France: La mutation « royaliste »

France: La mutation « royaliste »



Ils seront finalement trois à
briguer l’investiture socialiste à l’élection
présidentielle: Ségolène Royal, Dominique
Strauss-Kahn et Laurent Fabius. Au-delà du choc des ego et
d’un débat verrouillé, l’enjeu n’est
pas mince.

Ainsi, les pressions de «l’appareil», acquis pour
l’essentiel à la présidente de la région
Poitou-Charente, se seront révélées efficaces.
Lionel Jospin, incapable de surmonter le discrédit
consécutif à son retrait de la vie politique, au soir de
son échec du 21 avril 2002, en aura été la
première victime. Il aura même encouru les foudres
d’apparatchiks l’enjoignant dans la presse de renoncer…
lorsqu’ils n’allèrent pas jusqu’à le
menacer d’organiser des manifestations devant son domicile. Jack
Lang aura, à son tour, cédé aux
«amicales» pressions lui faisant valoir qu’il y
aurait, au lendemain d’une éventuelle victoire socialiste
et pour les législatives qui suivront, un prix à payer
pour son maintien en lice contre la préférée des
sondages.

Du côté de chez Blair

La désignation de Ségolène Royal paraît
désormais probable. Avec elle, se dessine un projet porteur
d’une véritable mutation de la social-démocratie
française. En concurrençant
délibérément Sarkozy sur son propre terrain
– la démagogie sécuritaire,
l’«harmonisation» des régimes de retraite ou
la remise en question de la carte scolaire –, c’est
une orientation inspirée de l’exemple d’un Tony
Blair qu’elle entend manifestement représenter, prenant
ainsi l’exact contre-pied d’une tradition qui voulait,
jusqu’alors, que le parti autant que le premier tour des
élections générales se gagnent… à gauche,
autrement dit au moyen d’un discours prétendant
répondre aux attentes sociales de l’électorat
populaire.

En usant sans vergogne des techniques du marketing politique, en
réduisant le débat de fond à de petites phrases
aussi creuses qu’attrape-tout – «l’ordre
juste», la «république du respect»… –,
en poussant jusqu’à ses pires extrémités la
dérive présidentialiste engendrée par la Ve
République, en s’adressant directement à une
opinion modelée par les sondeurs et en contournant les cadres de
confrontation militants, elle prétend s’adresser
directement à l’opinion, au détriment du
«parti de militants» hérité de la tradition
du mouvement ouvrier. Les dizaines de milliers d’adhérents
à vingt euros, venus pour influer sur la décision
socialiste pour la présidentielle mais à peu près
ignorants des véritables enjeux de la discussion interne,
permettront, à l’évidence, de parachever ce
processus… Tout un secteur de la rue de Solferino, qui rêvait
depuis longtemps de s’aligner sur les mutations ayant
déjà frappé d’autres partis frères
à l’échelle internationale, voit ainsi arriver le
moment de franchir un seuil qualitatif dans la transformation du Parti
socialiste en une sorte de parti démocrate à
l’américaine.

Jospin avait, un temps, caressé l’espoir de susciter une
dynamique autour de lui au nom d’une autre conception du parti.
Son retrait révèle que les digues ont peu à peu
cédé devant le «royalisme». Ce n’est
évidemment pas Strauss-Kahn qui peut porter une alternative, lui
qui depuis des lustres incarne la conversion du PS à la gestion
du libéral-capitalisme et qui ne dispose plus que d’un
slogan – «moderniser la social-démocratie»
– pour tenter de faire entendre sa différence.

Reste Laurent Fabius. Dans la plus pure tradition du mitterrandisme
dont il est l’héritier et faisant valoir son engagement en
faveur du «non» au référendum de 2005, il se
veut le «candidat du pouvoir d’achat» et d’un
PS ancré dans les classes populaires. Il a, pourtant, pour
handicap majeur d’avoir été un précurseur en
matière de social-libéralisme et, plus récemment,
de s’être rallié à la synthèse du Mans
comme au projet socialiste, lesquels ont fait le lit de
l’offensive Royal. Quelle que soit l’issue de la bataille
interne qui commence, c’est une nouvelle page de son histoire que
le PS s’apprête à écrire. Et la crise qui
pourrait s’ensuivre sera à la mesure de son
décalage accru avec le rejet qui frappe le libéralisme
dans le peuple de gauche…

Christian PICQUET

Rouge du 6.10.2006