Controverse sur les éoliennes: le point de vue d'un opposant

Controverse sur les éoliennes: le point de vue d’un opposant

Après l’article de François Iselin sur l’énergie éolienne, paru dans solidaritéS n°57, et la réaction de Martin Kernen, publiée dans le n°60, c’est au tour de Bernard Chapuis, président de l’association des Amis de Tête-de-Ran / La Vue-des-Alpes, d’apporter sa contribution au débat. (réd)

La réponse de Martin Kernen, responsable du centre d’information Suisse Eole pour la Suisse romande, à l’article de François Iselin sur l’énergie éolienne vise à démontrer à quel point il est actuellement politiquement incorrect de mettre en doute, voire de s’opposer au développement de la filière éolienne dans notre pays.

Dans son article, les irresponsables réfractaires au dieu Eole sont, en vrac, ceux qui font le procès du Grand Capital, ceux qui ne veulent pas que les écoles soient ouvertes la nuit à Madagascar afin que les parents s’y instruisent, ceux qui ne comprennent pas les Danois, qui ont planté de nombreuses éoliennes pour agrémenter leur plat pays, les riverains égoïstes des parcs éoliens, qui n’ont aucune raison de se plaindre du bruit, de la destruction paysagère, de l’impact touristique néfaste suscités par des aérogénérateurs de plus de 100 mètres de hauteur, et j’en passe.

Un tel amalgame a le mérite de montrer que les promoteurs de l’énergie éolienne cherchent à «ratisser large» mais il nous oblige surtout à considérer que le débat sur une énergie qui arbore tous les stigmates de la propreté ne peut se réduire à une position pour ou contre le renouvelable, quelle qu’en soit la nature.

Présentons d’abord quelques faits et analyses avant d’enlever un peu de fard à l’idole.

Substitut au nucléaire?

La Suisse n’est fondamentalement pas un pays éolien. Elle ne dispose pas de grands espaces libres inhabités et les conditions aérologiques n’y sont pas favorables en raison du manque de force et de régularité des vents. Chez nous, le rendement des aérogénérateurs ne dépasse pas 15% de leur capacité et leur contribution à la production d’électricité en Suisse ne peut être qu’infime, de l’ordre de quelques pour mille. Une récente étude1 de l’OFEN démontre qu’en hérissant d’éoliennes de grandes dimensions, toutes les crêtes de l’Arc jurassien et des Préalpes, on ne pourra jamais contribuer, même de façon marginale, au remplacement du nucléaire.

Réduction des gaz à effet de serre?

Aujourd’hui déjà, la totalité de nos besoins en électricité sont assurés par des systèmes de production qui sont exempts d’émission de CO2 (60% hydraulique, 40% nucléaire). Par conséquent, quel que soit le nombre machines érigées, la contribution des éoliennes au respect, par la Suisse, des engagements de Kyoto restera toujours nulle.

Dans notre pays, la consommation d’électricité représente moins du quart de la consommation totale d’énergie. Les trois quarts restant sont les carburants, les combustibles fossiles et le gaz. Le potentiel de réduction de la pollution atmosphérique réside principalement dans les domaines de l’utilisation des énergies fossiles.

Utilisation rationnelle
de l’énergie

Maintenir l’augmentation de la consommation d’électricité sur la période 2000-2010 en deçà de 5% est l’un des objectifs du programme SuisseEnergie. Or entre 2000 et 2003, la consommation d’électricité a déjà augmenté de 5,2%, soit 50 fois plus que l’objectif 2010 de la Confédération pour son programme d’énergie éolienne2.

Prenons l’exemple des appareils électroménagers qui absorbent 13% de l’électricité en Suisse, et pour lesquels la facture annuelle d’électricité s’élève à CHF 5 milliards. Selon le programme Etiquette-Energie3 le potentiel d’économie d’électricité d’un appareil de classe A par rapport à la classe G s’élève à plus de 50%. Cela représente une diminution potentielle de la consommation d’électricité de 6,5% et, surtout, un manque à gagner pour les producteurs d’électricité de CHF 2,5 milliards. Peu enclins à favoriser les programmes d’économie ces derniers préférèrent stimuler la croissance qui leur permet de justifier la construction de parcs éoliens sur les crêtes du Jura en vendant au prix fort un courant labellisé «vert».

Energie renouvelable

Plutôt que de foncer tête baissée dans le développement d’une filière éolienne sans avenir, la Suisse devrait donner la priorité à la mise en valeur du bois, des déchets organiques et inorganiques, de l’énergie solaire thermique, de la géothermie et de la force hydraulique existante, ceci dans le cadre de leur potentialité et de leur compatibilité avec l’environnement.

On peut espérer que ces réflexions qui sont de plus en plus dans l’air du temps apporteront quelques fausses notes dans la grande messe de l’éolien.

Les facettes de l’éolien

En conclusion, et pour faire une nouvelle allusion à M. Kernen qui, à la fin de son article, se targue d’avoir montré le vrai visage de l’éolien, contentons-nous d’en révéler quelques facettes. Qui veut de l’éolien en Suisse?

  1. Des sociétés multinationales qui piaffent à nos frontières afin d’étendre leur marché. C’est le cas d’Eole-RES, une entreprise franco-anglaise, qui paie les avocats chargés de défendre les intérêts des promoteurs face aux organisations de protection du paysage qui ont recouru au tribunal administratif contre l’implantation d’un parc éolien à Tête-de-Ran, petite station touristique du Jura neuchâtelois.
  2. Des bureaux d’ingénieurs qui profitent des deniers publics pour réaliser de nombreuses études d’impact et qui, par un habile travail de lobbying, poussent à la construction de parcs éoliens pour justifier leurs activités.
  3. Des producteurs d’électricité qui ont bien compris que l’éolien en Suisse peut représenter un marché de niche juteux et qui, de plus, ne nuit pas à leur stratégie opportuniste de relance du nucléaire. Pour preuve, en 2003, au lendemain des votations sur l’atome, les Forces motrices bernoises4 annonçaient la construction de deux nouveaux aérogénérateurs à Mont-Crosin (JB). Les FMB mettaient alors en évidence tout le bien qu’elles pensaient de cette filière énergétique. Fin 2004, les mêmes FMB ouvrent le débat sur la nécessité de construire une nouvelle centrale nucléaire5, s’appuyant sur le faible rendement de leurs installations éoliennes de Mont-Crosin.
  4. Tous ceux qui, malheureusement, croient laver leur conscience en achetant au prix fort une électricité labellisée mais qui, en fait, cautionnent les acteurs mentionnés aux trois points ci-dessus.

Bernard CHAPUIS

  1. Concept d’énergie éolienne pour la Suisse, OFEN, 2004
  2. SuisseEnergie – Objectifs pour l’énergie éolienne, 5.11.2001
  3. Communiqué – OFEN, 2001
  4. Mont-Crosin – Extension du parc d’éoliennes, Le Temps, 19.05.2003
  5. Indispensable extension des installations de production – Communiqué – FMB, 11.10.2004

Opposition à l’éolien industriel: www.juracretes.ch