Les oublié·e·s du confinement

Les mesures de semi-confinement prises pour lutter contre la propagation de l’épidémie mettent brutalement en lumière les inégalités sociales.

Dans le camp de réfugié·e·s d’Oreokastro, en Grèce
Dans le camp de réfugié·e·s d’Oreokastro, en Grèce

Rester chez soi n’a pas le même sens selon que l’on habite une villa ou un grand appartement, ou que l’on s’entasse à 5 dans un 3 pièces. Cela est d’autant plus vrai pour toutes celles et ceux qui n’ont pas d’espace à eux·elles, comme les personnes en exil ou sans logement.

À l’annonce des premières mesures de distanciation sociale, un grand nombre d’associations d’aide aux plus précaires (nourriture, hébergement, etc.) ont dû arrêter ou diminuer leurs activités. Soit qu’elles n’étaient pas aux normes, soit que les bénévoles – souvent des retraité·e·s – ne pouvaient plus s’y rendre. De nombreux·euses personnes précaires se sont retrouvées du jour au lendemain sans ressources. 

À Genève, par exemple, dans les foyers de l’Hospice général, les employé·e·s peinent à donner des informations sur l’épidémie et sur les gestes barrières, ce qui laisse le champ libre aux fake news. Le matériel (savon, solution hydroalcoolique, masques, etc.) est insuffisant, autant que le plan d’action annoncé de la part de l’institution. Nombre de réfugié·e·s ne savent plus où aller chercher leur courrier qui arrivait habituellement à l’Hospice général.

Exigeons l’égalité face à la crise sanitaire, pour les précaires …

Dans cette situation, des mesures ciblées pour les personnes les plus précaires doivent être absolument mises en place : aides alimentaires pour toutes et tous quel que soit le permis de séjour, et lieux d’hébergement pour les personnes sans-abri. 

Pour ce faire, les autorités doivent mettre les moyens : réquisition de tous les logements vides, des hôtels, voire des résidences secondaires (lits froids) pour les personnes sans-abri ou les victimes de violences domestiques. Il faut assurer la couverture des besoins de base (nourriture, produits d’hygiène, etc.) pour toutes les personnes en situation de précarité : l’activité des associations de distribution de nourriture doit être compensée.

Les 50 000 à 100 000 personnes sans-papiers en Suisse, qui travaillent mais n’ont pas accès à une couverture sociale n’ont plus de ressources dans ce contexte de confinement. Une aide urgente doit donc leur être fournie : accès aux soins garanti, avec confidentialité absolue afin que la crainte d’une dénonciation ne vienne pas limiter leur droit à la santé.

… et pour les personnes en exil

Largement dénoncées par les défenseurs·euses des droits des migrant·e·s, la situation dans les centres fédéraux (CFA), qui regroupent plusieurs centaines de requérant·e·s, sont en contradiction avec les mesures d’hygiène recommandées. En effet, les demandeurs·euses d’asile y dorment dans des dortoirs, passent leurs journées dans des salles communes où les distances de sécurité ne sont pas applicables. Ceci, dans un contexte où l’accès aux soins est déjà dramatiquement restreint (cf. solidaritéS nº 364).

Il n’y a pas qu’au niveau sanitaire que la situation des personnes en exil est problématique.  Alors même que les renvois Dublin sont suspendus et que la restriction des vols aériens empê la plupart des renvois, aucune information n’a été faite aux migrant·e·s menacé·e·s de renvoi, qui s’endorment encore la peur au ventre de vivre une déportation le lendemain. On maintient des personnes en détention en vue de renvois qui ne peuvent avoir lieu : absurde ! La libération des personnes en détention administrative et l’arrêt de tous les renvois est une nécessité.

Autre fait intolérable, le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) convoque des auditions à Berne avec a minima 5 personnes à la fois, pour une à plusieurs heures d’entretien. Sous la pression d’un appel lancé par Solidarité sans frontières et signé par des dizaines d’organisations, le SEM a annoncé suspendre les auditions, le temps de mettre en place des mesures de sécurité, mais cette décision (trop tardive) ne résoudra pas le fait de contraindre des personnes à se déplacer à travers toute la Suisse. 

État d’urgence humanitaire

Avec la poursuite des procédures, le SEM rend donc encore des décisions alors que les bureaux d’aide juridique ont dû fermer ou ralentir fortement leur activité. Autrement dit, alors que les délais – déjà trop courts en temps normal – représentent un obstacle majeur pour recourir contre une décision de refus d’asile ou de non-entrée en matière, faire recours est à présent mission (quasi-)impossible !

À l’état d’urgence sanitaire doit s’ajouter un état d’urgence humanitaire : enregistrement des nouvelles arrivées, suspension des procédures d’asile, renouvellement automatique des autorisations de séjour et arrêt de tous les renvois. Enfin, la santé des personnes en exil doit être garantie au travers du désengorgement des CFA et d’un véritable accès aux soins !

Aude Martenot