Pour un cessez-le-feu à Gaza

Lettre ouverte aux élu.e.s socialistes loclois.e.s du Conseil général

Cher.e.s camarades,
Suite à un échange de courriels avec votre chef de groupe, Stéphane Reichen, ainsi qu’avec celui des Vert.e.s, Romain Vermot, concernant ma proposition de résolution demandant au Conseil communal d’intervenir auprès du Conseil fédéral en faveur d’une prise de position de sa part pour un cessez-le-feu à Gaza (Palestine), j’ai reçu la réponse suivante en date du 21 mai 2024 :

Cher Hans Peter,

Notre groupe s’est retrouvé ce soir . Au vu de la prise de position de la Suisse hier soir : https://www.eda.admin.ch/eda/fr/dfae/dfae/aktuell/newsuebersicht/2023/10/naher-osten.html, nous ne voyons plus l’utilité de cette résolution.

De plus, le groupe socialiste, comme déjà mentionné, ne souhaite pas faire de politique internationale dans un législatif communal, à moins qu’il y ait une pertinence locale.

Je te souhaite une belle soirée, et à bientôt.

Stephane

J’ai donc pris connaissance des textes mentionnés. Ils appellent de ma part les remarques suivantes :

1) Vous prenez pour argent comptant les récentes déclarations du Conseil fédéral, par rapport à ses positions initiales après les tragiques événements du 7 octobre 2023 dans les territoires israéliens limitrophes de Gaza.

2) Le Conseil fédéral n’a pas bougé d’un pouce sur l’analyse des causes de ces événements. En effet, il « condamne sans appel les attaques terroristes menées par le Hamas depuis le 7 octobre et demande la libération immédiate de tous les otages. Il reconnaît ‘le droit d’Israël d’assurer sa défense et sa sécurité et rappelle que le droit humanitaire doit être respecté par toutes les parties’ ».

3) Vous éludez le fait que le Conseil fédéral contient dans ses rangs un individu notoirement lié à des groupes de pression pro-israéliens, le chef du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), Ignazio Cassis. Quelques mois après son entrée en fonctions, celui-ci discréditait publiquement l’UNRWA (l’Agence des Nations Unies pour les réfugié.e.s palestinien.ne.s) en prétendant qu’elle faisait partie du problème, non de la solution, et qu’elle prolongeait le conflit ! Il y a eu également collusion notoire de la part d’Ignazio Cassis avec son collègue israélien, Israël Katz, pour tenter – à l’époque de la présidence de Donald Trump (USA) –de liquider l’UNRWA.

Dans un courriel antérieur adressé à Stéphane Reichen, je donnais les références d’une pétition adressée à vos élu.e.s sur le plan fédéral par 94 militant.e.s du Parti socialiste suisse (PSS), dont le contenu a été signalé sur le site blick.ch : Suisse: 94 socialistes dénoncent «la guerre génocidaire» menée par Israël! (blick.ch). Ce texte contient cinq revendications :

«La Suisse doit appeler à un cessez-le-feu permanent à Gaza, l’acheminement d’une aide humanitaire urgente, ainsi qu’exiger la levée du siège de Gaza.»

«La Suisse doit soutenir l’action de l’UNRWA et renforcer son financement.»

«La Suisse doit soutenir la procédure de l’Afrique du Sud à la CIJ et contribuer activement à la mise en œuvre de la décision du 26 janvier 2024 d’obtenir le respect du droit humanitaire de la part de l’État d’Israël.»

«La Suisse doit suspendre immédiatement sa collaboration militaire avec l’État d’Israël jusqu’au respect de ce dernier du droit international, c’est-à-dire l’arrêt de la colonisation de la Cisjordanie, la fin de l’occupation des territoires occupés par Israël.»

«La Suisse doit reconnaître le droit à l’autodétermination de la population palestinienne dans son ensemble. Cela se traduit par la reconnaissance de l’État de Palestine.»

Sur la première revendication, le Conseil fédéral se borne à de belles paroles sur le cessez-le-feu et le respect du droit humanitaire. Il n’exige pas la levée du siège de Gaza, qui se déroule dans des conditions similaires à celles du siège de Grozny (Tchétchénie) durant le règne du nouveau tsar russe Vladimir Poutine.

A propos des conséquences du 7 octobre, le Conseil fédéral demande la libération des otages israéliens détenus présentement à Gaza. Pourquoi ne demande-t-il pas celle des otages palestiniens détenus souvent depuis des décennies par l’État d’Israël, après la condamnation de ceux-ci par des tribunaux militaires ou par des procédures administratives sommaires, toutes dénoncées par des organisations de défense des droits humains, comme Amnesty International ou B’Tselem (Israël).

Sur la deuxième revendication, suite aux affirmations mensongères en provenance des services secrets israéliens sur une supposée implication d’employés de l’UNRWA à l’attaque du 7 octobre 2023, le Conseil fédéral – à l’initiative certainement de M. Cassis – s’est empressé de couper la subvention de 20 millions de francs à l’UNRWA. Il n’en a rétabli récemment que la moitié.

Les employés incriminés ont été licenciés par le commissaire général de l’UNRWA, avant toute enquête préalable. Deux d’entre eux ne sont plus en mesure de répondre aux accusations: en effet, ils sont morts (certainement sous les bombardements israéliens sur Gaza).

