Amiante-ciment ne pas répéter le même scénario

Amiante-ciment ne pas répéter le même scénario

Lors du séminaire de jumelage des vies des victimes d’Eternit (voir p. 20), des participant-e-s d’Italie, de Belgique, de France et de Suisse ont pu mieux cerner la stratégie mise en œuvre par les fabricants d’amiante-ciment, les Schmidheiny, Emsen, Cuvelier et Hatschek. Nous avons évoqué cette question avec Jean-Marie Birbes, d’Albi, représentant de l’ARDEVA de Midi-Pyrénées (Association régionale de défense des victimes de l’amiante).

Dans votre intervention, vous avez évoqué la similitude de situation entre les usines d’Albi, Paray-le-Monial et Payerne. Pourriez-vous préciser ce point?

Dans les trois cas, la manière de faire est la même. La direction assure qu’elle sait comment maîtriser le risque (contrairement à d’autres entreprises) et minimise le danger. Même les mots utilisés changent: on ne parle plus d’amiante – trop évocateur – mais de chrysotile. L’objectif reste, en lâchant ce qu’il faut, de ne pas perdre l’essentiel: le maintien de la production et la préparation de l’après-amiante. A Payerne aussi, ils ont pris leur temps. Et comme ailleurs, ils ont tout fait pour éviter la reconnaissance officielle de leurs responsabilités. Pour ne pas avoir à payer, évidemment.

Vous avez aussi expliqué en quoi vous vous sentiez doublement floués par la direction d’Eternit à Albi. Pourquoi?

En France, dans le cadre du productivisme d’après-guerre, le maintien de la production de matériaux à base d’amiante a été obtenu grâce à une habile stratégie patronale, celle de «l’usage contrôlé de l’amiante», qui reposait sur deux piliers: préserver la santé et l’emploi. C’était un leurre, bien sûr. Mais on nous expliquait que nous avions les meilleurs systèmes d’aspiration des poussières et que la maladie ne pouvait se propager. Sur le plan sanitaire, nous avons ainsi perdu vingt ans avant l’interdiction de l’amiante. Mais il était difficile de mettre en cause cet «usage contrôlé de l’amiante», que même le Parlement européen avait légitimé. Nous avons donc joué le jeu, avec le Comité d’hygiène et de sécurité (CHS) pour améliorer les conditions de travail, sans pouvoir jamais obtenir de véritable contrôle. Sur le plan de l’emploi, après une période de maximalisation de la production, sont venus les plans sociaux. Avec la déclaration des premiers cas de mésothéliome, nous avons pu constater que nous avions perdu sur les deux tableaux: celui de la santé et celui de l’emploi.

Comment avez-vous alors réagi?

Après la création d’une association pour répondre aux attentes des salariés, nous avons fini par obtenir un statut des travailleurs de l’amiante, qui leur évite la mise au chômage et leur permet de bénéficier d’un système de retraite anticipée en fonction des années d’exposition au produit. Il faut savoir que 25% des gens touchés décèdent avant 60 ans. Nous avons recherché qui étaient les responsables de cette politique, voulue, consciente. Il faut se rendre compte que lorsque l’interdiction de l’amiante a été prononcée en France, à mi-juillet 96, l’usine d’Albi fabriquait dès fin juillet de nouveaux produits sans amiante. Autrement dit, il était techniquement possible de renoncer à l’amiante, tout était prêt. «On» a donc pris sciemment la responsabilité de continuer à utiliser durant des années un produit cancérigène. Cette politique-là se poursuit du reste au Sud, après l’interdiction de l’amiante au Nord. En France, nous avons ainsi réussi à traduire cette responsabilité dans les faits, par le recours aux poursuites judiciaires en demande d’indemnisation pour «faute inexcusable» de l’employeur. A Payerne aussi, il faudra obtenir d’une part la reconnaissance de la maladie professionnelle et d’autre part la mise en évidence de la responsabilité de la famille Schmidheiny.

Cette mise à jour des responsabilités des directions d’entreprise, c’est ce qui motive votre engagement dans l’ARDEVA de Midi-Pyrénées?

Pas seulement. Il y a aussi tout un volet de l’action qui se déploie au niveau international, afin que la solidarité internationale permette une réglementation unifiée par le haut. C’est le sens de la participation de l’ARDEVA au mouvement international «Ban Asbestose» (Bannir l’amiante). Et, au-delà du cas précis de l’amiante, mon action vise aussi à ce que l’utilisation d’autres produits dangereux ne se fasse selon le même scénario catastrophe.

Entretien réalisé par la rédaction


CAOVA, l’organisateur du jumelage, a présenté à cette occasion la brochure qu’elle vient d’éditer: «Eternit, le blanchiment de l’amiante sale, les conséquences tragiques de 100 ans d’amiante-ciment». Cet ouvrage se lit «en stéréo»: sur les pages de droite on trouve la traduction du rapport hollandais «La tragédie de l’amiante» de R. Ruers et N. Schouten traduit par les soins de CAOVA, alors que sur les pages de gauche on trouve de nombreux documents inédits qui illustrent l’activité d’Eternit en Suisse et ses conséquences. Dans la préface à l’édition française, il est expliqué: «Cette étude démontre que bien que connaissant les risques de l’amiante, ces familles [les Schmidheiny, Emsen, Cuvelier et Hatschek, ndlr] ont tout fait pour en différer l’abandon. Leur responsabilité envers les victimes de l’amiante dans le monde est à la mesure de leurs fortunes et de l’empire mondial qu’ils ont construit au cours du XXe siècle sur le secret, le mensonge et la manipulation de l’opinion publique.»

Pour commander la brochure: CAOVA c.p. 5708, 1002 Lausanne ou info@caova.ch