourne l’attention de mesures qui peuvent être plus utiles pour que les femmes gèrent et résolvent elles-mêmes la situation associée à cette menace légère. Dans certains contextes, la médiation peut être un exemple de mesures utiles.

Un aspect particulièrement problématique réside dans le fait d’appliquer le critère de discrimination positive à ce nouveau type de délit. De sorte que l’on pénalise la menace si elle est réalisée par un homme et non par une femme. La discrimination positive a toujours été appliquée dans le champ des droits comme mesure ponctuelle. Introduire la discrimination positive dans le contexte pénal a une signification très négative et répond à une philosophie qu’une bonne partie du mouvement féministe refuse. Elle signale un groupe, les hommes, comme des agresseurs et toutes les femmes comme des victimes. Cela ne favorise pas la rupture avec la victimisation qui pèse sur les femmes.

Formation et prévention

Le texte met l’accent sur la nécessaire formation du personnel des services sociaux, des professionnels-les de la justice, des forces de sécurité, de la santé et de l’enseignement. Cela suppose des dépenses qui ne sont guère mentionnées dans le mémoire économique de la loi, ainsi que l’accord des communautés autonomes responsables de l’application de la loi.

Enfin, la loi comprend peu d’aspects préventifs, or ils devraient occuper une place importante, à côté de la réparation des torts matériels et moraux des femmes victimes de violence. C’est pourquoi le scepticisme concernant les répercussions de cette loi est grand.

Eradiquer la violence à l’encontre des femmes suppose un changement fondamental des symboles et systèmes de valeurs fortement ancrés qui confèrent du pouvoir aux hommes et qui font de l’amour et du bonheur un piège pour beaucoup de femmes.

Magdalena ROSENDE

  1. Les positions de Justa Montero sont explicitées plus en détail dans «Debates en torno a la ley contra la violencia de genero», Viento Sur, n° 77, novembre 2004.