Immersion au cœur du travail du sexe

Travailleuse du sexe trans* à Genève, la Diabla signe son premier livre Ponte en mis tacones avec le soutien de l’association Aspasie. Une plongée dans la réalité de la prostitution, entre combat, solidarité et liberté.

Personne travailleureuse du sexe
Diabla

C’est un ouvrage comme on en rencontre peu, de ceux qui nous font entendre une parole rare. Sous les préjugés qui entourent le travail du sexe se cachent des existences mouvementées, combatives et volontaires. Celle de la Diabla, travailleuse du sexe transsexuelle (comme elle-même se décrit), est mise en mots dans le récit autobiographique bilingue « Ponte en mis tacones » — en français, « Mets-toi dans mes talons ».

Tout commence avec un atelier d’écriture organisé par l’association Aspasie, qui défend les droits des personnes actives dans le travail du sexe. Durant une année, Diabla suit les cours proposés par Eva-Luna Perez Cruz. Les écrits prennent peu à peu la forme d’un long récit, puis d’un livre grâce au Collectif occasionnel. Dès sa parution en juin, le succès est immédiat : les deux cents premiers exemplaires s’écoulent en l’espace d’un mois. La voix de Diabla résonne dans le quartier des Pâquis et donne de l’espoir aux autres travailleuses du sexe, qui ignoraient que leur parole pouvait avoir de la valeur. « Les filles ont été très surprises par la parution du livre, sourit Diabla en évoquant ses collègues et amies. Ça ne s’est jamais vu ici, aucune fille des Pâquis n’avait jamais vu cela… qu’une travailleuse du sexe écrive sur les expériences de sa vie, et une fille transsexuelle, en plus ! C’est quelque chose qui génère beaucoup de solidarité entre les filles en ce moment. » 

Un parcours endiablé 

Si la voix de Diabla est si singulière, c’est aussi parce qu’elle évince de son récit toute pudeur et artifices. Sa vie est jalonnée d’obstacles qu’elle livre sans retenue. Originaire d’Équateur, elle décrit son rejet par sa famille lorsque celle-ci découvre son attirance pour les garçons ; son envoi forcé en Espagne, sans pouvoir entreprendre d’études ; sa découverte du travail du sexe à La Casa de Campo et l’entraide incroyable entre pairs. 

S’ensuit, en parallèle, une transition sociale et médicale commencée de manière clandestine. Au fil des pages, on découvre les abus, la drogue, la prison, la quête pour obtenir des papiers, la transphobie et, partout, la discrimination envers son métier. Un cheminement que la Dablia tenait à rendre public : « J’ai toujours rêvé de raconter mon parcours dans le monde de la prostitution, confie l’auteure. L’atelier d’écriture d’Aspasie m’a donné l’occasion de partager et d’expliquer mes sentiments, mes expériences et de donner des conseils à mes collègues de travail. » Le livre se termine ainsi par une série de conseils pratiques destinés aux personnes actives dans la prostitution.

Une précarité dénoncée

La Diabla revient aussi sur la pandémie et ses conséquences sur le travail du sexe, interdit du jour au lendemain à Genève. « Le 16 mars, à six heures du soir, la police est venue dans le quartier pour nous avertir qu’à partir de ce jour, dès cet instant, il n’était plus possible d’exercer, que c’était interdit. Le stress, la nervosité ambiante, des femmes descendant des valises des appartements, cherchant des billets pour retourner dans leur pays le plus vite possible. (…) J’étais choquée, le stress et l’angoisse atteignaient des niveaux insupportables, écrit la Diabla. Je devais rester dans un endroit où je ne pouvais gagner de quoi vivre et je ne pouvais pas non plus rentrer dans mon pays. » Des policiers sillonnent ensuite les rues pour s’assurer du respect de l’interdiction en vigueur. L’un d’entre eux se fait passer pour un client et insiste lourdement. Il revient plus tard en compagnie d’un second agent : la fouille qu’ils effectuent est brutale et humiliante. « Les jours qui ont suivi étaient horribles, relate la Diabla. L’humiliation me faisait mal au cœur et au corps. » 

La Diabla dénonce ces faits et la précarité des travailleuses du sexe dans la presse. Elle n’a de cesse, depuis, de rendre visible leur parole. Elle relate aussi les espoirs qu’elle nourrit pour ses consœurs et elle-même : un contrat d’appartement à leur nom ou une alarme connectée à la police. Dans le long combat pour le respect des travailleuses du sexe et leur liberté à disposer de leur corps, Ponte en mis tacones constitue sans aucun doute une étape qui fera date.

Charlotte Frossard 

Ponte en mis tacones est disponible à la librairie La Dispersion à Genève dans une version bilingue (espagnol et français). Il est en cours de réédition. Merci à Jorge, Romaine et Camille pour leur traduction.