1-8 juillet 2005 à Edinbourg contre le G8

1-8 juillet 2005 à Edinbourg contre le G8

A l’initiative de la coalition britannique «G8 Alternatives» (G8A), une «semaine d’action contre le G8» est prévue à Edinburgh (et environs) du 1er au 8 juillet. G8A est une large coordination d’organisations, de mouvements et d’individus qui a vu le jour en juillet 2004 et qui regroupe à la fois les mouvements résolument opposés au G8 et à ses politiques et ceux qui privilégient le dialogue et le travail de «lobbying». La volonté commune est de «rassembler le plus largement possible les anticapitalistes, les organisations de développement, les syndicalistes, les militants pacifistes, les écologistes, les militants des droits humains, etc., pour échanger, débattre et manifester contre les politiques néolibérales et militaristes du G8.» Nous reproduisons ici un entretien, réalisé le 7 juin, avec Joshua Brown, membre du comité national de «G8 Alternatives» et cheville ouvrière de la «semaine d’action contre le G8».

Comment êtes-vous parvenus à rassembler, dans la coalition G8 Alternatives, autant d’identités et
de pratiques militantes différentes?

Effectivement, ce n’est pas simple! Mais c’est cette diversité qui fait notre force. La coalition G8A rassemble des gens qui se mobilisent contre le G8 depuis des positions politiques parfois très différentes. Certains mettent l’accent sur la responsabilité des dirigeants du G8 dans la guerre contre l’Irak, d’autres sur leurs politiques à l’égard des pays du Sud, sur la question de la dette, d’autres encore dénoncent le militarisme, le capitalisme, la destruction accélérée de l’environnement, la confiscation des biens communs, la casse des services publics, les privatisations, etc.

Chacun peut se retrouver dans les actions que nous allons mener ensemble, et nous rejoindre en fonction de sa propre sensibilité. C’est d’ailleurs notre objectif: rassembler, dans la diversité, des gens venus de tout le Royaume Uni, et, plus largement, de toute l’Europe (…)

Une dynamique dans la droite ligne de celle des forums sociaux,
en somme…

Avec une différence: si nous voulons effectivement débattre, nous rencontrer, échanger des idées et des arguments, nous voulons également traduire nos réflexions en actions concrètes. Au-delà des discussions et des débats, nous prévoyons, tout au long de la semaine, des manifestations, des animations et des actions de sensibilisation, dans un souci d’éducation et de participation. Nous voulons faire descendre la politique dans la rue. Nous voulons rendre visibles, à destination du plus grand nombre, les idées, les arguments, les propositions, les exigences que nous portons face au G8 et à ses politiques catastrophiques.

Outre la grande manifestation unitaire du samedi 2 juillet, quel est le programme du sommet alternatif qui se tiendra le lendemain?

Une journée de débats, répartis dans de nombreux endroits du centre-ville, en séances plénières, en séminaires et en ateliers, consacrés à toutes les grandes questions dont les dignitaires du G8 prétendent s’occuper (réparties en huit thèmes spécifiques – voir encadré, ndlr). Nous voulons mettre en lumière les liens organiques qui existent entre les politiques du G8 et la militarisation, la guerre, la pauvreté, l’injustice sociale… et mettre en avant la richesse des alternatives dont nous sommes porteurs!

Et les «actions concrètes»?

Le lundi 4, nous prévoyons de bloquer la base militaire de Faslane. Une des bases qui abritent quelques unes des armes de destruction massive dont dispose la Grande-Bretagne (l’Ecosse à elle seule compte plus de 70 bases militaires!). (…) La base de Faslane abrite quatre sous-marins nucléaires dont la puissance de feu est capable de rayer de la carte un territoire grand comme l’Europe. Leur coût? 48 livres (environ 75 euros) par seconde! Nous estimons que nous devons nous battre contre l’existence de ces armes, emblématiques des visées impériales et militaristes des grandes puissances.

Pratiquement, des bus partiront de toute l’Ecosse lundi à l’aube, pour rejoindre Faslane. Arrivés là, nous bloquerons les entrées de la base afin que personne ne puisse entrer y travailler. Les responsables de la base n’écartent d’ailleurs pas, d’après la presse, l’éventualité de fermer d’eux-mêmes la base ce jour-là, et de donner congé aux travailleurs. Hypothèse qui a déjà un goût de victoire symbolique pour nous…

Le lendemain, mardi 5 juillet, c’est le centre de confinement de Dungavel qui sera l’objet de la mobilisation…

Oui, et à travers lui, les politiques inacceptables qu’il symbolise, au même titre que tous les autres centres fermés qui défigurent l’Europe. Ce centre – il faudrait plutôt parler de prison – est destiné à enfermer les gens qui veulent trouver refuge en Europe. Des gens dont le seul crime est d’avoir osé franchir des frontières. Des gens qui cherchent protection et assistance et qui se retrouvent en détention arbitraire, pour une durée souvent indéterminée, dans des prisons où l’on enferme les hommes, les femmes, les enfants, les familles… avant de les expulser manu militari.

