Cadeaux aux banques: le référendum s'impose!

Cadeaux aux banques: le référendum s’impose!

Le parlement à Berne vient de faire, en trois coups de cuillère à pot, un cadeau de 310 millions par an aux banques, aux spéculateurs et aux riches, en supprimant, encore une fois, de larges pans des droits de timbre. Ce sont 240 millions d’«allégements», décrétés à titre «urgent» et «temporaire» en 2000, qu’on prolonge «pour de bon», au-delà de leur échéance fin 2005, en y rajoutant 70 millions de plus, avec notamment la multiplication par quatre de la franchise en cas d’émission d’actions qui passe de 250000 Fr. à un million… Tout ceci sans compensation aucune. Impression de déjà-vu? En effet, on nous ressert un plat que le peuple a refusé! La «nouvelle» loi sur les droits de timbre (LT) reprend tel quel l’un des volets du paquet fiscal fédéral rejeté massivement lors de la votation populaire du 16 mai 2005…

Le premier argument des partisans de cet «allégement» des DT est que ce volet du paquet fiscal refusé en 2004 n’aurait alors «pas été contesté». C’est faux! L’allégement des DT a été contesté explicitement dans le cadre du référendum populaire contre le paquet fiscal dont «A Gauche toute!» avait pris l’initiative. D’ailleurs, ce pan du paquet fiscal reprend des mesures votées en 2000. Lors débat au Conseil national à l’époque, gauche et verts s’y étaient opposés, les Verts en refusant l’entrée en matière et le PS en proposant un renvoi au Conseil fédéral, chargeant celui-ci de trouver des recettes nouvelles pour compenser intégralement la perte pour la Confédération. Jean-Claude Rennwald, socialiste jurassien, dénonçait d’ailleurs, dans ce débat là, lultime de ces mesures soit «la suppression pure et simple des droits de timbre» et contestait également la procédure d’urgence visant à «contrer toute tentative de référendum.»1

Droits de timbre: qui paye quoi?

Les droits de timbre (DT), introduits en Suisse durant la Première Guerre mondiale, sont des impôts fédéraux sur diverses transactions financières, effectuées en majorité à travers la Bourse. En Suisse, il existe principalement deux DT:

  1. le droit d’émission, prélevé lors de l’émission d’actions ou d’obligations; le taux actuel est de 1% lorsqu’il s’agit d’actions, et de 0,12% lorsqu’il s’agit d’obligations d’emprunt suisses. Le DT sur émission d’actions n’est pas prélevé si l’émission est inférieure à 250000 Fr.
  2. le droit de négociation qui porte sur l’achat ou la vente de titres par des commerçants suisses de titres qui sont, pour l’immense majorité des transactions, les banques suisses. Le taux est de 0,15% pour les titres suisses, et de 0,3% pour les titres étrangers.

Pour porter un jugement sur les DT, il est décisif de savoir qui porte finalement le poids de cet impôt. Or les DT sont portés soit par les banques, si le rapport de force est favorable à leur clientèle, soit, si le rapport de force penche du côté des banques, celles-ci les font porter sur leur clientèle. Quoi qu’il en soit, les DT sont portés, pour l’essentiel, par les banques, les milieux qui spéculent en Bourse ou par les détenteurs de capitaux. C’est un impôt qui ne touche guère les salarié-e-s. En conséquence, les milieux financiers et d’affaires se sont toujours fortement opposées aux DT, quels qu’ils soient. A travers tout le XXe siècle, ils se sont battus pour obtenir la suppression complète des DT! (pv)

Caisses vides contre emploi

Un second argument des partisans de la loi est que cet allégement serait indispensable à la «compétitivité» de la place financière suisse, pour défendre les emplois qui lui sont liés. Cet argument est fallacieux, on baisse des recettes de la Confédération de 310 millions par ce cadeau fait aux banques, aux spéculateurs, etc. Il s’agit d’une estimation portant sur la première année. Mais combien de millions seront perdus lors de la cinquième ou de la 10ème année? La mesure s’inscrit donc clairement dans la politique des caisses vides, dont l’objectif est de forcer les collectivités publiques à diminuer leurs dépenses. Le fait que les mêmes forces politiques qui prônent cette diminution des recettes adoptent en même temps un nouveau programme d’austérité et de coupes antisociales dans le budget fédéral de près de deux milliards le démontre clairement.

