Yvan et Joël toujours présents

Yvan et Joël toujours présents

Il y a 20 ans, le 28 juillet 1986, la «contra»
nicaraguayenne assassinait trois internationalistes (Yvan Leyvraz,
Joël Fieux, Bernd Koberstein) et deux techniciens nicaraguayens
(William Blandón et Mario Acevedo). Suite à
l’article publié dans le précédent
numéro de notre journal, nous avons reçu un dossier
relatif aux activités organisées cet été
par les familles et les ami-e-s des ces cinq camarades. En voici une
brève chronologie:

31 mai 2006: rappel de
l’attaque de la coopérative de Yale (construite sous la
direction d’Yvan) par la «contra».

28 juillet:
cérémonie au cimetière de Matagalpa (avec la
participation du groupe musical «Los Gatos», connu dans
cette région), où le père de Joël Fieux,
Fernand, et plusieurs de ses amis ont rappelé la mémoire
des disparus et la situation du Nicaragua à cette époque.

29 juillet: A la Dalia, ODESAR
(Organización para el desarrollo municipal) réunit 200
personnes (en majorité des jeunes paysan/nes).

30 juillet: une trentaine de
personnes se rendent à Zompopera pour rafraîchir et
fleurir la pierre commémorative sur le lieu de
l’assassinat, puis à Wiwili, pour rencontrer des personnes
qui travaillaient alors avec les camarades morts dans cette embuscade.

Yale, vingt ans après le massacre

Dans la nuit du 31 mai 1986, date de la fête des mères au
Nicaragua, un gros contingent de la «contra» attaque
l’«asentamiento» de Yale, récemment construit.
Il brûle les maisons et assassine seize personnes (dont une
petite fille de 12 ans, Xiomara). Pour le 20e anniversaire de cette
tragédie, les habitant-e-s ont demandé à la
solidarité suisse de les aider financièrement à
rafraîchir leur cimetière et à organiser une
cérémonie.

Il est 10 heures du matin et il y a déjà un soleil de
plomb sur le «Polo de Yale». A l’entrée du
cimetière, un groupe de paysannes avec leurs enfants attendent
la venue du curé. A midi enfin, apparaît la jeep bleue
conduite par le curé de La Dalia. Deux policiers armés
l’accompagnent, «parce qu’il y a beaucoup
d’ivrognes qui se regroupent dès qu’il y a une
manifestation». Arrive ensuite un camion avec le maire Jaime et
son assistante Juanita, ainsi que des chaises en plastic pour les
invités d’honneur.

L’entrée du cimetière est décorée des
deux côtés. Le cimetière a désormais une
enceinte, la mauvaise herbe à été coupée,
les tombes ont été repeintes en bleu et sont
ornées de fleurs. Le monument qui porte le nom des seize
camarades assassinés pendant l’attaque de la contra, le 31
mai 1986, a aussi été repeint en bleu, et une grosse
croix lui a poussé sur la tête. Là au milieu, une
table se dresse, avec une nappe blanche et des fleurs, pour accueillir
le curé. A son arrivée, celui-ci s’empresse de
déplacer la table à l’ombre.

Les familles des victimes s’avancent et s’asseyent
spontanément sur les tombes de leur père, frère,
mari ou fils. Le groupe de mariachis «Los Renovados»
(paysans de Yale qui viennent de recevoir de nouveaux instruments de
musique par la solidarité suisse) entonne une chanson pour la
fête des mères, une autre pour Michel (un brigadiste des
années 86) et une chanson pour Yvan.

La manifestation commence au garde-à-vous pour chanter
l’hymne national (l’hymne sandiniste n’est plus de
saison). Puis une lettre des «Suizos» est lue. Les gens
écoutent attentivement, mais c’est difficile de lire les
émotions sur les visages impassibles. Juanita prend ensuite la
parole, en tant que rescapée du massacre, ancienne habitante de
Yale et assistante du maire, elle qui a réussi à
étudier et à aller se former à Cuba.

Jaime, le maire de La Dalia, bien connu de la solidarité suisse,
parle aussi, pour rappeler brièvement le massacre du 31 mai
1986. Il raconte qu’il est arrivé comme
représentant du Front Sandiniste pour la région quelques
mois après l’attaque de Yale et que, lors des
réunions, il y avait peu de monde et les visages étaient
toujours tristes. Il est content de voir la quantité de jeunes
présents. La guerre est finie, mais la lutte continue, dit-il:
pour des routes meilleures, pour l’électricité,
pour que les enfants arrêtent de mourir par manque de
médicaments.

C’est ensuite au curé d’entrer en scène pour
célébrer la «misa campesina» pour les martyrs
du 31 mai 1986. La manifestation se terminera avec des
«piñatas» pour les enfants.
1986-2006: entre camarades solidaires et paysans de Yale,
l’amitié est toujours présente et la
solidarité n’a jamais cessé. Même si notre
seule aide n’a pas réussi à contrecarrer les effets
néfastes de gouvernements injustes ni à susciter
suffisamment d’inventivité pour que le «Polo de
Yale» vive et non plus survive.

Juliette FIORETTA*

* Ce compte rendu remonte au 31 mai 2006