Nos deux principaux partis, le parti travailliste et le parti conservateur, rivalisent de sévérité et d’ingéniosité pour durcir toujours davantage des «politiques d’immigration» déjà scandaleusement réactionnaires et racistes.

L’objectif des milliers de manifestants qui se réuniront ce jour-là à Dungavel, venus de toute l’Europe, sera d’abord, bien sûr, de témoigner leur solidarité à toutes les personnes qui y sont enfermées, mais aussi, bien sûr, d’exiger leur libération, la fermeture de ces prisons, et l’arrêt immédiat des expulsions. Et cela au moment où le G8 se réunira pour discuter des exigences et des priorités de l’économie mondiale, ignorant superbement les réalités et les souffrances des millions de déplacé-e-s, de migrant-e-s, d’«illégaux» que celle-ci a bien souvent plongé dans la misère et l’exil.

Arrive ensuite le mercredi, jour de
la manifestation aux portes du très luxueux hôtel de Gleneagles, qui abrite la réunion du G8…

Ce sera sans doute le moment fort de la semaine d’action contre le G8. En train, en bus, en voiture, des dizaines de milliers de manifestants se rendront à Gleneagles, petit village perdu dans la campagne, à une soixantaine de kilomètres d’Edinburgh. Ils se rassembleront aux portes du domaine qui abrite l’hôtel – le château entouré de terrains de golf, devrait-on dire… – où vont se retrouver les «global leaders». Ceux-ci doivent savoir qu’ils ne sont pas les bienvenus, qu’ils ne se réuniront pas sans opposition. (…) Nous serons là pour leur dire que nous ne voulons pas d’eux, et que nous rejetons leur prétendue légitimité.

Le contre-sommet de Gênes de 2001 est encore dans toutes les mémoires. Craignez-vous une attitude agressive de la police et de l’armée, qui seront évidemment présents en nombre, à l’encontre des manifestant-e-s à Gleneagles?

Depuis des mois, les médias sont en train de tenter de répandre la peur, que ce soit à la télévision ou dans la presse. Ils disent que des manifestant-e-s violents vont tout casser. Que la police a décidé d’emprunter des auto-pompes à… la Belgique! Quutilisera si nécessaire des balles en caoutchouc, pour la première fois dans l’histoire de l’Ecosse… Ils essaient d’intimider les gens, de faire croire à une flambée de violence, comme à Gênes en 2001. Mais c’est de la propagande. En Grande-Bretagne, le rapport à la police – et le rapport de celle-ci aux manifestations – est fondamentalement différent. En 1998, le G8 s’est réuni à Birmingham, en Angleterre. Les gens se sont mobilisés, ont manifesté, et ont complètement encerclé le lieu où se déroulait le sommet. Il n’y a eu aucun problème avec la police. (…)

Cette année, nous poursuivons le même objectif: une mobilisation immense, massive, et pacifique. Pour faire entendre nos voix, pour faire savoir au G8 qu’il n’est pas le bienvenu en Ecosse. Sans violence, sans le/la moindre blessé-e. Mais cela, en fin de compte, c’est la police qui en décide!

Nous avons le droit de manifester contre le G8. Les autorités prévoient de dépenser 150 millions de livres (plus de 220 millions d’euros) pour la sécurité des maîtres du monde. Elles doivent comprendre qu’il leur faut également assumer leur obligation de respecter et de faire respecter notre droit de manifester contre le G8. L’immense majorité des Ecossais-es n’a aucun intérêt à voir le G8 tenir salon ici. Beaucoup d’entre eux sont des gens aux revenus minimes, aux emplois précaires, qui voient leurs possibilités d’accès à la santé ou à l’éducation se réduire de plus en plus, suite aux privatisations, aux attaques sur les pensions, les droits sociaux, les services publics. Tous ces gens savent ce qu’est le G8. Ils savent à quoi ressemblent les politiques néolibérales qu’ils subissent depuis des années. (…)

Que penser des propos de Blair et de Gordon Brown, engagés depuis
des mois dans une campagne de relations publiques intensive sur l’Afrique, la réduction de la pauvreté dans le monde, etc.?

