Neuchâtel, comment sortir du labyrinthe?
Neuchâtel, Comment sortir du labyrinthe?
Le 27 mars 2019, contre l’avis (minoritaire) du groupe POP-Verts-SOL (regroupant les élu-e-s du Parti ouvrier et populaire, des Verts et de solidaritéS), une majorité du Grand Conseil neuchâtelois (PLR, UDC, PSN, Verts-libéraux et démocrates-chrétiens) a accepté le paquet fiscal proposé par le Conseil d’Etat (PSN-PLR).
« La nouvelle loi réforme simultanément pour la première fois aussi bien la fiscalité des personnes morales que celles des personnes physiques. Ce double allègement fiscal va produire un manque à gagner de 20 millions de francs pour le canton et de 12 millions pour les communes » (Le Courrier, 28.3.2019).
Pour information et réflexion, voici le texte distribué, il y a un an – lors de la manifestation anti-austérité du 10 mars 2018 – par solidaritéS-NE, rappelant les causes de « la catastrophe imminente et les moyens de la conjurer » (titre d’une brochure de Lénine, en 1917). Des moyens que les partis majoritaires au Grand Conseil et au Conseil d’Etat, obnubilés par la logique intrinsèque du capitalisme réellement existant, se refusent obstinément à adopter… (hpr)
Massacre à la tronçonneuse
Que se passe-t-il lorsqu’on s’obstine à baisser drastiquement l’impôt sur les bénéfices des multinationales et des holdings ou lorsque l’on protège prioritairement les plus riches dans la crainte sans réel fondement de les voir quitter le canton ? Les caisses de l’Etat se vident et les autorités politiques optent pour des mesures d’assainissement qui défavorisent toute la population.
Le Conseil d’Etat neuchâtelois a dévoilé le 1er décembre 2017 son plan de législature 2018-2021 : 40 mesures dites « d’assainissement », parmi lesquelles la fermeture de la Haute école de musique, la réduction des prestations d’orthophonie, la baisse des aides aux personnes âgées en EMS, la hausse des effectifs dans les classes enfantines et primaires, la baisse des subsides d’assurance maladie, des réductions d’aides sociales, une nouvelle réforme de la fiscalité des personnes physiques censée rendre le canton plus attractif.
Politique fiscale que nous dénoncions déjà en 2010 : « En continuant à protéger prioritairement les plus riches de ce canton et à renoncer à imposer de façon conséquente les bénéfices que font les entreprises, le canton ne peut et ne pourra pas à l’avenir répondre aux besoins les plus élémentaires de la population en matière de santé, de formation, de création de crèches, d’insertion et de transport. Sans parler de la culture, parent pauvre s’il en est. Le processus de démantèlement du service public engagé depuis 2005 va continuer et le personnel de la fonction publique ne sera pas seul à en faire les frais » (Extrait d’un rapport de minorité présenté par solidaritéS au Grand Conseil, en septembre 2010).
Les effets pervers de la fiscalité neuchâteloise
Sur le plan suisse, Neuchâtel bénéficie comme d’autres cantons de la péréquation intercantonale (207 millions en 2015). Mais comme plusieurs multinationales ont rapatrié leurs bénéfices dans le cantons de Neuchâtel où elles ne paient pas d’impôts, la péréquation intercantonale a été revue à la baisse.
« En 2013, les bénéfices des sociétés avec statut fiscal spécial ont explosé. Ils ont pratiquement doublé en 2 ans. Ces entreprises ont fait de l’optimisation fiscale. Sans doute, une bonne affaire pour elles, mais le canton, lui, a fait une mauvaise affaire (…). Ces bénéfices sont utilisés pour calculer les versements de la Confédération aux cantons : plus les bénéfices sont hauts, moins le canton reçoit d’aides. (…) En 2018, du fait de l’augmentation de ces bénéfices, le canton perd 40 millions, mais il perdra également 40 millions en 2017 et en 2019 » (Claude Jeanrenaud, professeur honoraire d’économie à l’Université de Neuchâtel, RTS, 05.12.2017).