Sur la troisième revendication (soutenir la plainte sud-africaine à la CIJ), le Conseil fédéral observe « de Conrart le silence prudent ». Là encore, les liens particuliers de M. Cassis avec les officines de propagande pro-israélienne n’y sont certainement pas étrangers.

Sur la quatrième revendication, le Conseil fédéral reste aussi muet. Depuis des décennies, cette coopération militaire existe bel et bien. Dans les revues militaires, l’armée israélienne fait l’objet d’articles dithyrambiques. Le hasard (farceur) veut que le 7 octobre une délégation militaire suisse de passage en Israël a dû être prestement exfiltrée.

Sur la cinquième revendication, le Conseil fédéral botte en touche. Il estime que l’instauration effective d’un État palestinien doit résulter de négociations avec l’État d’Israël, dans le cadre d’un règlement négocié. Or, l’essentiel des forces politiques au pouvoir en Israël se refusent à envisager un tel règlement, certaines d’entre elles (et non des moindres) envisageant de « terminer le travail », c’est-à-dire l’expulsion de la population arabe palestinienne initiée en 1947-1948.

A ce propos, il faut saluer la décision de trois États européens – la Norvège, l’Irlande et l’Espagne – de reconnaître la Palestine comme État souverain. Le premier ministre espagnol, Pedro Sánchez, appartient du reste au même courant politique que le vôtre. Que font, que disent vos élu.e.s au Conseil fédéral ? Rien, car la sacro-sainte collégialité leur ferme la bouche (1).

De plus, la représentation suisse à l’ONU, sur instruction du ministre des Affaires étrangères, s’est honteusement abstenue, lors des votes au Conseil de sécurité – bloqué par le veto étatsunien – et à l’Assemblée générale de l’ONU sur l’admission de la Palestine à part entière au sein de l’ONU.

Ces points étant posés, venons-en aux conclusions pratiques contenues dans le message de Stéphane Reichen : « (…) le groupe socialiste, comme déjà mentionné, ne souhaite pas faire de politique internationale dans un législatif communal, à moins qu’il y ait une pertinence locale ». Qu’en termes choisis, ces choses-là sont dites !

Elles appellent de ma part les commentaires suivants :

1) Le Conseil général du Locle n’est pas submergé par les interventions sur des questions internationales. Le précédent cas s’est produit, durant la législature 2016-2020 : en 2018, suite à l’assassinat par un « escadron de la mort » de Marielle Franco (conseillère municipale du Partido Socialismo e Liberdade [PSOL] à Rio de Janeiro, Brésil, j’avais déposé une résolution qui a obtenu une majorité des suffrages au sein du Conseil général d’alors :  solidaritéS | Neuchâtel – Dénonciation de l’assassinat de Marielle Francisco Da Silva. Résolution (solidarites.ch). Trois de vos élu.e.s actuel.le.s – Gérard Santschi, Anne-Françoise Frutschi Lancaster et Joëlle Eymann – siégeaient déjà au sein du Conseil général. Dois-je comprendre que leur vote d’alors – selon les termes du message de Stéphane Reichen – était une erreur politique gravissime, qui ne sera plus commise à l’avenir ?

2) Dans une biographie à quatre mains, rédigée peu après la mort du regretté André Sandoz (président de la ville de La Chaux-de-Fonds dans les années 1960 et membre du Parti socialiste), les auteur.trices (Loyse Hunziker, Anne-Lise Grobéty, Marc Perrenoud et Léo Bysaeth) signalaient l’organisation par la ville de La Chaux-de-Fonds en 1963 d’une semaine culturelle espagnole. Grâce à ses contacts, André Sandoz – qui avait présidé en 1936-1939  l’Association des amis de l’Espagne républicaine à La Chaux-de-Fonds – y avait invité des intellectuels opposés au régime franquiste. Cela avait suscité, lors de l’inauguration, le départ furibond de l’ambassadeur d’Espagne, invité protocolairement mais qui avait donc eu une très mauvaise surprise. André Sandoz ne s’était pas contenté de « faire de politique internationale dans un législatif communal », il l’avait fait dans un exécutif communal ! Faudrait-il l’en blâmer post mortem ?

L’histoire du conflit israélo-palestinien est souvent mal connue au sein de la gauche. Je vous recommande donc la lecture d’un ouvrage réédité récemment, dont voici les références : Ilan Pappé, Le nettoyage ethnique de la Palestine. Paris, La Fabrique éditions, 2024. Vous pourrez l’obtenir sans problèmes par l’intermédiaire de la librairie Aux Mots Passants, qui se fera un plaisir de vous le commander.

Hans-Peter Renk

(conseiller général en ville du Locle [titulaire pour la législature 2020-2024, suppléant pour la législature 2024-2028], membre de solidaritéS-NE)

1) Mme Baume-Schneider est présentement très occupée à défendre les politiques anti-sociales de la majorité bourgeoise du Conseil fédéral ; M. Jans est présentement très occupé à durcir la politique envers les migrant.e.s et les réfugié.e.s, statut qui n’a cessé de se dégrader depuis une quarantaine d’années.