Pas de déconfinement sans protection intégrale de la population
Le Conseil fédéral a présenté les mesures de la deuxième phase de son plan de déconfinement progressif. Prévoyant désormais de rouvrir également tous les lieux de restaurations, ce paquet de mesures s’inscrit encore plus fortement dans la perspective d’une primauté des intérêts économiques sur la santé et la vie des habitant-e-s de ce pays. Pour le gouvernement suisse, c’est aux travailleurs·euses de payer les frais humains et financiers de cette crise, dans l’objectif de réduire au maximum les pertes économiques dues à la pandémie et de revenir au plus vite au statu quo antérieur. Alors que de nombreuses recherches alertent sur le risque d’un second pic épidémique durant l’été, solidaritéS dénonce un déconfinement sans mesures de précautions sérieuses et sans la garantie d’une protection sanitaire et sociale de toute la population.
Le Conseil fédéral cède à la pression des faîtières patronales
Depuis la semaine dernière, la position du Conseil fédéral s’est alignée plus que jamais sur celles des milieux patronaux, cédant aux sirènes des faîtières comme Economiesuisse, Gastrosuisse, l’USAM et Commercesuisse. Avec une ouverture des restaurants et de l’ensemble des magasins programmée dès le 11 mai, la Conseil fédéral abandonne totalement le principe de précaution qui devrait guider le gouvernement durant cette crise. Ceci d’autant plus que, pour renvoyer les parents au travail, l’ensemble des écoles obligatoires vont rouvrir, y compris pour le secondaire, alors même que la propagation du virus parmi la population scolaire ne fait l’objet d’aucun consensus scientifique, en particulier parmi les jeunes de 12 ans et plus. Et ceci sans compter l’apparition récente d’une maladie inquiétante du système circulatoire des enfants, qui résulte d’une réaction immunitaire au coronavirus.
En renonçant au principe de précaution, le Conseil fédéral privilégie une reprise complète de l’économie, sur le dos de la protection des habitant-e-s. En forçant une reprise économique sans remise en cause de l’impératif de la croissance, le creusement des inégalités et la restriction des dépenses de santé publique, il va non seulement alourdir le coût humain de cette pandémie, mais aussi favoriser la circulation de nouveaux germes infectieux potentiellement plus dangereux et aggraver la catastrophe écologique en cours.
Alors que de nombreuses études épidémiologiques, dont celles du 24 avril publiée par une équipe de chercheurs·euses de l’EPFL, montre que le pire est encore à venir et que le déconfinement risque de renforcer une future vague de contamination plus importante que celle que nous avons vécue, le gouvernement suisse prend des décisions totalement contradictoires du point de vue de la santé publique. D’un côté, il maintient l’interdiction des rassemblements de plus de cinq personnes, de l’autre il pousse à un retour de l’activité économique normale, impliquant des brassages massifs de population.
Le retour massif au travail dans des lieux confinés, de même que la fréquentation des transports publics aux heures de pointes, montrent l’aberration de cette situation. De plus, aucune mesure de prévention systématique n’accompagne ce déconfinement, engagé en l’absence d’une planification de la production et de la distribution des produits essentiels indispensables. Pas de port de masque obligatoire, même dans les espaces confinés, ni de test de dépistage de masse. Pas non plus de mise sous contrôle public des secteurs essentiels à la gestion de crise. Ce « plan » de déconfinement est particulièrement dangereux dans un contexte ou une seconde vague épidémique pourrait provoquer la mort de milliers de personnes supplémentaires et l’implosion du système sanitaire.
solidaritéS est opposé à un déconfinement sans garanties de protection sanitaire de toute la population. Cela exige au préalable :
- Le respect absolu du principe de précaution, qui implique de ne pas relancer des activités économiques, si toutes les garanties sanitaires ne sont pas réunies ;
- Un renforcement massif des moyens humains et financiers alloués au système de santé public ;
- Un plan de dépistage systématique de la population vivant et/ou travaillant en Suisse ;
- La mise à disposition gratuite, pour toute la population, de masques homologués en suffisance, de sorte qu’elle puisse en porter dans l’espace public, plus particulièrement dans les transports publics, les établissements publics et les lieux de travail ;
- Un contrôle public de tous les secteurs essentiels pour garantir la protection de la population, à commencer par le secteur hospitalier dont une large partie est en main privée, par l’industrie pharmaceutique nécessaire à la production de tests et de traitements, ainsi que de tous les secteurs industriels qui pourraient produire du matériel sanitaire.