Ce manque à gagner pose évidemment problème, et pas seulement à La Chaux-de-Fonds, où les impôts nouvellement payés par les entreprises jusqu’ici exemptées n’ont pas compensé les baisses d’impôts décidées en 2010 pour celles qui en payaient déjà. Depuis 2016 en situation financière précaire – aggravée par les clauses d’un emprunt toxique conclu en 2007 – la commune de La Chaux-de-Fonds n’a pu échapper à des mesures d’austérité drastiques. Du coup, Théo Huguenin-Elie (PSN) et Sylvia Morel (PLR), conseillers communaux de La Chaux-de-Fonds et ex-partisans de la réforme Studer, reconnaissent aujourd’hui que leur commune a mal à ses recettes. Pour les actionnaires par contre, les cadeaux ne seront jamais suffisants.
A moins de rompre radicalement avec la logique fiscale actuellement en vigueur, le Conseil d’Etat et le Grand Conseil continueront à prendre des mesures d’austérité contraires au bien-être du plus grand nombre.
L’imposition des entreprises à 2 vitesses a commencé il y a 50 ans
L’idée d’exonérer les entreprises venant s’installer dans le canton de Neuchâtel a pris naissance dans les années 1970 au sein du parti socialiste (PSN). Le canton, alors sévèrement frappé par la crise qui provoqua la suppression de dizaines de milliers d’emplois dans l’horlogerie, espérait pouvoir diversifier ainsi l’industrie. Des entreprises (majoritairement étatsuniennes) vinrent s’installer dans le canton, parce qu’elles y bénéficiaient durant 10 ans d’exonérations fiscales à 100 %. A l’expiration de ces exonérations toujours confidentielles, plus d’une repartit en licenciant le personnel.
Neuchâtel, transformé en un paradis fiscal pour multinationales, contribuait au passage à l’explosion des inégalités mondiales, car ces entreprises, en rapatriant leurs bénéfices à Neuchâtel, échappaient également à l’impôt là où elles auraient dû les payer. La crise de 2008 a amené l’Union européenne à réagir contre le dumping fiscal helvétique. Le Conseil d’Etat par son ministre des finances, Jean Studer, proposa dès lors de remplacer cette exonération devenue problématique par un autre système de privilèges fiscaux, actuellement toujours en vigueur.
Sept ans plus tard, les résultats sont là : les emplois ne se sont pas multipliés et le maître-mot du gouvernement reste : Economies ! Economies !
Un coup de barre est nécessaire !
Manifester contre la politique anti-sociale du gouvernement est un premier pas. Mais seules des mobilisations sociales organisées sur la durée amèneront les autorités politiques à revenir notamment sur les décisions fiscales, une des causes des difficultés actuelles. La fiscalité doit donner aux collectivités publiques les moyens d’une politique au profit des majorités populaires, et non se mettre au service d’une minorité de nantis. Il faut amplifier le mouvement et rompre avec la logique néo-libérale :
Annuler le mécanisme du frein à l’endettement qui bloque la politique sociale.
Introduire une taxe de solidarité de 1 % sur la fortune des 2500 millionnaires que compte actuellement le canton. En 2018, cette taxe rapporterait entre 70 à 80 millions, de quoi combler le déficit du budget.
Réviser la loi sur les impôts des entreprises en supprimant les différentes mesures qui font de Neuchâtel un centre de dumping fiscal.
Engager davantage d’inspecteurs des contributions pour lutter plus efficacement contre la fraude fiscale qui prive le canton de revenus considérables.
Réviser la fiscalité des personnes physiques en faveur des secteurs les plus défavorisés de la population neuchâteloise.
Tract distribué à l’occasion de la manifestation anti-austérité du 10 mars 2018, à Neuchâtel, par solidaritéS-NE.
Solidarités Neuchâtel, 1er avril 2019