Dix ans de loi sur l'égalité: quel bilan pour les travailleuses?

Dix ans de loi sur l’égalité: quel bilan pour les travailleuses?

Il y a 10 ans le Conseil national et le Conseil des Etats acceptaient la loi sur l’égalité (LEg). Nous avons rencontré Valérie Buchs, secrétaire syndicale au syndicat interprofessionnel de travailleuses et travailleurs (SIT) pour faire un bilan des avancées que cette loi a permis sur le terrain et proposer des pistes d’action.

Dix ans après l’introduction de cette loi, on ne relève que 24 jugements rendus pour la Suisse latine, comment expliquer ce chiffre très faible?

Ce chiffre est effectivement bas, mais il ne s’agit que de jugements rendus, alors que beaucoup de procédures se terminent en conciliation. Sinon, plusieurs facteurs expliquent que cette loi ne soit pas assez utilisée. La protection contre les licenciements est insuffisante. Dans un contexte de fort chômage, les femmes hésitent donc à faire connaître leur situation. Une employée licenciée suite à une dénonciation n’a que le délai de congé pour réagir, c’est donc très court. La lenteur des procédures décourage également les employées, une procédure jusqu’au Tribunal fédéral peut durer entre 4 et 6 ans.

En matière de harcèlement sexuel, il n’y a pas d’allégement du fardeau de la preuve, or, il est très difficile de prouver qu’on a été victime de harcèlement. De plus, la composition du tribunal des prud’hommes n’est souvent pas mixte, notamment à Genève. C’est donc souvent une épreuve de plus que de devoir expliquer ce qu’on a subi uniquement devant des hommes. Bien souvent, en outre, les juges n’ont pas de formation spécifique en la matière. En revanche, la mixité est prévue dans le cadre de la commission de conciliation.

Dans cette loi, le législateur n’a pas statué sur le fait que les offices cantonaux de l’inspection du travail et que les services de promotion de l’égalité puissent mener des enquêtes dans les entreprises pour s’assurer de l’application de la LEg.

Il y a effectivement beaucoup d’imperfections dans cette loi, mais quels en sont ses aspects positifs?

Elle a permis de gagner des procès en matière d’égalité salariale, de licenciement abusif et de harcèlement sexuel. Elle joue aussi un rôle préventif. En effet, elle permet de concilier certaines causes, car les employeurs évitent souvent d’aller au tribunal par crainte d’une mauvaise publicité. Cette loi a également permis d’obtenir des études, des statistiques et des financements pour des projets en matière d’égalité dans la vie professionnelle.

Au niveau syndical, elle donne une base légale pour agir dans les entreprises et pour prévoir des dispositions sur l’égalité dans les statuts du personnel et dans les conventions collectives. De plus, il y a la possibilité, pour les associations et les syndicats qui ont dans leurs statuts pour tâche de promouvoir l’égalité entre femmes et hommes, de saisir en justice, lorsqu’un nombre important de rapports de travail sont concernés. Le SIT a pu ainsi intenter une action en justice contre les Champignons Parmentier: dans cette entreprise, de multiples formes de discrimination avaient été mises en évidence (indemnités, durée du travail, inégalité salariale).

Quelles sont les discriminations les plus répandues à l’égard des femmes?

Une grande partie des discriminations concernent les licenciements abusifs, le harcèlement sexuel et les inégalités salariales. En ce qui concerne les inégalités salariales, à travail égal, le salaire des femmes reste en moyenne inférieur de 20% à celui des hommes. Une partie de cette différence s’explique par une discrimination sexiste.

Plus généralement, les femmes gagnent moins que les hommes, car les formations professionnelles sont globalement plus courtes pour les femmes, qu’elles ont des interruptions de carrière et que les métiers féminins s’exercent majoritairement dans des secteurs à faible valeur ajoutée. D’ailleurs, dans les procédures judiciaires concernant l’inégalité salariale, c’est souvent complexe de faire reconnaître la valeur du travail des femmes.

On constate aussi une grande disparité entre hommes et femmes au niveau des postes à responsabilité?

Effectivement, il y a seulement 15% de femmes dans les postes de direction. On constate un sexisme ordinaire à ne pas confier des postes à responsabilité aux femmes, le temps partiel est refusé pour ces postes et les heures supplémentaires sont la règle. D’une certaine manière, c’est toute l’organisation du travail qu’il faudrait revoir.

Pour améliorer la situation quelles mesures devraient être prises?

Cette loi permet d’éliminer les cas de discrimination les plus flagrants. En revanche, elle reste insuffisante pour les situations de discrimination sournoises et indirectes. Par exemple, il est fréquent que les femmes enceintes et les jeunes mères soient poussées à la démission. Pour contrer cela, il y a un travail à faire dans les entreprises pour que ce genre de pratiques soit dénoncé. Il faut un travail de sensibilisation auprès des travailleuses et des travailleurs. Des mesures au niveau des conventions collectives doivent être prises: il s’agit de dispositions facilitant la conciliation entre vie familiale et professionnelle (congés parentaux, horaires à la carte, congés pour enfants malades, etc.).

Il est nécessaire également que les systèmes d’évaluation du travail prennent en compte les compétences relationnelles. Dans le domaine salarial, le salaire au mérite, ainsi que les contrats précaires et temporaires sont discriminatoires; il y a un effort important à fournir pour que les grilles salariales soient transparentes. Les femmes devraient aussi avoir plus facilement accès aux formations continues et aux formations en cours d’emploi, notamment pour les migrantes.

Enfin, si on veut que les choses avancent, il ne faut plus que les budgets, visant à l’instauration de mesures de promotion des femmes dans le domaine professionnel, soient systématiquement remis en question en période d’austérité budgétaire.

Entretien réalisé par
Marie-Eve TEJEDOR