Interdiction du hamas : prise de position de solidarités genève

Voici la prise de position de solidaritéS Genève concernant le projet grotesque et liberticide d’interdiction du Hamas en Suisse actuellement mis en consultation par le Conseil Fédéral. Cette même prise de position a été envoyée à l’Office Fédéral de la Police (fedpol).


1) Il est discutable de considérer le Hamas comme une organisation privée non reconnue par la communauté internationale.
La situation est complexe car la Palestine, au plan du droit international, est un Etat. L’Etat de Palestine est signataire reconnu de nombreux traités et conventions internationaux.
Quant à son organisation étatique, la Palestine est, de fait, divisée entre les autorités de Cisjordanie et celle de Gaza. Sur le territoire de Gaza, le Hamas exerce un pouvoir de nature étatique sur 2 millions de personnes. Ce pouvoir du Hamas a été acquis depuis 2006 à la suite des dernières élections démocratiques de Palestine (Cisjordanie et Gaza). A cette occasion, le Hamas avait obtenu la majorité des sièges, soit 74 sur 132.


2) Aucune menace de violence du Hamas contre la Suisse ou son territoire n’est constatée. Ni la sécurité intérieure, ni la sécurité extérieure de la Suisse ne sont mises en danger.


3) En réalité, ce projet de loi est le résultat d’une décision hâtive du Conseil fédéral le 11 octobre 2023 déjà, alors que l’offensive de Tsahal sur Gaza n’avait pas commencé.

4) Pour la Cour internationale de justice, le massacre et la destruction des habitants et du territoire de Gaza constitue potentiellement un génocide.
Au demeurant, le crime de génocide implique la preuve d’une « intention génocidaire » de la part des autorités israéliennes. Les partisans d’israël, dans le conflit, contestent cette intention. Mais ils ne sont pas en mesure de contester que, de la part de l’Etat d’Israël, il s’agit, a minima, de crimes contre l’humanité !
Il est déraisonnable de la part du Conseil fédéral de condamner le terrorisme du Hamas et, simultanément, de ne pas qualifier les crimes que constitue la destruction de Gaza et de ses habitant.e.s.

Ce déséquilibre du Conseil fédéral dans son appréciation des responsabilités de chacune des parties au conflit est de nature à ruiner la réputation de la Suisse dans le monde entier. Le récent vote de la Suisse au Conseil de sécurité, en appui aux Etats-Unis et à Israël, a déjà déconsidéré notre pays dans le monde. Y rajouter une interdiction du Hamas, alors que la Suisse n’est pas menacée, serait un aveu supplémentaire et lamentable de vassalité de la Suisse.


5) La Suisse officielle peine à se défaire de l’égoïsme et de la lâcheté face aux génocides. Pendant la Deuxième guerre mondiale, elle a été complice de l’Allemagne en fermant sa frontière aux réfugié.e.s juifs.ves, après avoir convaincu ce pays d’apposer une lettre «J» sur les passeports des juifs.ves allemand.e.s. Pendant de longues années, elle a soutenu politiquement et économiquement le régime du Rwanda dont le racisme a culminé par un génocide. Elle s’est retirée de toute aide sérieuse au régime rwandais qui a succédé et qui combat avec succès la discrimination raciale depuis 30 ans.

Aujourd’hui, lorsque la plus haute juridiction internationale évoque un événement génocidaire, la Suisse ferme les yeux, se bouche les oreilles et se pince le nez.

6) La menace, formulée par le Conseiller fédéral Cassis et une commission du Parlement de supprimer définitivement toute aide financière à l’UNRWA ajoute à la partialité de la Suisse et à son isolement dans la vassalité. En supplément, une interdiction du Hamas par un Etat menacé d’aucune manière par cette organisation, serait un comportement international plus pitoyable encore.

La position politique actuelle du Conseil fédéral et de la majorité des forces politiques en Suisse constitue un reniement des valeurs de paix et d’humanité. Au nom de la lutte contre le terrorisme, la Suisse, à l’instar du gouvernement d’Israël, abuse de cette notion (le terrorisme) à géométrie variable. Ainsi, Mandela a-t-il été défini comme terroriste pendant delongues années avant de devenir le libérateur de son pays. Begin, terroriste, est devenu premier ministre. La Suisse officielle tourne le dos à sa politique étrangère des années 1960 quand elle a agi pour la paix en Algérie (et l’indépendance de ce pays) grâce aux accords d’Evian en 1968 entre le FLN (« terroriste »!) et le gouvernement français.