Or 310 millions d’économies supplémentaires dans les dépenses publiques ont d’importantes conséquences en matière d’emploi. Un rapide calcul: si la Confédération doit économiser 310 millions supplémentaires, cela signifie la suppression directe de près de 4000 emplois (en estimant que chaque emploi coûte 80000 Fr. par an).

La «compétitivité» de la place
financière en jeu?

En outre, les mesures que la droite patronale veut aujourd’hui pérenniser ont été introduites en 2000. Si leur argument relatif à l’emploi avait un grain de vérité, on aurait dû constater une inflexion significative dans le nombre de personnes employées par les banques. Or 12000 emplois ont été supprimés dans les banques suisses entre 2000 et 20032. En fait, ce qui influe réellement sur le nombre d’emplois dans les banques, c’est leur politique de «rationalisation» et d’économies massives, ainsi que l’accent encore plus fort mis, afin d’augmenter les profits, sur la gestion de fortune au détriment des activités de retail banking.

Il est pour le moins amusant de voir les milieux bancaires justifier les mesures proposées en avançant leur souci de maintenir les emplois à la Bourse suisse. Curieusement, lorsque ces mêmes milieux ont décidé, il y a quelques années, de créer une nouvelle Bourse située à Londres, Virt-X, et de transférer vers cette Bourse à Londres, la majeure partie des opérations boursières issues des Blue Chips suisses (c’est-à-dire des grandes sociétés suisses), elles ont été muettes quant à la question de l’emploi. Or, il est évident que cette décision a entraîné des pertes d’emploi significatives.

PSS: logique néolibérale…
et grincements de dents

Lors du vote aux Conseil national du 1er mars sur les droits de timbre, l’argumentation officielle du groupe socialiste a été de rappeler son opposition «historique» à cet «allégement», mais… de le voter au nom de l’«acceptation de la réalité», en précisant, selon sa porte-parole Hildegard Fässler, qu’ils le faisaient en «grinçant des dents» et que le cas échéant, la prochaine fois, ils voteraient NON à de nouveaux abattements en la matière. Ce jour là, au Conseil national, il ne s’est pas trouvé une seule voix du PS pour se joindre à celles des élu-e-s d’«A gauche toute!» et des Verts pour voter NON. Lors du vote final, le dernier jour de la session, Pierre Vanek a rappelé qu’au lendemain de la votation du 16 mai le PSS avait affirmé qu’il ne «donnerait pas de chèque en blanc pour reprendre ces allègement»:10 voix socialistes ont alors rallié l’opposition et 13 élu-e-s du PSS se sont abstenus. (pv)

Enfin, les partisans des dispositions proposées prétendent que la «compétitivité» de la place financière suisse est menacée. Ce n’est évidemment pas le cas. En témoignent les bénéfices record des banques suisses. UBS et le Crédit Suisse ont dégagé, à eux seuls, des bénéfices nets déclarés – les bénéfices réels étant sans doute supérieurs – se montant au total à 13,6 milliards de francs en 2004. Si sur les 310 millions produits par les DT qu’on veut définitivement supprimer aujourd’hui, 200 millions proviennent de l’UBS et du CS. Cela représente à peine 1,5% de leur bénéfice net. Peut-on sérieusement croire que la compétitivité de ces deux banques serait remise en cause si leur bénéfice net était diminué de 1,5%? Evidemment non.

Les partisans de la liquidation des DT répondent que les banques suisses ont perdu tant et tant de parts de marché au profit de tel ou tel pays (le Luxembourg par ex.) sur tel ou tel type de transactions. Or en dehors du fait qu’ils ne disent jamais comment ils parviennent à ces estimations, qui sont extrêmement douteuses, ils omettent un point important: ce sont les banques suisses qui déplacent elles-mêmes leurs opérations sur les marchés étrangers, par ex. au Luxembourg (dont elles contrôlent à peu près 20-25% des opérations bancaires) ou à Londres, précisément dans l’objectif de faire pression sur les autorités et l’opinion publique suisses, en leur «prouvant» ainsi leur perte de «compétitivité». En fait, la «compétitivité» de la place financière suisse est basée sur la force du Franc, le secret bancaire, la gestion de fortune et le laxisme fiscal. Aucun de ces «atouts» contestables n’est menacé, et la gestion de fortune, le centre de l’activité des banques suisses, s’est remarquablement relancée depuis 2003.