Brown et Blair veulent donner un nouveau visage au parti travailliste. Ils ont compris que la mobilisation à Edinburgh pour le G8 sera massive, alors ils tentent de la récupérer, en allant jusqu’à inviter les gens à se joindre à la manifestation du 2 juillet, et à la campagne britannique «Make poverty history» (MPH – littéralement: «reléguer la pauvreté à l’Histoire»)! Il ne s’agit là que d’une vulgaire tentative de prise de contrôle du mouvement. Brown voudrait pouvoir prendre la parole à la fin de la manif et remercier tout le monde d’être venu… A nous d’empêcher cette récupération. A Edinburgh, nous manifesterons aussi contre lui, en tant que membre du G8 et donc co-responsable d’une situation socio-économique qui ne fait qu’empirer pour les populations du Sud et du Nord.

La manifestation du 2 juillet est organisée par la campagne dont
vous venez de parler, «Make poverty history». De quoi s’agit-il exactement?

C’est une campagne très présente en Grande-Bretagne, qui rassemble plus de 400 ONG (parmi lesquelles OXFAM, Action Aid…), des syndicats, des églises, des personnalités (le chanteur Bono notamment), et qui appelle à «un commerce plus juste, à l’annulation de la dette, à une plus importante aide au développement». A l’origine, on retrouve les animateurs-trices de la campagne Jubilé 2000, qui continuent à lutter, par le biais de cette nouvelle campagne, pour les droits des «pays en développement», contre le poids de leurs dettes et les politiques d’ajustement structurel qui les étranglent depuis si longtemps.

En tant que G8 Alternatives, nous travaillons en bonne entente avec les militant-e-s de «Make poverty history», et surtout au niveau local, en préparation des manifestations de juillet. Même si nous avons des positions plus «radicales», nous avons des objectifs communs, nous savons que la lutte sera encore longue et que nous devons la mener ensemble. C’est pour cela que la préparation logistique du contre-sommet avance bien: tout le monde se mobilise, jusqu’aux églises, qui ouvriront leurs portes pour permettre l’hébergement de manifestant-e-s et l’organisation de certains débats. Nous avons également des contacts réguliers avec les groupes qui forment le mouvement Dissent et prévoient aussi de nombreuses actions «anti-G8».

Vous êtes confrontés à une difficulté: faire en sorte que les dizaines de milliers de personnes qui participeront à la grande manifestation du samedi 2 juillet et au sommet alternatif du lendemain restent et participent également aux actions prévues
les lundi et mardi, ainsi qu’à
la manifestation du mercredi…

Nous appelons effectivement à la participation la plus large possible aux nombreuses activités programmées du 1er au 8 juillet. C’est pour cela que nous mettons tout en œuvre pour accueillir les gens venus de toute l’Europe dans les meilleures conditions. Outre un programme de réflexion et d’action varié, riche et festif, nos hôtes pourront compter sur un hébergement, le confort nécessaire, de quoi se restaurer, se reposer, se déplacer… Ils doivent s’organiser pour arriver jusqu’à Edinburgh, et puis nous prenons le relais. Nous allons faire en sorte que leur séjour soit le plus agréable possible, et qu’il leur soit facile d’être partie prenante de cette grande mobilisation. Edinburgh est l’endroit idéal pour cela: c’est une ville qui a l’habitude des foules, des festivals, des touristes qui visitent la ville en grand nombre… Toutes les infrastructures sont prêtes.

Vous avez en outre le soutien actif de la ville et des pouvoirs locaux…

C’est exact. Le parlement écossais a voté une motion pour défendre notre droit à manifester tout au long de la semaine. C’est particulièrement significatif. De tels soutiens politiques ne sont pas fréquents lors des contre-sommets du G8… La municipalité, de son côté, met à notre disposition un dispositif et des moyens logistiques considérables. Et nous bénéficions également de nombreux autres appuis politiques, financiers et organisationnels, notamment du côté des syndicats. On sent, un peu partout en Ecosse, une volonté très forte de s’opposer à Bush, Blair et consorts, et de faire entendre les voix des peuples. Eux sont huit. Et nous… six milliards!

Propos recueillis par Yannick BOVY
paru dans «Les Autres voix de la planète»,
périodique du Comité pour l’annulation de la dette
du tiers monde (CADTM), n° 27, juin 2005.