Pas de cadeaux publics pour les actionnaires
Dans le train de mesures d’aide aux entreprises, le Conseil fédéral a décidé d’aider les compagnies aériennes avec un cautionnement à hauteur de 1,7 milliard. Bien d’autres cautionnements sont assurés à un grand nombre d’entreprises. En réalité, comme de nombreux économistes l’affirment aujourd’hui, il vaudrait infiniment mieux que l’État subventionne la demande, soit les salaires, l’emploi et les investissements publics, en garantissant les revenus et les salaires à 100% jusqu’à un montant de 9750 francs bruts (150% du salaire médian) et en engageant un vaste programme d’investissement dans les domaines de :
1. la santé publique (hôpitaux, soins à domicile, contrôle public de la production de produits sanitaires indispensables en cas de pandémie, recherche) ;
2. le logement social et l’isolation thermique des bâtiments ;
3. les transports en commun ;
4. les énergies alternatives ;
5. la socialisation accrue des tâches d’éducation (petite enfance) et de soins (EMS), etc.
Ces dépenses pourraient être financées par un impôt fédéral sur les grandes fortunes et héritages dépassant 2 millions de francs et par un accroissement de l’endettement public de la Suisse, qui est toujours l’un des plus faible au monde, ce qui éviterait à la BNS d’acheter des milliards d’euros et de dollars pour faire baisser artificiellement, sans aucun bénéfice direct pour la population, les cours du franc suisse.
Dans tous les cas, solidaritéS demande que toute aide aux entreprises soit conditionnée à trois exigences :
1. l’interdiction de verser des dividendes ou de racheter des titres pendant 2 ans ;
2. L’interdiction de licencier ou de réduire les salaires du personnel ;
3. Répondre à un plan de réduction de l’impact écologique des activités.
De manière plus générale, aucune aide publique ne doit être octroyée à des entreprises qui continueraient d’engraisser leurs actionnaires ou n’assurerait pas la protection sociale et sanitaire de ses employé·e·s.
Refuser de payer les pots cassés
Dans une interview à la NZZ, Ueli Maurer annonçait sans détours son intention d’appliquer des politiques d’austérité durant les prochaines années, tout en déplorant une reprises jugée trop lente, frôlant au passage la rupture de la sacro-sainte collégialité gouvernementale. Cette intervention révèle néanmoins l’intention du gouvernement suisse de faire payer les coûts économiques de cette crise à la population laborieuse.
Les coupes dans les services publics et dans les prestations à la population sont déjà prévues, de même qu’une augmentation de la charge fiscale sur les petits et moyens revenus. Par exemple, une ordonnance fédérale de février prévoyait déjà que les coûts des hôpitaux ne seraient plus remboursés que sur la base des coûts du 25% des établissements les plus économes (au des coûts des 40% des établissements les moins chers, jusqu’ici). Ceci va encore contribuer à la réduction de la quantité et de la qualité des prestations offertes.
Tout ceci, alors même que la dernière réforme fiscale (RFFA) et ses traductions cantonales préparaient déjà, avant la crise sanitaire, des coupes massives dans les comptes publics. L’objectif est encore et toujours de « libérer » d’énormes liquidités pour alimenter la voracité sans fin des marchés financiers et remplir les poches des actionnaires. C’est tout le contraire qu’il faut faire.
solidaritéS exige que la Confédération et les Cantons garantissent la protection sociale et sanitaire intégrale de toute la population travaillant et/ou résidant en Suisse, ce qui implique en priorité :
- la garantie à 100%, par l’Etat, des salaires, des rentes et des revenus des indépendant·e·s durant toute la durée de la crise, à concurrence de 150% du revenu médian, soit 9750 francs bruts par mois, si nécessaire par des fonds fédéraux;
- l’instauration d’un impôt extraordinaire et progressif sur la part des grandes fortunes et des héritages (y compris en ligne directe) qui dépasse 2 millions ;
- l’amélioration des salaires et des conditions de travail de toutes les professions considérées comme indispensables pendant cette crise, en majorité féminines ; les risques qu’elles prennent sont à la hauteur de l’utilité qu’elles représentent pour toute la société ; cela doit se traduire par une revalorisation de leur fonction ;
- la suspension immédiate de la mesure du Conseil fédéral sur l’extension du temps de travail maximum, au-delà des 60 heures par semaine, pour le personnel soignant, et le respect strict de la loi sur le travail ;
- l’instauration rapide d’une assurance maladie universelle, et publique pour toutes et tous avec des cotisations paritaires proportionnelles aux salaires, selon le système de l’AVS-AI, sans franchise ni quote-part, pour garantir un accès égal aux soins pour tou·te·s ;
- le renforcement massif de l’AVS pour faire face à la dégringolade prévisible du 2e pilier, ainsi que l’intégration des fonds de ce 2e pilier à l’AVS, avec garantie des droits acquis.
- un vaste plan d’investissement public dans les domaines socialement et écologiquement utiles.
Toutes ces mesures constituent la colonne vertébrale d’une politique qui consisterait à garantir la protection sanitaire et sociale de toute la population en Suisse, qui fait défaut à ce jour.