Ce n’est qu’un début…

Tous les partisans de cet allégement des DT disent ouvertement qu’il ne s’agit que d’une étape vers la suppression complète de ces derniers. Le conseiller fédéral Rudolf Merz, dans son intervention au National, déclarait le 1er mars, qu’il fallait «garder à l’esprit le but de supprimer totalement cet impôt»3. Laisser passer aujourd’hui cet «allègement» sans résistance, c’est capituler face au prochain démantèlement déjà annoncé!

Pierre VANEK

  1. CN, 04.12.2000
  2. Les banques suisses, 2003
  3. CN, 01.03 2005

En 2004: 2,8 milliards perdus pour la collectivité!

La comparaison 1993-2004 des recettes totales issues des droits de timbre par rapport au chiffre d’affaires de la Bourse suisse est intéressante:

1993 2004
Recettes DT 2181 millions 2755 millions
Chiffre d’aff. Bourse suisse 434665 millions 1123105 millions
DT en % du chiffre d’affaire de la bourse 0,50 % 0,25 %

La «charge» des DT par rapport au chiffre d’affaires de la Bourse a donc été diminuée de moitié entre 1993 et 2004, grâce à une succession d’allégements. Ainsi, si les DT avaient été maintenus à leur niveau de 1993, les recettes issues de cet impôt atteindraient aujourd’hui 5616 millions, soit environ 2,8 milliards de plus qu’aujourd’hui! La Confédération n’aurait pas bouclé ses comptes 2004 sur un déficit de 1,7 milliard, mais aurait dégagé un excédent de 1,1 milliard. (pv)

Sources: Compte d’Etat de la Confédération suisse 1993; Communiqué du DF sur les comptes 2004 de la Confédération; 16.2.05; Banque nationale suisse, Bulletin mensuel de statistiques économiques, déc. 2000 et mars 2005.


Le référendum, pourquoi?

Les élu-e-s d’«A gauche toute!» ont appelé au référendum fédéral. Que vise-t-il?

  • Enrayer la machine infernale à faire des cadeaux aux riches en évitant que soit passé sous la jambe la victoire du NON au paquet fiscal en mai 2004…
  • Livrer bataille contre le démantèlement complet annoncé des DT, dont le coût total se chiffrerait aux alentours de 2,7 milliards supplémentaires par an et dont la facture serait payée par des coupes antisociales supplémentaires au détriment de la majorité de la population…
  • Pour une fois, rétablir des recettes nouvelles dès le 1er janvier 2006, à hauteur de 240 millions par an – sans charge pour les salarié-e-s – qui permettraient de financer des améliorations sociales significatives.

En outre, il faut savoir que la «facture» pour la caisse fédérale de l’allégement des DT en 2000, que la droite veut pérenniser aujourd’hui, devait initialement se monter à 500 millions par an environ selon les estimations du Conseil fédéral. Si cette facture a été «limitée» au 240 millions dont il est question aujourd’hui, c’est que comme l’expliquait… Christoph Blocher – alors rapporteur de la commission du National – on a finalement «compensé» pour part les allégements prévus en «soumettant au droit de timbre comme s’ils étaient des négociants en titres»1 les caisses de pension, les assurances sociales et les collectivités publiques… Le radical Pelli parlera alors à ce sujet de «fiction» par laquelle les caisses de pension sont assimilées aux «banques et sociétés financières.»

Ainsi comme le soulignait Michel Schweri dans un commentaire à ce sujet sur le paquet fiscal dans Le Courrier: «Indirectement, la majorité des salariés passe à la moulinette du “paquet fiscal” par le biais des caisses pension…»2 Cette charge supplémentaire sur les salariés – qui a par exemple représenté plusieurs millions par an de charge supplémentaire pour la caisse de retraite du secteur public à Genève (CIA), est une raison de plus de soutenir le référendum. (pv)

  1. CN, 04.12.00
  2. Le Courrier 20.9.03