Dans la situation dramatique d’aujourd’hui, la Suisse n’est même pas capable d’exiger un cessez-le-feu à Gaza.


Notre mouvement demande que le Conseil fédéral reprenne immédiatement un financement complet à l’UNRWA, qu’elle cesse toute collaboration militaire avec Israël, qu’elle ouvre ses frontières et accueille les blessé.e.s et malades de Gaza, qu’elle saisisse les biens en Suisse des personnalités actives dans les violences, destructions et massacres contre les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza.


7) L’art. 1, al 3 du projet désigne le Hamas et ses organisations affiliées comme organisations terroristes au sens de l’art. 260 ter, al 1 let. a, chiffre 2 Code pénal. Autrement dit, la seule dénomination « Hamas » implique pour le.la juge pénal.e, saisi d’une accusation, de considérer que l’on a affaire à une organisation «qui a pour but de commettre des actes de violence criminelle visant à intimider une population ou à contraindre un Etat ou une organisation internationale à accomplir ou à s’abstenir d’accomplir un acte quelque ». Le projet interdit au/à la juge pénal.e d’examiner si, dans le cas particulier, les conditions de la lettre a sont réalisées ou non. Le.la juge est au « garde à vous »et doit admettre l’application de cette disposition.


Il s’agit là d’une justice d’exception aux ordres du gouvernement.
De même, en vertu de l’art. 1, al 2 du projet, le Conseil fédéral peut, sans aucun contrôle judiciaire possible, interdire toute organisation « apparentée au Hamas », même si elle soutient indirectement l’ « extrémisme violent ».


8) Mais le plus préoccupant est que cette disposition de l’art. 1, al 3 du projet permet de sanctionner pénalement celui ou celle qui est soupçonné de soutenir le Hamas dans son activité. En effet, cette disposition du projet renvoie à l’art. 260 ter, al 1, chiffre 2b Code pénal qui prévoit qu’est punissable « quiconque soutient [le Hamas] dans son activité ».

Le projet ouvre ainsi la voie à des poursuites pénales contre celles et ceux qui combattent en faveur de la cause palestinienne et s’opposent au gouvernement israélien et à son armée, respectivement à la posture suiviste et soumise du Conseil fédéral.

Certes, l’idéologie religieuse, la misogynie, l’homophobie du Hamas, la cruauté des prises d’otages civils, les massacres et les sévices contre les civils commis par le Hamas le 7 octobre 2023 sont à dénoncer sans appel. Mais les crimes majeurs d’israël sont commis contre des millions de victimes à Gaza et en Cisjordanie par occupation militaire, arrestations et détentions arbitraires, apartheid, blocus, destruction du territoire et de ses habitants. Il s’agit d’un processus génocidaire engagé et accompli depuis plusieurs mois. Les crimes se poursuivent alors que le monde entier supplie le gouvernement israélien d’y mettre fin ! A fortiori, celles et ceux qui, depuis la Suisse, veulent soutenir financièrement ou matériellement les Gazaouis sont menacés de poursuites pénales.

Dans le débat politique de ces derniers mois, en Europe, il a été constamment reproché à celles et ceux qui soutiennent les Palestinien.ne.s de ne pas condamner le Hamas ou de ne pas le condamner suffisamment. Manifestement, l’art. 1 al 3 du
projet de loi peut être interprété de la même manière. En effet, les partisan.e.s de la cause palestinienne ont manifestement la conviction que les Palestinien.ne.s ont le droit de se défendre par les armes contre l’occupation militaire, contre la colonisation en Cisjordanie, contre l’apartheid au préjudice des arabes, contre les tueries et les destructions perpétrées par l’armée israélienne. Il est à craindre qu’affirmer publiquement cette conviction légitime ne soit plus seulement condamnée « moralement » par les autorités et par les partisan.e.s d’Israël, mais, avec l’art. 1 al. 3 projet, soit condamnée pénalement par les tribunaux.


Dans le cadre de la présente consultation, nous demandons au Conseil fédéral de respecter la liberté de conscience, d’expression et de manifestation. Nous refusons catégoriquement un processus qui, comme en France, aboutirait à poursuivre pénalement des militant.e.s syndicaux.ales et politiques pour prétendue «apologie du terrorisme ».

Pour les raisons qui précèdent, nous demandons au Conseil fédéral de renoncer à présenter ce projet de loi au Parlement fédéral.